Quand ma fille a appelé Israël un état d’apartheid, j’ai objecté. Maintenant, je ne suis pas si certain

Par Allen S. Weiner & Katie A. Weiner, le 6 juillet 2020

Dans l’ombre de l’annexion, l’incarnation de la prévalence du pouvoir sur la justice et sur le droit international, je suis à court de contre-arguments. Et c’est ainsi qu’Israël est en train de perdre l’Amérique.

Merci de regarder attentivement l’Amérique, Monsieur le Premier ministre Netanyahu.

Regardez ses cités et ses villes, dont les rues sont submergées de manifestants réclamant une justice transformatrice et la fin d’une violence approuvée par l’état contre des civils innoncents.

Regardez le 16e district électoral de New York, où Eliot Engel, un fervent allié d’Israël au Congrès pendant plus de 30 ans, a été récemment éjecté par Jamaal Bowman, un éducateur noir progressiste qui a dit au magazine Jacobin qu’il ne « comprend pas pourquoi les contribuables américains subventionnent la détention d’enfants palestiniens alors que les Démocrates critiquent la détention des enfants à la frontière mexicaine. »

Regardez, et vous vous rendrez compte que plus de 50 ans de contrôle israélien sur la vie palestinienne en Cisjordanie et à Gaza et d’expansion des colonies juives érodent constamment le chaleureux appui de l’Amérique à Israël.

En tant que juif américain, fils d’un survivant de l’Holocauste, fermement convaincu du droit à l’auto-détermination tant des Israéliens que des Palestiniens, je sais. Je sais, en partie, à cause des nombreuses et longues conversations que j’ai eues sur Israël avec ma fille, une diplômée récente de Harvard qui étudie les droits humains.

En avril dernier, le Comité de solidarité avec la Palestine de Harvard a organisé la « Semaine de l’apartheid israélien », accueillant une série d’événements et de conférences qui mettaient en lumière l’injustice et la violence associées à l’occupation israélienne de la Cisjordanie. J’ai passé la plus grande partie de notre échange sur Facetime cette semaine-là à débattre avec ma fille pendant qu’elle défendait le choix du titre, faisait des comparaisons entre l’apartheid en Afrique du Sud et la Palestine contemporaine et se lamentait de ce que certains étudiants juifs semblaient plus soucieux de protéger la réputation d’Israël que des vies palestiniennes.

J’ai réagi. Je lui ai dit que cette comparaison était confuse et inexacte historiquement, que 20% des citoyens israéliens sont des Arabes palestiniens qui, en dépit d’une discrimination indéniable, possèdent un accès complet aux droits civiques et politiques. J’ai expliqué que l’occupation était bien sûr profondément problématique, mais qu’elle était finalement une mesure provisoire, pas un reflet de la croyance d’un peuple selon laquelle il serait habilité à en dominer de manière permanente un autre. Je lui ai dit que le mauvais gouvernement de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie était responsable de plus de mauvais traitements et d’injustice qu’elle ne le réalisait.

Je lui ai dit que, peut-être, si Israël annexait la Cisjordanie, faisant de cet état des choses supposé temporaire un système permanent d’inégalité devant la loi, nous pourrions parler d’apartheid — mais cela, j’en étais sûr, n’arriverait jamais.

Mais alors que l’impossible devient probable, je suis à court d’arguments. Vous faites un énorme pari, M. le Premier ministre, en espérant que le soutien de longue date des Etats-Unis pour Israël tiendra bon alors qu’Israël défie le droit international et déclare — comme le fait l’annexion — qu’il cherche à dominer de manière permanente et à contrôler les vies des Palestiniens. Mais votre confiance reflète un manque total de compréhension de la direction que prend l’État américain et de qui il voit comme partenaires dans la lutte contre la discrimination et l’inégalité.

Pendant des décennies, un consensus bipartisan a accueilli Israël comme un phare de la démocratie, un champion des droits humains et l’allié le plus important des États-Unis au Moyen-Orient. Ce partenariat a été crucial pour la sécurité et l’existence d’Israël.

De la reconnaissance d’Israël par le président Truman en 1948 au pont aérien d’urgence pour l’équipement militaire du président Nixon pendant les jours cruciaux de la guerre de Yom Kippur en 1973 et à l’actuel soutien financier, militaire et politique que les États-Unis fournissent à Israël, la notion que les Américains — démocrates et républicains, jeunes et vieux — se dresseraient inébranlablement au côté d’Israël a été un principe premier de la politique américaine.

Mais cet engagement, comme tant d’autres choses, est en train d’être déstabilisé par la vague de fond de progressisme qui ébranle la politique américaine. Israël est vu de moins en moins comme un pays vulnérable entouré d’une mer d’ennemis engagés à sa destruction et de plus en plus comme un tyran de quartier qui a pendant plus de 50 ans dénié au peuple palestinien la chose même à laquelle les juifs aspirent depuis la destruction du Deuxième temple — leur propre patrie.

Le soutien pour Israël s’amenuise dans la génération de ma fille. Dans un sondage de l’institut Gallup en 2019, seuls 17 % des Americains entre 18 et 34 ans — à comparer au 36 % de ceux au-dessus de 55 ans — ont exprimé une opinion « très favorable » d’Israël. Plus d’un tiers des Américains de moins de 35 ans ont dit qu’ils voyaient Israël de manière défavorable. La situation est particulièrement prononcée parmi les Démocrates, surtout les jeunes. Seuls 13% des Démocrates aujourd’hui ont une opinion très favorable d’Israël, contre 43% des Républicains.

Les histoires qui pourraient rationaliser le fait de prendre la terre d’un autre par la force — que ce territoire n’est pas réellement « occupé », que les péchés d’Israël sont mineurs comparés à ceux de ses voisins, qu’il n’y a pas de partenaire palestinien pour faire la paix, etc. — sont des histoires israéliennes, pas américaines. Pour la génération sceptique de ma fille, l’annexion ne représente qu’une autre instance de la prévalence du pouvoir sur la justice. Et je n’aurai pas de réponse.

L’annexion ne marquera pas le début de la chute d’Israël hors des grâces de l’Amérique progressiste — pour les jeunes Américains, ce sera la paille qui brise le dos du chameau. L’Amérique et Israël sont deux pays à la croisée des chemins — poursuivez l’annexion, M. le Premier ministre, et il deviendra clair qui a perdu l’Amérique.

Allen S. Weiner est Senior Lecturer de droit et directeur du programme de droit international et comparé à l’École de droit de Stanford. Il est aussi le directeur du Centre de Stanford sur le Conflit international et la négociation. Twitter : @AllenSWeiner

Katie A. Weiner est une diplômée récente, avec mention, de l’université de Harvard, où elle était rédactrice en chef adjointe de Harvard Political Review. Twitter : @katieaweiner

Traduction : CG pour l’Agence Média Palestine

Source : Haaretz

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