Les droits des Palestiniens et la définition de l’antisémitisme par l’IHRA

Le 29 novembre 2020

Un groupe de 122 universitaires, journalistes et intellectuels palestiniens et arabes exprime sa préoccupation quant à la définition de l’IHRA.

« La présentation de la campagne (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) comme antisémite est une distorsion grossière de ce qui est fondamentalement un moyen légitime et non violent de lutte pour les droits des Palestiniens » » Un manifestant palestinien avec une pancarte disant « Boycott, désinvestissement, sanctions » dans le village de Surif en Cisjordanie en 2013. Photo : Hazem Bader/AFP/Getty Images

Nous, universitaires, journalistes et intellectuels palestiniens et arabes soussignés, exprimons par la présente notre point de vue concernant la définition de l’antisémitisme par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), et la manière dont cette définition a été appliquée, interprétée et déployée dans plusieurs pays d’Europe et d’Amérique du Nord.

La lutte contre l’antisémitisme a été de plus en plus instrumentalisée, ces dernières années, par le gouvernement israélien et ses partisans dans un effort pour délégitimer la cause palestinienne et réduire au silence les défenseurs des droits des Palestiniens. Détourner la lutte nécessaire contre l’antisémitisme pour servir un tel programme menace d’avilir ce comabt et donc de la discréditer et de l’affaiblir.

L’antisémitisme doit être démystifié et combattu. Quel qu’en soit le prétexte, aucune expression de haine envers les Juifs en tant que tels ne devrait être tolérée où que ce soit dans le monde. L’antisémitisme se manifeste par des généralisations et des stéréotypes sur les Juifs, sur le pouvoir et l’argent en particulier, ainsi que sous forme de théories du complot et de la négation de l’Holocauste. Nous considérons comme légitime et nécessaire la lutte contre de telles attitudes. Nous pensons également que les leçons de l’Holocauste ainsi que celles des autres génocides des temps modernes doivent faire partie de l’éducation des nouvelles générations contre toutes les formes de préjugés et de haine raciale.

La lutte contre l’antisémitisme doit cependant être abordée de manière raisonnée, de crainte qu’elle ne soit contraire à son objectif. Par les « exemples » qu’elle fournit, la définition de l’IHRA assimile le judaïsme au sionisme en supposant que tous les Juifs sont sionistes et que l’État d’Israël, dans sa réalité actuelle, incarne l’autodétermination de tous les Juifs. Nous sommes en profond désaccord avec ce postulat. La lutte contre l’antisémitisme ne doit pas être transformée en un stratagème visant à délégitimer la lutte contre l’oppression des Palestiniens, la négation de leurs droits et la poursuite de l’occupation de leur terre. Nous considérons que les principes suivants sont essentiels à cet égard :

1. La lutte contre l’antisémitisme doit être menée dans le cadre du droit international et des droits humains. Elle doit s’inscrire dans le cadre de la lutte contre toutes les formes de racisme et de xénophobie, y compris l’islamophobie, et le racisme anti-arabe et anti-palestinien. Le but de cette lutte est de garantir la liberté et l’émancipation de tous les groupes opprimés. Elle est profondément déformée lorsqu’elle est orientée vers la défense d’un État oppresseur et prédateur.

2. La différence est immense entre une situation où les Juifs sont ciblés, opprimés et brimés en tant que minorité par des régimes ou des groupes antisémites, et une situation où l’autodétermination d’une population juive en Palestine/Israël a été accomplie sous la forme d’un Etat fondé sur l’exclusion ethnique et l’expansion territoriale. Tel qu’il existe actuellement, l’État d’Israël est fondé sur le déracinement de la grande majorité des autochtones – ce que les Palestiniens et les Arabes appellent la Nakba – l’assujettissement des autochtones qui vivent encore sur le territoire de la Palestine historique en tant que citoyens de seconde zone ou peuple sous occupation, auxquels est refusé le droit à l’autodétermination.

3. La définition de l’antisémitisme de l’IHRA et les mesures juridiques connexes adoptées dans plusieurs pays, ont été principalement utilisées contre des groupes de gauche et de défense des droits humains soutenant les droits des Palestiniens et la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), laissant de côté la menace très réelle que représentent pour les Juifs les mouvements nationalistes blancs de droite en Europe et aux États-Unis. La présentation de la campagne BDS comme antisémite est une déformation grossière de ce qui est fondamentalement un moyen légitime et non-violent de lutte pour les droits des Palestiniens.

