La BBC, un média crédible sur la situation en Israël/Palestine ?

Par Nicolas Desrumeaux pour l’Agence Média Palestine

 

La BBC, média public britannique qui regroupe des chaînes de télévision et plusieurs stations de radio, est régulièrement accusée de parti pris dans son traitement de la situation au Proche-Orient.

 

Dernier exemple en date, la censure du mot « Palestine » dans une chanson du rappeur Mic Righteous, dans le programme du DJ Charlie Sloth sur la radio musicale BBC Radio 1Xtra.

À 3:00 dans la chanson, le mot Palestine dans les paroles « I can still scream free Palestine » est remplacé par un bruitage. Apparemment, il n’est donc plus possible de chanter « liberté pour la Palestine » dans un programme musical de la BBC.

 

VIDEO [http://www.youtube.com/watch?v=JEo7xY8TPaQ&feature=player_embedded]

 

Depuis, plusieurs centaines de personnes se sont plaintes à la BBC de cette censure, via la procédure disponible sur le site web du groupe mais également via les pages Facebook et Tweeter de ses différents programmes. Une lettre signée par des artistes, universitaires, avocat-e-s et parlementaires condamnant cette censure a également été publiée dans le journal The Guardian1.

La première réponse de la BBC à ces plaintes est digne d’un roman de George Orwell :

« Charlie Sloth’s Hip-Hop Mix est un programme principalement musical et le choix des artistes et des chansons diffusés relève de considérations artistiques.

Néanmoins, tous les programmes de la BBC ont la responsabilité de rester impartiaux lorsqu’ils traitent de sujets controversés; une mesure a été prise dans ce cas pour s’assurer que l’impartialité

ne soit pas compromise. »2

Dans sa réponse aux plaintes déposées via la procédure officielle, la BBC précise (et s’enfonce):

« BBC Radio 1Xtra et la BBC en général sont impartiaux, et dans cette affaire, nous avons estimé que la chanson présentait un point de vue politique pour lequel un programme présentant le point de vue opposé aurait été nécessaire pour que le message Liberté pour la Palestine ne soit pas injustement favorisé. C’est pourquoi, laisser la chanson telle quelle aurait compromis notre impartialité. La même décision aurait été prise pour un message anti-palestinien [sic] dans une situation similaire. »3

Quelques semaines plus tard, dans le même programme du DJ Charlie Sloth, une chanson du rappeur Bigz a elle aussi été censurée (la BBC s’est empressée de mettre en ligne la version originale après que l’excellent Jody McIntyre a mis en lumière cette nouvelle censure sur son blog au journal The Independent4). Cette fois, c’est l’expression « Gaza Strip » (bande de Gaza) qui a été remplacée par un bruitage dans la phrase « Bringing more fire than the Gaza Strip. »

Il est à noter que dans la même émission, une chanson de Bigz dans laquelle le rappeur chante « Chilling on a beach … Tel Aviv » n’a, elle, pas été modifiée.

 

Ces actes de censure ridicules en rappellent un autre plus grave, commis par la BBC lors du massacre perpétré par l’armée israélienne dans la bande de Gaza en décembre 2008/ janvier 2009.

La BBC avait alors refusé de diffuser un appel réalisé conjointement par plusieurs associations humanitaires britanniques (Oxfam, British Red Cross, …) pour lever des fonds pour aider la population civile palestinienne affectée par les opérations militaires [http://www.guardian.co.uk/media/video/2009/jan/26/dec-gaza-appeal]. Là encore la BBC avait justifié sa décision en évoquant son devoir d’impartialité.

Ben Bradshaw, alors Ministre de la santé dans le gouvernement de Gordon Brown et ancien journaliste à la BBC, avait jugé cette décision « inexplicable » et avait enjoint la direction de la BBC à « faire face aux autorités israéliennes de temps en temps. »5

 

La BBC est par ailleurs accusée de partialité dans son traitement de l’offensive israélienne sur la bande de Gaza. Dans son livre More Bad News from Israel, une étude académique portant sur le parti pris dont font preuve les médias lorsqu’ils traitent de la situation en Israël/Palestine, le professeur Greg Philo montre notamment que la BBC a systématiquement mis en avant les explications des autorités israéliennes sur la raison de leur offensive. L’attaque « Plomb durci » est ainsi présentée comme une réponse aux roquettes lancées par les Palestinien-ne-s depuis la bande de Gaza. La violation du cessez le feu entre le Hamas et Israël par l’armée israélienne en Novembre 2008 et les effets désastreux du siège imposé à la population de Gaza ne sont que très rarement mentionnés. Le message véhiculé se résume à: les Palestinien-ne-s attaquent, Israël riposte.

Dans les bulletins d’information examinés par Greg Philo dans son étude, 421.5 lignes de texte sont consacrées aux explications des autorités israéliennes. Seulement 14.25 lignes font référence à l’occupation des territoires palestiniens et 10.5 au blocus imposé à la bande de Gaza.

