L’équipe des champions de Gaza

Hamza Abu Eltarabesh – 5 juillet 2018

La formation d’une équipe de joueurs de football amputés à Gaza a permis à des Palestiniens blessés par Israël de continuer à pratiquer ce sport qu’ils aiment. (Ashraf Amra APA Images)

Comme des milliards d’autres, Abdelrahman Nofal, 13 ans, est resté ces jours-ci collé devant son écran de télévision, à regarder la Coupe du monde en Russie.

Contrairement à la plupart, Nofal est lui aussi un footballeur ayant de l’ambition, mais ses rêves ont été circonscrits par la dangereuse réalité de Gaza.

« Je n’ai jamais entendu dire qu’un footballeur palestinien aurait été pris dans une grande équipe internationale » a déclaré Nofal, qui vient du camp de réfugiés de Bureij dans le centre de la bande de Gaza, à The Electronic Intifada. Il veut être le premier.

Ce garçon, c’est comme un héros local. Le 17 avril, lors des récentes manifestations pour la Grande Marche du Retour, il a été touché par la balle d’un tireur d’élite israélien.

Opéré d’urgence deux jours plus tard, il a été amputé de sa jambe gauche sous le genou. Et c’est sous des applaudissements chaleureux que le 2 juin, non seulement il est entré sur le terrain avec la toute nouvelle Équipe des champions, mais aussi qu’il a marqué un but montrant toute ses capacités, contrôlant le ballon de la poitrine avant de tirer de son pied droit.

Nofal est le plus jeune joueur d’une équipe dont le plus âgé a 42 ans, il est le premier du genre à Gaza et est déjà populaire à Deir al-Balah dans le centre de la bande de Gaza, où se trouve le camp de Bureij. Au total, l’équipe compte 16 joueurs.

Tous, ils ont perdu au moins un membre au cours des 11 années passées de bombardements et de siège, et tous, sauf deux, ont perdu leur membre à cause de la violence israélienne.

L’équipe a tenu sa toute première séance d’entraînement le 30 mars, le jour même où les manifestations pour la Grande Marche du Retour commençaient. Nofal n’a rejoint l’entraînement que le 2 juin et même alors, son entraînement a dû être interrompu car il lui fallait poursuivre sa rééducation.

« Un moral élevé »

Aujourd’hui, ses rêves de carrière dans le football sont une source de réconfort pour le garçon.

« De penser au football me met à l’aise et m’évite de penser à ma blessure » dit-il. « Cela m’aide à garder mon moral élevé ».

Nofal est l’un des près de 50 Palestiniens à avoir été amputés au cours des manifestations de Gaza qui marquaient les 70 années depuis l’expulsion des Palestiniens en 1948, une expulsion qui a fait de la plupart d’entre eux, et notamment de la famille de Nofal, des réfugiés.

Quarante-huit de ces blessés ont perdu au moins un de leurs membres inférieurs, selon Ashraf al-Qedra, porte-parole du ministère de la Santé de Gaza.

Et ce n’est là qu’une poignée des plus de 4000 personnes qui ont été blessées par les tirs à balles réelles des Israéliens depuis le 30 mars. Plus de 140 Palestiniens de Gaza ont été tués durant cette période, la plus grande partie pendant les manifestations.

Fouad Abu Ghalioun, 53 ans, membre du Comité paralympique palestinien, s’est inspiré de sa défunte mère, Amneh, pour mettre sur pied l’équipe de Deir al-Balah. Amneh a perdu sa jambe droite en 1949, lors d’un bombardement israélien sur le secteur de Deir al-Balah. Elle a tout de même réussi à élever ses sept fils.

« J’étais le plus jeune parmi mes frères, et je suis resté avec ma mère pour l’aider aux travaux ménagers » dit Abu Ghalioun.

« La regarder y faire face a été parfois douloureux pour moi et mes frères, surtout l’hiver quand elle souffrait beaucoup de sa jambe à cause du froid. Elle a toujours dit qu’elle ressentait cette douleur comme si on la poignardait à coups de couteaux ».

Ce qu’a vécu Abu Ghalioun avec sa mère l’a conduit à travailler avec les personnes handicapées. Il n’a jamais perdu son amour du sport.

Et, à la fin de l’année dernière, c’est en regardant un match international de football de joueurs amputés, entre l’Angleterre et la Turquie, avec son ami Mahmoud al-Nawook qui, lui, a perdu ses deux jambes en juillet 2014 lors de l’offensive israélienne contre Gaza, que tous les deux ont décidé d’honorer la mémoire d’Amneh en créant une équipe de football pour amputés à Gaza.

« J’ai commencé par appeler directement les gens pour réunir une équipe » dit Abu Ghalioun. « J’ai fait des recherches auprès d’équipes internationales d’amputés pour en savoir davantage sur les besoins et la logistique. J’ai finalement trouvé une association à Deir al-Balah pour accueillir l’équipe ».