4. La définition de l’IHRA prend pour exemple  « le fait de nier au peuple juif son droit à l’autodétermination, en prétendant par exemple que l’existence d’un État d’Israël est une entreprise raciste » ; c’est est assez étrange. Ce faisant, elle ne s’embarrasse pas de reconnaître qu’en vertu du droit international, l’État d’Israël actuel est une puissance occupante depuis plus d’un demi-siècle, comme le reconnaissent les gouvernements des pays où la définition de l’IHRA est soutenue. La définition ne se soucie pas de savoir si ce droit inclut le droit de créer une majorité juive par le biais du nettoyage ethnique et s’il doit être mis en balance avec les droits du peuple palestinien. En outre, la définition de l’IHRA écarte potentiellement comme antisémites toutes les visions non sionistes de l’avenir de l’État israélien, comme la défense d’un État binational ou d’un État laïque et démocratique fondé sur l’égalité de tous ses citoyens. Un véritable soutien au principe du droit d’un peuple à l’autodétermination ne peut exclure la nation palestinienne, ni aucune autre.

5. Nous pensons qu’aucun droit à l’autodétermination ne doit inclure le droit de déraciner un autre peuple et de l’empêcher de retourner sur sa terre, ou tout autre moyen d’assurer une majorité démographique au sein de l’État. La revendication par les Palestiniens de leur droit au retour sur la terre dont eux-mêmes, leurs parents et leurs grands-parents ont été expulsés ne peut être interprétée comme antisémite. Le fait qu’une telle demande suscite des inquiétudes chez les Israéliens ne prouve pas qu’elle soit injuste, ni qu’elle soit antisémite. C’est un droit reconnu par le droit international tel que représenté dans la résolution 194 de 1948 de l’Assemblée générale des Nations unies.

6. Porter l’accusation d’antisémitisme contre quiconque considère l’État d’Israël existant comme raciste, nonobstant la discrimination institutionnelle et constitutionnelle réelle sur laquelle elle est fondée, revient à accorder à Israël une impunité absolue. Israël peut ainsi expulser ses citoyens palestiniens, ou révoquer leur citoyenneté ou leur refuser le droit de vote, tout en restant à l’abri de l’accusation de racisme. La définition de l’IHRA et la façon dont elle a été utilsée interdisent toute discussion du fondement discriminatoire ethno-religieux de l’État israélien. Elle est ainsi en contradiction avec les principes élémentaires de la justice, des droits humains et du droit international.

7. Nous croyons que la justice exige le soutien total au droit des Palestiniens à l’autodétermination, y compris leur revendication de mettre fin à l’occupation de leur territoire, reconnue en tant que telle au plan international de même que l’absence d’État et la précarité dont souffrent les réfugiés palestiniens. La suppression des droits des Palestiniens dans la définition de l’IHRA trahit une attitude qui défend le privilège juif en Palestine au lieu des droits des juifs, et la suprématie juive sur les Palestiniens au lieu de la sécurité des juifs. Nous pensons que les valeurs et les droits humains sont indivisibles et que la lutte contre l’antisémitisme doit aller de pair avec la lutte de tous les peuples et groupes opprimés pour la dignité, l’égalité et l’émancipation.

