L’Orchestre des jeunes de Palestine est en tournée en Europe, ayant dû faire des répétitions par Skype à cause des restrictions aux déplacements.
Par Samira Shackle, 5 août 2019
Lorsque Nai Barghouti avait 11 ans, elle essayait un jour d’aller de chez elle en Cisjordanie occupée jusqu’à Jérusalem pour y prendre un cours de musique, comme elle le faisait chaque semaine.
Elle a été arrêtée à un checkpoint et on lui a dit qu’elle n’avait pas les bons documents ; elle emportait toujours une photocopie de son certificat de naissance, mais cette fois-ci le soldat israélien exigeait l’original.
N. Barghouti n’arrêtait pas de répéter qu’elle venait chaque semaine, mais le soldat ne voulait pas transiger.
En larmes, elle a appelé son père, qui est venu la chercher. Il lui a demandé si elle voulait rentrer à la maison ou essayer d’aller à Jérusalem par un autre chemin.
« J’ai dit ‘non, je ne rentre pas à la maison, parce que c’est ce qu’ils veulent’ », se souvient Nai. « Même maintenant, cela signifie beaucoup pour moi d’aller aux cours de musique. C’est mon droit. Et en Palestine, l’art est devenu un privilège, pas un droit. »
Aujourd’hui, N. Barghouti est flûtiste et chanteuse dans l’Orchestre des jeunes de Palestine (OJP), qui est actuellement en tournée en Europe.
L’orchestre a été créé en 2004 par Suhail Khoury, le directeur général du Conservatoire de musique Edward Said à l’Université de Beir Zeit en Cisjordanie, avec pour vocation de réunir des jeunes musiciens palestiniens et de les aider à se développer.
« J’ai réalisé en circulant dans la région qu’il y avait beaucoup de jeunes musiciens Palestiniens talentueux, mais comme c’est le cas pour tous les Palestiniens, ils étaient dispersés dans différents lieux sur terre », dit S. Khoury.
« J’ai décidé de les réunir dans un projet culturel commun. Je voulais leur dire qu’où qu’ils soient, de quelque génération qu’ils soient, ils étaient toujours palestiniens, et que s’ils étaient musiciens, ceci était leur adresse. L’OJP est un groupe qui vous réunira tous. »
Lorsque l’orchestre a été créé, les candidatures étaient ouvertes aux personnes vivant en Palestine et dans toute la diaspora.
Des musiciens du monde entier ont postulé. Les conditions d’entrée ont maintenant changé, pour accepter de jeunes musiciens (de 14 à 26 ans) de tout le monde arabe.
L’orchestre a été créé en 2004 par Suhail Khoury, le directeur général du Conservatoire de musique Edward Said à l’Université de Beir Zeit en Cisjordanie [avec l’aimable autorisation de Suhail Khoury]
Au cours des années, l’OJP a donné des concerts au Moyen-Orient, dans les Territoires palestiniens occupés et en Europe.
La tournée actuelle inclut des concerts à Oslo, Copenhague et Amsterdam.
« Normalement, lorsque les gens parlent des Palestiniens, c’est parce que nous sommes sous occupation et défavorisés », dit N. Barghouti. « L’OJP montre le côté puissant, beau, créatif de la Palestine, qui est si présent. »
Si créer un orchestre de jeunes ne semble pas être une entreprise très compliquée, dans le contexte palestinien c’est un parcours semé d’embûches.
« C’est un vrai défi parce que les gens ne peuvent pas facilement se retrouver », dit S. Khoury.
Les musiciens de la Bande de Gaza se voient régulièrement refuser des permis de voyager par les autorités israéliennes, même lorsque des visas pour sortir du pays leur ont été attribués. Les musiciens palestiniens vivant au Liban ou en Syrie ne parviennent souvent pas à obtenir des autorisations pour se rendre en Cisjordanie pour jouer. Les répétitions doivent parfois se faire sur Skype.