Al-Nawook, 37 ans, est maintenant le manager de l’équipe, tandis qu’Abu Ghalioun concentre ses efforts sur la mise en place d’équipes similaires dans l’ensemble de la bande de Gaza.

« Le sport peut guérir »

Les règles du football pour les amputés sont un peu différentes des règles habituelles du football. Une équipe se compose de sept joueurs au lieu de 11, elle permet un nombre illimité de remplacements, et un match ne dure que 50 minutes au lieu de 90.

Il y a aussi des règles pour ceux qui peuvent ou ne peuvent pas participer. Les joueurs hors champ peuvent avoir leurs deux mains, mais ils ne doivent avoir qu’une jambe.

Ils ne sont pas autorisés à manipuler le ballon avec leurs béquilles, ce serait considéré comme une faute. Et les gardiens de but peuvent avoir leurs deux jambes, mais seulement une main.

Il y a quatre ans, Islam Amoum, 27 ans, était considéré comme le meilleur gardien de but du camp de Bureij. Mais en 2014, pendant que l’armée israélienne pilonnait la bande de Gaza lors de l’offensive de juillet-août, Amoum a perdu son bras gauche dans un bombardement près de sa maison.

Islam Amoum, connu comme le meilleur gardien de but du camp de réfugiés de Bureij, a perdu son bras lors de l’agression d’Israël contre Gaza, durant l’été 2014. (Ashraf Amra APA Images)

Amoun a par la suite laissé tomber le jeu et a obtenu un diplôme en littérature anglaise à l’Université islamique de Gaza en 2016. Et lorsqu’il a été contacté la première fois, il a refusé l’idée de jouer pour une équipe d’amputés.

« Après ma blessure, je me sentais intimidé de n’avoir qu’un bras. Je sentais que les gens étaient tout le temps en train de me regarder » a déclaré Amoum à The Electronic Intifada. « Je ne sortais que la nuit. Il m’a fallu presque sept mois pour apprendre à faire face à ma nouvelle situation ».

Mais finalement, il a été convaincu et après s’être d’abord débattu avec les nouvelles règles, ce père de trois enfants est heureux d’avoir recommencé à jouer.

« Le sport peut guérir le corps et l’âme » dit-il.

Maintenant, il espère pouvoir aider à convaincre d’autres personnes handicapées de redevenir des actifs dans le sport.

« Nous ne sommes pas faibles »

Il est encore trop tôt pour l’équipe, mais ils essaient d’être aussi bien préparés que possible. L’entraîneur, Khaled al-Mabhouh, 32 ans, et son assistant, Muhammad Abu Sharif, 42 ans, ont conçu un programme spécial d’entraînement destiné spécifiquement aux personnes handicapées.

« L’entraînement de ces jeunes hommes peut être une question très délicate » a dit al-Mabhouh à The Electronic Intifada. « Une mauvaise utilisation des mots peut être blessante et je mets beaucoup l’accent sur le côté psychologique de l’entraînement ».

Le programme de l’entraînement a été préparé en coopération avec les cinq membres du conseil d’administration de l’équipe. Tous ont l’expérience des personnes avec handicap, et l’un d’eux, al-Nawook, est lui-même handicapé.

Sur le plan physique, Abu Sharif se méfie de pousser les joueurs trop durement. « Nous devons toujours garder à l’esprit que l’entraînement doit être un peu différent. Il y a plus de pression sur moins de muscles et nous devons veiller à ne pas stresser le corps des joueurs ».

Les sessions d’entraînement sont suivies de conseils individuels avec le psychologue Eyad al-Ghafary, 42 ans. Certains joueurs craignent encore de  jouer en public en raison d’un sentiment d’infériorité du fait de leurs blessures, a dit al-Ghafary à The Electronic Intifada.

« Nous ne sommes pas faibles » dit Wahid Rabah, que l’on voit ici à gauche, l’athlète le plus âgé de l’équipe. (Ashraf Amra APA Images)

L’équipe est aussi confrontée à des problèmes matériels. La plupart des joueurs sont issus d’un milieu pauvre et n’ont pas les moyens d’acheter des béquilles spécialisées, dit al-Mabhouh.

Au nord, les béquilles pour le sport coûtent cent dollars chacune. Actuellement, les joueurs utilisent des versions moins chères, mais qui sont facilement endommagées.

Pour autant, les joueurs commencent déjà à ressentir les bienfaits de leur retour à leur passion, et ils sont déterminés à ne pas laisser les défis auxquels ils sont confrontés se mettre en travers de leur chemin.

« Nous ne sommes pas faibles » dit Wahid Rabah, 42 ans, le plus âgé des joueurs de l’équipe, et ancien employé de l’Autorité palestinienne. « Nous sommes capables de pratiquer le sport que nous aimons ».

Pourtant, pour ce père de cinq enfants, quelques améliorations simples seraient les bienvenues. « Nous avons besoins de vestiaires. Les gens s’arrêtent encore pour nous dévisager quand nous nous changeons après l’entraînement ».

Hamza Abu Eltarabesh est un journaliste de Gaza.

Source : The Electronic Intifada
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

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