Le plan d’annexion d’Israël : le monde est plus qu’un simple partenaire silencieux

Par Orly Noy, le 2 juillet 2020

Empêcher l’annexion marquerait une petite victoire, mais un objectif bien plus significatif est de mettre fin à l’oppression actuelle des Palestiniens.
Une jeune femme tient une pancarte avec ces mots : « Israël criminel », lors d’une manifestation à Nantes contre le projet d’Israël d’annexer un tiers de la Palestine le 1er juillet (Reuters)

La date limite du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour lancer l’annexion est passée, et le monde a continué de tourner sur son axe.

Il n’y a aucune annexion en cours, du moins pas encore – bien que le contrôle brutal d’Israël sur les territoires palestiniens se poursuit assurément.

Il est difficile de savoir si et quand l’annexion reviendra à l’ordre du jour comme une possibilité d’importance. Comme tout ce qui se passe sous le gouvernement Netanyahu, ce sujet est exclusivement lié aux intérêts politiques d’un Premier ministre qui fait l’objet d’une enquête. Lorsqu’elle le servira politiquement, alors l’annexion reviendra sur la table.

La logique du sionisme

En attendant, rappelons que même si le calendrier et les dimensions de l’annexion sont liés aux intérêts de Netanyahu, sa logique interne découle de la logique interne du sionisme lui-même.

C’est tout naturellement qu’un régime fondé sur le colonialisme de peuplement et sur une idéologie de suprématie juive qui remontent à 72 ans, et en vigueur depuis plus d’un demi-siècle par un contrôle militaire direct sur les Palestiniens qui ont été dépouillés de tout droit, cherche à passer d’un contrôle de facto à une souveraineté de jure.

Les plus optimistes d’entre nous peuvent être encouragés par le consensus déclaré d’une communauté internationale qui s’oppose à « une annexion unilatérale ».

Les réalistes riront amèrement. Depuis quand la question de la réciprocité à propos de ce conflit a-t-elle tracassé le reste du monde ? Quand les Palestiniens ont-ils donné leur accord pour cette occupation agressive, comme prologue à l’intérêt qu’exprime actuellement le monde pour la position des Palestiniens sur l’institutionnalisation d’un pillage par une annexion ?

Il y a un vieux conte populaire juif où un villageois juif se plaint auprès du rabbin local de la surpopulation épouvantable que lui et sa famille doivent supporter dans leur petite maison. Le rabbin ordonne alors à l’homme de rentrer chez lui et d’amener la chèvre de la famille à l’intérieur de la maison, et l’homme, étonné, fait comme demandé.

Le lendemain il revient, se plaignant plus bruyamment encore que la petite maison est plus remplie que jamais. Le rabbin lui dit d’aller mettre aussi les poules de la famille dans la maison. Désespéré, le villageois juif obéit à nouveau.

Et le lendemain, il revient se plaindre, en larmes, auprès du rabbin que la vie dans la maison est devenue insupportable. « Maintenant, lui dit le rabbinremets les poules dehors, et n’oublie pas la chèvre ». ; Le lendemain, le villageois, reconnaissant, est de retour avec ce propos : « Comme la maison est spacieuse maintenant ! ».

Une sonnerie de réveil assourdissante

L’opposition internationale à l’annexion n’est pas sans importance. Jérusalem-Est montre suffisamment la signification pour les Israéliens d’imposer une souveraineté sur une population palestinienne dépourvue de tout droit effectif de citoyenneté. Mais si, dans la déclaration officielle d’Israël de son intention d’annexer des parties de la Cisjordanie, la communauté internationale ne perçoit pas comme une sonnerie assourdissante, alors la question de l’annexion deviendra comme la chèvre du vieux conte populaire. 

Le monde ne doit pas laisser cette question de l’annexion détourner son attention de l’occupation israélienne de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et du plateau du Golan, du siège de la bande de Gaza, ou du régime suprémaciste juif à l’intérieur des frontières de 1948 d’Israël. Même si toute l’affaire de l’annexion est maintenant gelée en raison de considérations politiques, la communauté internationale ne peut ignorer deux points essentiels.

Premièrement, la communauté internationale porte une responsabilité directe dans la poursuite de l’occupation des territoires palestiniens. Elle s’est abstenue de toute critique incisive à l’encontre d’Israël, elle a collaboré pour faire taire toute opposition en tant qu’ « antisémitisme », et elle a refusé d’imposer les sanctions politiques et économiques sévères que la politique d’Israël auraient dû déclencher.

De plus, la communauté internationale n’est pas qu’un partenaire silencieux dans l’occupation ; elle en est un partenaire actif, à part entière, avec une abondance de projets économiques, militaires et politiques fructueux – lesquels, tous, servent à intensifier l’oppression violente contre le peuple palestinien.

Deuxièmement, jusqu’ici, Israël a réussi à se dérober au jugement des tribunaux internationaux en prétendant que l’occupation est temporaire. Aujourd’hui, il n’y a plus aucun doute : le gouvernement israélien admet ouvertement que, de son point de vue, l’occupation n’est pas temporaire et que, par la force de la loi, il a l’intention de rendre la situation définitive. 

Un apartheid officiel

En effet, en déclarant son intention d’annexer, Israël admet que la situation à laquelle il aspire est officiellement un apartheid. Il prévoit que deux systèmes judiciaires séparés régiront deux populations différentes sur un même secteur, sur la base de leur origine ethnonationale, dans le cadre de dispositions définitives. C’est précisément ainsi que se définit l’apartheid.

La situation dans les territoires occupés est déjà telle qu’un colon israélien et un habitant palestinien qui commettent les mêmes violations de la loi, sur le même mètre carré de terre, sont jugés par deux tribunaux distincts sur la base de lois différentes.

Alors que le monde s’est jusqu’à présent complu à détourner son regard de cet apartheid de facto, la déclaration d’annexion devrait le contraindre à le regarder – à le voir – et à se prononcer. Israël admet maintenant officiellement qu’il n’a pas l’intention de mettre fin à l’occupation. Le monde a-t-il vraiment besoin d’une sonnerie plus retentissante pour se réveiller, pour imposer des sanctions attendues depuis si longtemps ?

Le monde peut arguer que l’annexion est plus dangereuse parce qu’elle exclut une solution à deux États. C’est, au mieux, inexact. Israël n’a pas eu besoin de l’annexion pour tuer la solution à deux États en imposant une réalité très dramatique sur le terrain, avec le soutien de la même communauté internationale qui, aujourd’hui, exprime une telle indignation.

Un nettoyage ethnique qui se poursuit

Chaque communauté palestinienne exclue par Israël dans le cadre de son nettoyage ethnique continu de la Cisjordanie, chaque colonie qui s’est installée sans réaction internationale, chaque famille palestinienne expulsée de sa maison à Jérusalem-Est pour qu’une famille de colon puisse s’y installer : chacun de ces actes a été un clou de plus dans le cercueil d’une solution à deux États, pendant que le reste du monde regardait ailleurs.

Empêcher cette annexion serait un acte petit d’opposition politique et morale de la part de la communauté internationale. Une mission bien plus significative et excessivement importante consiste à mettre fin à l’occupation, à l’oppression et au vol pur et simple qui se poursuivent avec la même vigueur, chaque jour, avec ou sans annexion.

Il est plus que temps d’arrêter de se cacher derrière des excuses bien commodes. L’annexion, c’est juste cette chèvre dans la cour, rien de plus.

Orly Noy est une journaliste et militante politique basée à Jérusalem.

Traduction : BP pour l’Agence Média Palestine

Source : Middle East Eye

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