En général, le groupe se réunit une semaine avant la tournée, dans un lieu neutre, pour répéter intensivement – cette année, cela a eu lieu en Norvège.
Ces restrictions strictes de leurs mouvements reflètent un schéma général ; une étude menée en juillet 2018 recensait 705 obstacles permanents en Cisjordanie, qui restreignent ou soumettent à un contrôle les déplacements de Palestiniens en véhicule ou à pied.
« Cela va avec le refus du droit au retour des réfugiés palestiniens, qui constituent toujours la majorité des Palestiniens. Les Palestiniens citoyens d’Israël et les Palestiniens de Jérusalem sont également soumis à des formes spécifiques de contrôle de leurs vies et de leurs mouvements », décrit Rafeef Ziadah, enseignant en sciences politiques à l’École des études orientales et africaines de l’Université de Londres.
« Il est ainsi difficile pour les Palestiniens de se rencontrer au-delà de ces barrières, de s’organiser collectivement et de voyager. C’est pourquoi un projet tel que l’OJP est très important – son existence même représente fondamentalement un défi au système d’oppression qui sépare les Palestiniens entre eux et les isole du reste du monde. »
La musique, en particulier, a fait face à des obstacles importants.
Le Conservatoire de musique Edward Said s’appuie entre autres sur des enseignants étrangers, dont beaucoup se sont vu refuser des visas par les autorités israéliennes ces dernières années.
Au cours de l’année académique 2017-2018, quatre enseignants internationaux sur 20 se sont vu refuser un visa ou l’entrée sur le territoire ; et en 2018-2019, ils étaient 8 sur 19 dans ce cas.
« Les assauts d’Israël contre les Palestiniens ne se limitent pas au vol de la terre et à l’occupation militaire, mais ils sont également des assauts contre la culture palestinienne dans son entier », dit R. Ziadah.
« Des projets culturels continuent d’être au cœur de la résistance palestinienne. Ils ne fonctionnent pas tout seuls, évidemment, mais ils sont un élément crucial du mouvement pour la liberté car ils rassemblent les personnes dans la lutte et remettent en question les perceptions négatives et les stéréotypes, tout en affirmant la vie contre la brutalité organisée de l’armée israélienne. »
C’est certainement ce que ressent Lyan Najim.
Altiste au sein de l’OJP, elle a grandi à Ramallah et, tout comme N. Barghouti, a commencé à étudier la musique au Conservatoire de musique Edward Said.
« Être musiciens en Palestine signifie avoir des opportunités et des possibilités limitées. Non par manque de potentiel, mais à cause des problèmes de déplacement et d’autres obstacles », dit-elle.
« Les gens disent parfois que l’OJP montre ‘l’autre’ côté des Palestiniens, mais je pense qu’il montre le vrai visage des Palestiniens : nous sommes ouverts, nous avons des rêves, nous avons du potentiel et nous aspirons à être égaux. »
S. Khoury dit que son objectif premier pour l’OJP est de simplement poursuivre le projet ; entre les contraintes budgétaires et la bataille constante sur le front des visas et des permis de voyage, c’est déjà une tâche importante en soi.
Fondamentalement, l’OJP cherche à faire deux choses : donner à de jeunes musiciens l’opportunité de développer leurs talents et de se produire sur la scène internationale, et unifier culturellement et politiquement les Palestiniens.
« Il a aussi eu un impact auquel je n’avais pas pensé : il est devenu une source de fierté », dit S. Khoury. « C’est très important pour les Palestiniens, étant donné les évolutions actuelles. Les gens sont vraiment déprimés par la situation politique. Or cela leur donne de l’espoir et de la fierté. Ces enfants sont leurs enfants, et nous les avons tous vus grandir. »
Samira Shackle est une journaliste indépendante basée à Londres.
Traduction : MUV pour l’Agence Média Palestine
Source : Al Jazeera News