Samir Abdallah
Filmmaker, Paris, France
Nadia Abu El-Haj
Ann Olin Whitney Professor of Anthropology, Columbia University, USA
Lila Abu-Lughod
Joseph L Buttenwieser Professor of Social Science, Columbia University, USA
Bashir Abu-Manneh
Reader in Postcolonial Literature, University of Kent, UK
Gilbert Achcar
Professor of Development Studies, SOAS, University of London, UK
Nadia Leila Aissaoui
Sociologist and Writer on feminist issues, Paris, France
Mamdouh Aker
Board of Trustees, Birzeit University, Palestine
Mohamed Alyahyai
Writer and novelist, Oman
Suad Amiry
Writer and Architect, Ramallah, Palestine
Sinan Antoon
Associate Professor, New York University, Iraq-US
Talal Asad
Emeritus Professor of Anthropology, Graduate Center, CUNY, USA
Hanan Ashrawi
Former Professor of Comparative Literature, Birzeit University, Palestine
Aziz Al-Azmeh
University Professor Emeritus, Central European University, Vienna, Austria
Abdullah Baabood
Academic and Researcher in Gulf studies, Oman
Nadia Al-Bagdadi
Professor of History, Central European University, Vienna
Sam Bahour
Writer, Al-Bireh/Ramallah, Palestine
Zainab Bahrani
Edith Porada Professor of Art History and Archaeology, Columbia University, USA
Rana Barakat
Assistant Professor of History, Birzeit University, Palestine
Bashir Bashir
Associate Professor of Political Theory, Open University of Israel, Raanana, State of Israel
Taysir Batniji
Artist-Painter, Gaza, Palestine and Paris, France
Tahar Ben Jelloun
Writer, Paris, France
Mohammed Bennis
Poet, Mohammedia, Morocco
Mohammed Berrada
Writer and Literary Critic, Rabat, Morocco
Omar Berrada
Writer and Curator, New York, USA
Amahl Bishara
Associate Professor and Chair, Department of Anthropology, Tufts University, USA
Anouar Brahem
Musician and Composer, Tunisia
Salem Brahimi
Filmaker, Algeria-France
Aboubakr Chraïbi
Professor, Arabic Studies Department, INALCO, Paris, France
Selma Dabbagh
Writer, London, UK
Izzat Darwazeh
Professor of Communications Engineering, University College London, UK
Marwan Darweish
Associate Professor, Coventry University, UK
Beshara Doumani
Mahmoud Darwish Professor of Palestinian Studies and of History, Brown University, USA
Haidar Eid
Associate Professor of English Literature, Al-Aqsa University, Gaza, Palestine
Ziad Elmarsafy
Professor of Comparative Literature, King’s College London, UK
Noura Erakat
Assistant Professor, Africana Studies and Criminal Justice, Rutgers University, USA
Samera Esmeir
Associate Professor of Rhetoric, University of California, Berkeley, USA
Khaled Fahmy
FBA, Professor of Modern Arabic Studies, University of Cambridge, UK
Ali Fakhrou
Academic and writer, Bahrain
Randa Farah
Associate Professor, Department of Anthropology, Western University, Canada
Leila Farsakh
Associate Professor of Political Science, University of Massachusetts Boston, USA
Khaled Furani
Associate Professor of Sociology & Anthropology, Tel-Aviv University, State of Israel
Burhan Ghalioun
Emeritus Professor of Sociology, Sorbonne 3, Paris, France
Asad Ghanem
Professor of Political science, Haifa University, State of Israel
Honaida Ghanim
General Director of the Palestinian forum for Israeli Studies Madar, Ramallah, Palestine
George Giacaman
Professor of Philosophy and Cultural Studies, Birzeit University, Palestine
Rita Giacaman
Professor, Institute of Community and Public Health, Birzeit University, Palestine
Amel Grami
Professor of Gender Studies, Tunisian University, Tunis
Subhi Hadidi
Literary Critic, Syria-France
Ghassan Hage
Professor of Anthropology and Social theory, University of Melbourne, Australia
Samira Haj
Emeritus Professor of History, CSI/Graduate Center, CUNY, USA
Yassin Al-Haj Saleh
Writer, Syria
Dyala Hamzah
Associate Professor of Arab History, Université de Montréal, Canada
Rema Hammami
Associate Professor of Anthropology, Birzeit University, Palestine
Sari Hanafi
Professor of Sociology, American University of Beirut, Lebanon
Adam Hanieh
Reader in Development Studies, SOAS, University of London, UK
Kadhim Jihad Hassan
Writer and translator, Professor at INALCO-Sorbonne, Paris, France
Nadia Hijab
Author and human rights advocate, London, UK
Jamil Hilal
Writer, Ramallah, Palestine
Serene Hleihleh
Cultural Activist, Jordan-Palestine
Bensalim Himmich
Academic, novelist and writer, Morocco
