Jouer le clown loin de la peur et de l’anxiété

Hamza Abu Eltarabesh – The Electronic Intifada – 23 mars 2016

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Les docteurs clowns de Gaza, lors d’une visite récente à de jeunes malades.
(Avec la gracieuse permission de
Clown Doctors Team)

Il n’est pas rare de passer tout près d’un service de l’hôpital pédiatrique d’Abdelaziz al-Rantisi, dans le centre de Gaza ville, et d’entendre le trille d’un rire d’enfant.

C’est un cri de bienvenue dans un lieu qui est trop souvent celui de la douleur et de la peur, et parfois où l’on tente de fuir le bureau du médecin.

Il y a peu, un certain matin d’hiver, c’était Rafat al-Satari qui riait très fort sur son lit d’hôpital où se préparait son traitement de dialyse. La cause ? Deux clowns au nez rouge qui étaient en train de lui faire des grimaces amusantes et des tours de magie, et qui venaient juste d’apporter un gâteau dans sa chambre pour son sixième anniversaire, le 26 février.

Que le clown apporte ainsi un gâteau résulte d’une initiative de 2013, de Majed Kalloub qui créa la « Clown Doctors Team » (L’équipe des docteurs clowns) pour rendre visite aux enfants malades dans la bande de Gaza. L’idée, disait-il, n’est pas seulement d’apporter un certain réconfort aux enfants, mais aussi d’aider le personnel médical dans sa tâche.

« Qui est le docteur clown », dit Kalloub à The Electronic Intifada. « Un coup de main au véritable docteur. Notre travail ne fait pas que donner du bonheur aux enfants, il les aide aussi à accepter ce que font leurs docteurs ».

L’initiative a été très appréciée par les malades et par le personnel hospitalier lui-même. D’après le directeur de l’hôpital Abdelaziz al-Rantisi, le Dr Mustafa al-Ayla, l’initiative a changé l’ambiance dans cet hôpital plus habitué au bruit des pleurs.

« L’équipe de docteurs clowns a créé un environnement sécurisant pour les malades, et elle est devenue un ajout majeur à notre traitement en plus des médicaments habituels », dit-il.

 

Le rire : la meilleure médecine

« Le rire aide le système respiratoire et cardiovasculaire », ajoute le Dr Ayla. « Il détend les muscles, atténue le stress et réduit la douleur. Nous sommes donc tout disposés à déployer tous les efforts possibles pour permettre à l’équipe de venir travailler ici ».

Kalloub – Dr Nuts pour les enfants – n’a guère de doute quant aux bienfaits qu’apporte son équipe.

« Imaginez que vous êtes un enfant dans un hôpital, loin du cadre familial de votre maison et de vos amis et parents », dit cet homme de 24 ans, juste après avoir apporté le gâteau au petit Rafat. « Vous êtes inquiet et vous vous sentez seul, et probablement aussi que vous avez mal. C’est là que nous aidons ».

Kalloub et son collègue clown Ala Miqdad – Oncle Aloush pour les enfants et l’un des six autres clowns de l’équipe – ont travaillé avec un certain nombre d’organisations de la bande de Gaza, notamment avec le groupe italien des droits de l’homme, Coopération internationale Sud Sud (CISS). Ils n’ont pas arrêté de travailler durant l’agression d’Israël contre Gaza en 2014, alors qu’ils oeuvraient non seulement dans les hôpitaux, mais aussi dans les abris où les gens avaient cherché refuge où ils tentaient d’apaiser les peurs des jeunes enfants.

Ils se sont inspirés de Big Apple Circus, qui a été créé par deux artistes de rue américains qui, à leur retour d’une tournée en Europe dans les années 1970, ont été motivés pour lancer un cirque à New York. En 1986, ils commençaient à apporter des divertissements aux enfants dans les hôpitaux.

Un changement d’attitudes

Rafat a bien aimé son anniversaire. En parlant tout doucement, le garçon dit que « Le Dr Nuts et l’Oncle Aloush » l’ont aidé à ne pas avoir peur des docteurs.

Près de son lit, sa mère, d’abord sceptique, se dit elle aussi conquise.

