Bridey Heing – 24 juin 2019
Ce qui fut un jour une exposition itinérante racontant l’histoire des Palestiniens est maintenant installée de façon permanente à Washington DC ; une institution qui espère modifier les perceptions de la Palestine en Occident.
Photo d’une cérémonie de mariage à Bethléem vers 1940-46 qui fait partie des objets exposés au musée, mettant en relief la vie des Palestiniens. Bibliothèque du Congrès/ musée du peuple palestinien
Le Musée du Peuple Palestinien a ouvert ses portes à Washington DC, au début du mois de juin. Ce musée est une première dans la ville et il a pour mission de raconter les histoires du peuple de Palestine, à favoriser des échanges sur ce qu’être palestinien et pour nourrir une meilleure compréhension d’une identité qui demeure hautement politisée et largement obscurcie en Occident.
« C’est un musée où les gens sont initiés à l’histoire de la Palestine et des Palestiniens en tant que peuple, et non à un fait d’actualité » dit Nizar Farsakh, le président du musée. Farsakh, qui a conseillé des dirigeants palestiniens, et s’est engagé dans le projet après avoir rencontré le fondateur et directeur, Bshara Nassar.
L’idée d’un musée palestinien lui est venue en 2014, puis il l’a déployée sous forme d’une démonstration itinérante, un an plus tard. Mais il a passé plusieurs années à travailler pour réaliser sa vision ultime d’un musée, plutôt qu’une simple exposition. En plus des différents problèmes auxquels fait face toute initiative, comme le financement, il a aussi rencontré une résistance collective à cette idée. « Beaucoup de gens ont dit : ‘Non, cela ne se fera pas’ » dit-il.
Farsakh dit que cette résistance n’était pas due au manque de désir de dire l’histoire palestinienne mais plutôt avec la perception qu’ils rencontreraient d’énormes obstacles parce que l’histoire qu’ils voulaient raconter était trop chargée politiquement et source de division. « La communauté arabe-américaine ressent à quel point il est difficile de parler de la Palestine de façon juste et équilibrée » dit-il.
Il a fallu du temps, mais lui et Nassar ont été capables de construire les fondements d’une puissante base de soutien. Ils estiment qu’environ la moitié du financement du musée est venue de donateurs individuels et que les objets qui leur ont été donnés manifestent la forte confiance en leur capacité de dire l’histoire palestinienne. « Nous avions réalisé que nous avons un rôle dirigeant à jouer dans notre communauté, pour lui donner le courage d’imaginer, d’avoir de l’espoir et d’avoir cette vision ».
Nassar dit que Washington se prête naturellement à ce projet. « Tant de peuples sont venus à DC partager leurs histoires » dit-il, citant l’empreinte tentaculaire du Smithsonian dans la ville et les manières par lesquelles le réseau du musée a donné une place aux histoires marginalisées. Il dit qu’il espère que cette initiative aura aussi une place permanente dans ce paysage. « Nous voulons que notre histoire ne soit pas racontée qu’une seule fois, pas comme un événement, mais encore et toujours » dit-il. « Nous voulons que ceci soit un espace où les gens puissent venir constamment entendre notre voix ».
« Un jour normal » (2018) de Ahmed Hmeedat, est une œuvre d’art exposée au Musée du Peuple Palestinien
La collection occupe la pièce principale du rez-de-chaussée d’une maison s’élevant dans une enfilade de constructions du nord ouest de DC. Ce lieu, donné par une famille, abritera le musée pour deux ans. Nada Odeh, venue de Syrie à Washington en 2013 et qui est maintenant la conservatrice en chef du musée, dit que l’équipe a lancé un appel à dons d’objets pouvant remplir l’espace et y rester pour la durée de l’exposition dans ce lieu. Il a été stipulé que les objets doivent être la propriété des gens qui les offrent, dans le cadre d’un effort pour préserver le musée d’être, par inadvertance, attiré dans le marché noir qui a pillé en partie le Moyen Orient.
La première exposition montre la large variété des objets donnés. Des photos de mariage et des passeports de la période du mandat britannique voisinent avec des affiches de la résistance et des oeuvres- récentes d’artistes palestiniens.
Des vases centenaires et de la verrerie sont aussi exposés, de même qu’une édition du National Geographic de 1914 dans laquelle sont présentées la « terre sainte » et la tradition agricole palestinienne. En quittant l’exposition permanente, on peut voir le Mur des Célébrités, une collection de portraits de savants, de féministes, d’entrepreneurs et d’autres, tous palestiniens – montrant l’impact que la diaspora a eu dans le monde. De même que les objets eux-mêmes, des panneaux sur les murs expliquent les visages de l’histoire du pays, dont la Nakba et la diaspora moderne palestinienne.
« La lutte pour la justice est encore jeune » (1970), affiche de l’Union Générale des Étudiants Palestiniens /Dessins de Libération. Photo Bridey Heing. Avec l’aimable autorisation du Musée du Peuple Palestinien
En rencontrant des membres de la communauté palestinienne, l’équipe du musée a pu demander directement ce qui devrait être mis en relief et a pu discuter de comment leur histoire devrait être racontée. Des efforts ont été faits pour inclure autant de représentations de l’identité palestinienne que possible, pour s’assurer que leur description était exhaustive. Mais tisser cela en une narration cohérente a été un défi pour Odeh. « C’est une longue histoire et une culture riche que l’on veut exposer, mais on ne peut pas tout mettre au mur » dit-elle.
La première exposition temporaire, Re-imaginer un avenir, la Femme Fellah à la feuille d’or et d’argent, de l’artiste visuelle Dalia Elcharbini, souligne la préoccupation politique et idéologique qui colore les visions du futur de la Palestine.
Mais les objets du musée sont véritablement plus un point de départ qu’une fin. L’espace est conçu pour être un pôle d’échanges sur ce que veut dire être Palestinien, au moyen d’événements, d’ateliers, de performances et de partenariats avec des institutions et des organisations dans l’ensemble des États Unis. « Nous ne voulons pas être l’autorité. Nous voulons en faire le musée des gens et les intéresser le plus possible » dit Farsakh.
La définition de la mission du musée dit qu’elle espère créer un espace « où les gens ne soient pas marginalisés à cause de distinctions artificielles utilisées pour créer des frontières entre » nous ».
Farsakh dit qu’il veut que le musée soit un lieu où des non-Palestiniens peuvent voir leur propre reflet dans des préoccupations humaines, des espoirs et des expériences universels. « Nous voulons que les visiteurs viennent, nous entendent raconter nos histoires à notre façon et s’y retrouvent et trouvent ce que nous avons de commun en tant qu’êtres humains » dit-il.
‘Femme Fellah’ de Dalia Elcharbini au Musée du Peuple Palestinien
En liant le public à l’expérience palestinienne, l’équipe veut promouvoir un changement profond dans la façon dont l’Occident approche le débat politique tendu autour de la Palestine, tout en donnant aussi une place aux immigrants de Palestine pour qu’ils témoignent de leurs histoires.
« C’est la chose qui va avoir l’impact le plus fort pour modifier le débat », dit Farsakh. « Notre but et notre vision ne sont rien moins que la refondation du débat sur la Palestine et les Palestiniens et ici est l’endroit pour le faire ».
Le Musée du Peuple Palestinien à Washington DC est désormais ouvert
Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine
Source : The Nation