Khaled Hroub
Professor in Residence of Middle Eastern Studies, Northwestern University, Qatar
Mahmoud Hussein
Writer, Paris, France
Lakhdar Ibrahimi
Paris School of International Affairs, Institut d’Etudes Politiques, France
Annemarie Jacir
Filmmaker, Palestine
Islah Jad
Associate Professor of Political Science, Birzeit University, Palestine
Lamia Joreige
Visual Artist and Filmaker, Beirut, Lebanon
Amal Al-Jubouri
Writer, Iraq
Mudar Kassis
Associate Professor of Philosophy, Birzeit University, Palestine
Nabeel Kassis
Former Professor of Physics and Former President, Birzeit University, Palestine
Muhammad Ali Khalidi
Presidential Professor of Philosophy, CUNY Graduate Center, USA
Rashid Khalidi
Edward Said Professor of Modern Arab Studies, Columbia University, USA
Michel Khleifi
Filmmaker, Palestine-Belgium
Elias Khoury
Writer, Beirut, Lebanon
Nadim Khoury
Associate Professor of International Studies, Lillehammer University College, Norway
Rachid Koreichi
Artist-Painter, Paris, France
Adila Laïdi-Hanieh
Director General, The Palestinian Museum, Palestine
Rabah Loucini
Professor of History, Oran University, Algeria
Rabab El-Mahdi
Associate Professor of Political Science, The American University in Cairo, Egypt
Ziad Majed
Associate Professor of Middle East Studies and IR, American University of Paris, France
Jumana Manna
Artist, Berlin, Germany
Farouk Mardam Bey
Publisher, Paris, France
Mai Masri
Palestinian filmmaker, Lebanon
Mazen Masri
Senior Lecturer in Law, City University of London, UK
Dina Matar
Reader in Political Communication and Arab Media, SOAS, University of London, UK
Hisham Matar
Writer, Professor at Barnard College, Columbia University, USA
Khaled Mattawa
Poet, William Wilhartz Professor of English Literature, University of Michigan, USA
Karma Nabulsi
Professor of Politics and IR, University of Oxford, UK
Hassan Nafaa
Emeritus Professor of Political science, Cairo University, Egypt
Nadine Naber
Professor, Deptartment of Gender and Women’s Studies, University of Illinois at Chicago, USA
Issam Nassar
Professor, Illinois State University, USA
Sari Nusseibeh
Emeritus Professor of Philosophy, Al-Quds University, Palestine
Najwa Al-Qattan
Emeritus Professor of History, Loyola Marymount University, USA
Omar Al-Qattan
Filmmaker, Chair of The Palestinian Museum & the A.M.Qattan Foundation, UK
Nadim N Rouhana
Professor of International Affairs, The Fletcher School, Tufts University, USA
Ahmad Sa’adi
Professor, Haifa, State of Israel
Rasha Salti
Independent Curator, Writer, Researcher of Art and Film, Germany-Lebanon
Elias Sanbar
Writer, Paris, France
Farès Sassine
Professor of Philosophy and Literary Critic, Beirut, Lebanon
Sherene Seikaly
Associate Professor of History, University of California, Santa Barbara, USA
Samah Selim
Associate Professor, A, ME & SA Languages & Literatures, Rutgers University, USA
Leila Shahid
Writer, Beirut, Lebanon
Nadera Shalhoub-Kevorkian
Lawrence D Biele Chair in Law, Hebrew University, State of Israel
Anton Shammas
Professor of Comparative Literature, University of Michigan, Ann Arbor, USA
Yara Sharif
Senior Lecturer, Architecture and Cities, University of Westminster, UK
Hanan Al-Shaykh
Writer, London, UK
Raja Shehadeh
Lawyer and Writer, Ramallah, Palestine
Gilbert Sinoué
Writer, Paris, France
Ahdaf Soueif
Writer, Egypt/UK
Mayssoun Sukarieh
Senior Lecturer in Development Studies, King’s College London, UK
Elia Suleiman
Filmmaker, Palestine-France
Nimer Sultany
Reader in Public Law, SOAS, University of London, UK
Jad Tabet
Architect and Writer, Beirut, Lebanon
Jihan El-Tahri
Filmmaker, Egypt
Salim Tamari
Emeritus Professor of Sociology, Birzeit University, Palestine
Wassyla Tamzali
Writer, Contemporary Art Producer, Algeria
Fawwaz Traboulsi
Writer, Beirut Lebanon
Dominique Vidal
Historian and Journalist, Palestine-France
Haytham El-Wardany
Writer, Egypt-Germany
Said Zeedani
Emeritus Associate Professor of Philosophy, Al-Quds University, Palestine
Rafeef Ziadah
Lecturer in Comparative Politics of the Middle East, SOAS, University of London, UK
Raef Zreik
Minerva Humanities Centre, Tel-Aviv University, State of Israel
Elia Zureik
Professor Emeritus, Queen’s University, Canada

Source: The Guardian

Traduction SF pour l’Agence média Palestine

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