En 2006 déjà, un comité « indépendant » mis en place par la BBC pour examiner sa couverture du conflit israélo-palestinien, et notamment des évènements de la seconde Intifada, concluait que même s’il y a « peu d’éléments qui suggèrent un biais délibéré ou systématique », les informations fournies par la BBC « n’offrent pas toujours un compte-rendu complet et juste du conflit. En un certain sens, l’image est incomplète, et donc trompeuse ». Le rapport notait que la couverture du conflit par la BBC « n’arrive pas à informer de la disparité entre les expériences israélienne et palestinienne, le fait qu’un camp possède le contrôle alors que l’autre vit sous occupation. »6

 

Mais il y a pire… En août 2010, seulement quelques semaines après l’attaque meurtrière par l’armée israélienne de la flottille humanitaire à destination de Gaza, la BBC s’est livrée à un véritable travail de propagande pour les autorités israéliennes. Dans le documentaire Death on the med (partie 1 [http://www.youtube.com/watch?v=SXrzF0IOQYE], partie 2 [http://www.youtube.com/watch?v=Nfo91FQVr7M&feature=related]) censé « faire la lumière sur ce qui s’est réellement passé lors de l’assaut sur la flottille », la journaliste (?) de la BBC Jane Corbin tente de faire passer les activistes à bord des bateaux pour de violent-e-s extrémistes cherchant la confrontation avec l’armée israélienne. Le programme utilise presque uniquement des vidéos de l’assaut mis à disposition de manière sélective par l’armée israélienne. Le fait que les caméras, les appareils photos et les ordinateurs des passagers/ères ont été confisqués et n’ont jamais été rendus à leurs propriétaires n’est jamais mentionné. À 9:10 dans le programme, la journaliste présente un document audio censé être une réponse radio du bateau turc le Mavi Marmara aux menaces d’intervention de l’armée israélienne. On y entend « go back to Auschwitz » et « we’re helping Arabs go against the US, don’t forget 9/11 ». La journaliste précise que « l’authenticité de cet enregistrement est à l’origine d’une controverse » mais oublie de dire que l’armée israélienne elle-même, le 5 juin 2010 (plus d’un mois avant la diffusion du programme), a avoué avoir trafiqué cet enregistrement7 et que, depuis, il a été démontré qu’il s’agissait d’un faux8.

Parmi les nombreuses autres omissions, on peut mentionner les rapports d’autopsie des victimes du Mavi Marmara. Pourtant, ces rapports ont montré que parmi les neufs activistes tués, plusieurs ont été touchés par des balles tirées à bout portant, et pour certains d’entre eux dans le dos ou l’arrière de la tête, de telle sorte que la légitime défense ne peut pas être retenue9. Par ailleurs, le droit de l’armée israélienne à donner l’assaut aux bateaux de la flottille est reconnu de manière implicite tout au long du programme; le fait crucial que l’attaque a eu lieu dans les eaux internationales n’est mentionné que dans les dernières minutes du documentaire.

Suite à la diffusion de ce programme sur BBC1, plusieurs milliers de personnes se sont plaintes à la chaîne britannique de son traitement complètement partial des évènements. Face à de si nombreuses réclamations, le comité de contrôle interne à la BBC (le Editorial Standards Committee) a bien été obligé de lancer une enquête pour vérifier que le programme avait bien respecté la charte de la chaîne. Après une procédure biaisée cherchant à exclure le maximum de plaintes (plus de détails ici), le comité a quand même dû reconnaître que Death on the med n’a pas respecté les règles de la BBC sur la précision et l’impartialité sur trois points dont, notamment, l’omission de mentionner les rapports d’autopsie. Cependant, de nombreuses réclamations sur des points plus que problématiques ont été rejetées sans raison.

 

Tous ces exemples montrent que le traitement par la BBC de la situation en Israël/Palestine est entaché d’un parti pris qui tend à favoriser la communication des autorités israéliennes. Les raisons de ce parti pris (lobbying, pressions politiques, auto-censure, …) sont hors du cadre de cet article et mériteraient certainement un examen approfondi.

En tout cas, tant qu’un comité de contrôle réellement indépendant de la BBC et du pouvoir politique n’est pas mis en place, les informations de la BBC concernant le Proche-Orient ne devraient pas être considérées comme impartiales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1http://www.guardian.co.uk/world/2011/may/24/palestine-bbc-media

2http://www.bbc.co.uk/complaints/content/response/res_Radio1Xtracharliesloth300411

3http://www.palestinecampaign.org/index7b-2.asp?m_id=1&l1_id=3&l2_id=122&Content_ID=1954

4http://blogs.independent.co.uk/2011/05/26/in-further-case-of-censorship-the-bbc-deny-palestine%E2%80%99s-right-to-exist/

5http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/7848614.stm

6http://www.bbcgovernorsarchive.co.uk/docs/reviews/panel_report_final.txt

7http://idfspokesperson.com/2010/06/05/clarificationcorrection-regarding-audio-transmission-between-israeli-navy-and-flotilla-on-31-may-2010-posted-on-5-june-2010/

8http://aliabunimah.posterous.com/proof-emerges-idf-audio-of-radio-communicatio

9http://www.guardian.co.uk/world/2010/jun/04/gaza-flotilla-activists-autopsy-results

Retour haut de page