James Fraser – Middle East Eye – 12 juin 2016
L’achèvement dans les temps du bâtiment est remarquable étant donné les difficultés logistiques que lui opposa l’occupation.
Une nouvelle institution culturelle, incroyable pour le Moyen-Orient, est désormais ouverte au public. Située au sommet d’une colline près de Ramallah en Cisjordanie, le Musée palestinien de 24 millions de dollars ouvrit officiellement lors d’un gala d’inauguration le 18 mai. Plus de 700 invités se mélangèrent sous un vaste pavillon dans un après-midi ensoleillé, pendant que des musiciens interprétaient un répertoire arabe classique dans les jardins en terrasses en contrebas. Alors que la nuit tombait, les danseurs évoluaient dans un petit amphithéâtre, et un jeu de lumière fut projeté sur la blanche façade en calcaire du musée.
Pourtant, le musée ouvrait alors qu’il n’avait pas le moindre objet dans ses galeries ni la moindre œuvre d’art sur ses murs.
Les salles désertes conduisirent rapidement la presse internationale à définir le musée palestinien. « Le musée palestinien s’apprête à ouvrir, sans exposition », titra un article péremptoire dans The New York Times (16 mai). L’absence d’objets fut depuis au centre des gros titres ou des préambules de tous les articles de la presse.
Un symbolisme dans la pierre
Pour Omar al-Qattan, président du musée, l’achèvement dans les temps du bâtiment suffit à justifier la cérémonie. Le message de positivité de Qattan est clair : « Nous avons pensé,’fêtons le bâtiment’, parce que dans les circonstances actuelles… ce serait magnifique d’avoir un bâtiment de fête, qui soit positif », déclare-t-il au New York Times. « Symboliquement, c’est crucial ».
Pourtant, le musée ne semble pas échapper au symbolisme de ses salles désertes. « Oh, l’ironie ! Le Musée palestinien ouvre sans œuvres » s’exclame le journal populaire conservateur Israel Today, avant d’affirmer de façon stupéfiante qu’un musée vide symbolise un peuple sans culture.
Des articles plus nuancés dans The New York Times et The Washington Post adoptèrent un ton plus modéré mais toujours ironique, dans lequel les galeries désertes symbolisent un échec de la direction palestinienne. « Cela renforce l’impression que les Palestiniens ne peuvent tout simplement pas agir de concert, qu’ils ont construit un monument désert », déclare The Washington Post. Pour The New York Times, les galeries désertes ne sont apparemment et une fois encore qu’un autre exemple d’une initiative culturelle « qui a échoué à gagner du terrain et à trouver un rôle cohérent de leader » depuis les Accords de paix d’Oslo.
Le Musée n’est pas financé par l’Autorité palestinienne. C’est le projet phare de Taawon (l’ancienne association Bien-Être), une ONG palestinienne indépendante.
Néanmoins, l’accent sur les galeries désertes s’explique en partie par la promotion antérieure du musée pour une exposition inaugurale appelée « Never Part », qui devait exposer les objets laissés par les réfugiés palestiniens depuis 1948. Ce concept était développé par l’ancien directeur Jack Persekian, qui démissionna l’année dernière suite à des divergences avec le conseil du Musée.
Comme Qattan l’explique au journal israélien Ha’aretz, le conseil espère réaliser quelque chose de plus vaste qu’un musée du souvenir de la Nakba (la Catastrophe), laquelle est commémorée par les Palestiniens le 15 mai de chaque année pour marquer le transfert de 700 000 personnes en 1948. « Nous avons voulu célébrer la culture palestinienne et le présent, les jeunes gens particulièrement, d’une manière qui nous permette de regarder devant nous et pas seulement derrière », déclare Qattan.
Ce n’est pas la première inauguration sans objets à exposer
Bien qu’inhabituelle, l’inauguration d’un musée sans œuvres à exposer n’est pas sans précédent. Le musée juif de Berlin, par exemple, fut ouvert en 1999, mais ne reçut pas le moindre objet avant 2001. Dans ce cas, l’inauguration célébra l’achèvement d’un élément emblématique du design contemporain par l’architecte Daniel Libeskind. Le bâtiment à lui seul attira plus de 350 000 personnes, démontrant qu’un musée est plus que les objets qu’il détient.
L’article paru dans Ha’aretz est le seul sur lequel je suis tombé qui place le musée palestinien dans ce contexte.
Comme le Musée juif de Libeskind, le Musée palestinien est un exemple frappant du design contemporain. L’architecte Roisin Heneghan, dont la société Heneghan Peng basée à Dublin a obtenu le projet dans un concours international en 2011, a cherché à intégrer le bâtiment avec le coteau sur lequel il se trouve. On parvient au musée par une série de jardins en terrasses couverts de céréales, d’arbres fruitiers et d’herbes aromatiques, qui représentent une histoire horticole de la région. Le bâtiment se dresse au sommet de la colline alors que trois triangles élégants de calcaire avec des panneaux de verre reflètent les terrasses en contrebas.
Le bâtiment est la première structure dans les territoires palestiniens à répondre à la norme environnementale de construction, et il a été récompensé par l’indice rare du Leadership in Energy and Environmental Design, (système de standardisation de bâtiments à haute qualité environnementale). Il est maintenant l’un des plus grands espaces publics en Cisjordanie.
L’achèvement dans les temps du bâtiment est remarquable étant donné les difficultés logistiques que lui opposa l’occupation. Les importations, selon certaines sources, subirent de longs retards et des augmentations soudaines des coûts, et des matériaux furent refoulés à la frontière. L’architecte paysagiste, Lara Zureikat, n’a pu réussir à obtenir un visa pour se rendre sur le site depuis la Jordanie où elle vit.
Le nouveau directeur du musée, Mahmoud Hawari, espère mettre en place les premières œuvres à exposer d’ici la fin de l’année. Et le musée ne restera pas désert en attendant car le public peut désormais visiter cette remarquable structure, et s’y promener librement.
James Fraser est le conservateur du Projet pour le Levant au British Museum. Cet article a d’abord été publié sur TheConversation.com/uk.
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Source: Middle East Eyes