« Je le trouvais bizarre au début », dit Ayat Mansour, 37 ans. « Ici, mon enfant pleurait, et puis ces deux-là sont venus et ils ont joué à des jeux stupides pour lui. Mais j’ai pu voir comment son visage changeait. J’ai pu l’entendre rire à nouveau. Maintenant, je pense que c’est indispensable ».

Tous les matins maintenant, Rafat attend les clowns avec impatience. « Il est beaucoup moins inquiet après leur visite » ajoute-t-elle.

La célébration animée de l’anniversaire de Rafat a aussi attiré le Dr Ayla qui, non seulement est venu voir ce qui provoquait ce brouhaha, mais il s’est même joint aux jeux – et il a eu un petit bout de gâteau.

Les agressions militaires israéliennes successives contre Gaza et près de dix années de blocus ont eu un impact extrêmement néfaste tant sur la santé psychologique que physique des enfants, et pour le Dr Ayla, les effets à long terme, sur la santé, de la guerre israélienne ne font que commencer à se manifester.

« Nous avons estimé que le nombre de maladies chroniques chez les enfants a été multiplié par sept, particulièrement en cancers et en maladies cardiaques, nous pensons que c’est dû à l’usage de gaz et de résidus chimiques, une utilisation illégale d’armes prohibées », dit-il.

Une récente étude d’un médecin de Gaza fait le constat d’une montée statistiquement importante dans la fréquence des maladies cardiaques congénitales chez les bébés, aussitôt après une attaque israélienne importante, et il y a eu trois de ces attaques en moins d’une décennie.

En face de la chambre de Rafat, deux autres clowns de l’équipe se démènent, pour Mariam al-Quqa, dix ans.

 

Arriver à toucher Mariam

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La mère de Mariam dit que sa fille refusait de parler à l’hôpital, jusqu’à ce qu’elle soit visitée par les clowns.
(Avec la gracieuse permission de
Clown Doctors Team).

Mariam a une insuffisance rénale et elle suit actuellement un traitement régulier de dialyse. Mais elle n’aime pas beaucoup être à l’hôpital. « À la maison, c’est une enfant heureuse, normale » dit Sanaa, sa mère. « Ici, elle refuse de parler ».

C’est-à-dire jusqu’à ce que Zakia al-Bayoumi et Bisan al-Surdi, toutes les deux 21 ans, n’arrivent à elle. Ces deux femmes clowns de l’équipe se sont avérées énormément populaires chez les enfants et tendent à dialoguer avec les jeunes malades autant qu’elles jouent pour eux.

Quand la « Dr Ziko » et la « Dr Biso » ont vu Mariam pour la première fois, elle était à l’hôpital depuis trois ans pour un traitement régulier. Alors, son temps d’hospitalisation était un temps de silence, dit sa mère : Mariam ne pouvait tout simplement pas parler.

Et comme leur prestation habituelle ne parvenait guère à provoquer une réaction, al-Surdi a alors essayé autre chose. Elle a ôté son costume de clown, elle s’est allongée sur le lit derrière Mariam, et elle lui a parlé, doucement, dans un murmure, durant 15 minutes, pendant que Zakia continuait à faire des grimaces.

Et ça a marché. À un moment, le visage de Mariam s’est mis à briller de joie et elle a pressé les deux clowns de continuer.

« C’est la première fois que Mariam parle à l’hôpital », dit Sanaa reconnaissante. « Apparemment, rien ne soulage sa peur de l’hôpital, sauf les docteures clowns. Je suis heureuse qu’elles soient là pour elle et pour les autres enfants ».

Le travail de l’équipe ne se limite pas aux hôpitaux. Ils vont aussi voir les familles des malades et organisent des fêtes pour ceux qui ont été traités avec succès.

C’est un travail gratifiant, disent les clowns, mais il comporte un risque émotionnel.

« Nous sommes bien accueillis par le personnel et les familles. Les enfants attendent avec impatience notre venue » dit Kalloub. « Le travail ne présente aucun problème à cet égard ».

« Mais nous ne pouvons échapper à la réalité : la partie la plus difficile du travail, c’est quand nous recevons un appel de l’hôpital nous informant que l’un des enfants, pour qui nous avons joué et que nous avons fait rire, n’est plus avec nous ».

Hamza Abu Eltarabesh est journaliste à Gaza.

Source: Electronic Intifada

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

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