Les musiciens de Gaza et leur combat pour se faire entendre

Par Mohammed Elsusi, The Electronic Intifada, Gaza

4 mai 2016

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Mohammed Elsusi, à droite, et son frère Osama, sont le duo de rap Faiseurs de Révolution. Mohammed écrit qu’il y a peu d’opportunités et beaucoup d’obstacles pour les artistes à Gaza. (Haitham Nuraldeen)

Je suis un rappeur de 23 ans, producteur de musique et réalisateur de films qui vit dans la plus grande prison à ciel ouvert du monde.

Je suis aussi un étudiant en multimédia à l’université. J’ai travaillé avec beaucoup d’autres jeunes artistes sur des projets créatifs, mais malheureusement, ces projets n’ont jamais vu la lumière du jour parce que, quelle que soit l’ardeur de nos tentatives, nos rêves sont constamment écrasés par la tyrannie des restrictions auxquelles nous sommes confrontés.

Par cet article, j’essaie de tendre la main au monde pour partager une autre perspective de vie à Gaza pour les musiciens et les rappeurs, pour nous décharger d’un peu des frustrations ressenties et pour expliquer les obstacles auxquels nous faisons face. J’espère susciter un débat qui pourrait conduire à un changement.

Des nombreuses barrières qu’artistes et interprètes affrontent à Gaza, la plus haute de toutes, c’est le siège sans fin d’Israël et les guerres répétées et les séries de bombardements. Mais nous faisons face à beaucoup d’autres défis à tous les niveaux.

Tout d’abord, beaucoup de gens ici voient la musique comme un luxe que nous ne pouvons nous offrir sous le blocus et l’occupation. Notre société est constamment confrontée à des souffrances inimaginables et à de cruels défis quotidiens. Une grande portion de la population se bat tous les jours pour trouver du travail, un abri, de la chaleur, des médicaments et même du pain. Alors il est vrai que, pour beaucoup, assister à un concert, même avec des artistes locaux, est hors d’atteinte.

Les contraintes financières sont souvent doublées d’une lourde censure du gouvernement qui fait pression sur les musiciens pour qu’ils « nettoient » leurs textes et s’assurent que leur message entre dans des critères spécifiques.

Comme tout artiste dans le monde le comprendrait, cette ingérence dans la liberté d’expression est démoralisante. Elle affecte la créativité et la production artistique.

Pas d’espace

A Gaza, il n’existe pas de sociétés de production musicale pour nourrir et aider le développement des artistes. Ce que nous avons aujourd’hui, ce sont diverses sociétés de production commerciales dont le but est de faire des bénéfices grâce à la commercialisation et à la publicité.

Ces sociétés ont l’équipement nécessaire pour filmer et enregistrer et, faute d’autres espaces disponibles, les artistes se retrouvent souvent forcés de travailler avec elles. Résultat, ils deviennent contraints par les règles et réglementations de ces sociétés, et particulièrement la règle d’or qui consiste à ne jamais offenser aucun client.

Et ainsi les artistes désespérés vont à l’encontre de leur liberté d’expression et autocensurent leur travail au grand dam de la qualité de leur art.

Il n’y a que quelques rares et précieuses opportunités à Gaza pour étudier la musique.

Bien sûr, il y a une poignée d’institutions culturelles et artistiques qui aident les artistes, mais elles sont le plus souvent ralliées aux principales factions politiques. Elles promeuvent des agendas politiques partisans et produisent de l’art qui est, d’une certaine manière sinon entièrement, piloté par la propagande.

Les artistes indépendants qui croient que l’art doit être une forme d’expression libre, un vecteur de contestation et une voie pour le changement, se retrouvent seuls, sans soutien ni financement.

Nous avons désespérément besoin de fonder des institutions indépendantes pour soutenir les arts à Gaza, des institutions qui toucheront tous les jeunes. Le problème est toujours comment y arriver.

L’art n’est pas un luxe ; il aide à soutenir le moral des gens afin qu’ils puissent survivre, même pendant les époques les plus rudes.

Mohammed Elsusi est un rappeur, producteur de musique et réalisateur de film qui vit à Gaza. Il est le fondateur de l’orchestre gazaoui Faiseurs de Révolution.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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