S’il y avait un Là, ce serait…Résonances contemporaines de l’œuvre de Mahmoud Darwich

 APPEL À CANDIDATURES DESTINÉ AUX ARTISTES ET CHERCHEURS – 2021, cliquez ici

Propos d’Introduction d’ELIA SULEIMAN, réalisateur, février 2021

« Je voyage à l’intérieur de moi-même

Assiégé par les contradictions

Et la vie vaut la chandelle de son mystère

Et de ses oiseaux prophétiques »

Mahmoud Darwich

Dans les années 90, lorsque j’ai entrepris de réaliser mon premier long métrage, « Chronique d’une disparition », j’ai voulu développer un point de vue. Je voulais montrer que l’histoire de la Palestine n’était pas linéaire, mais plutôt composée de multiples récits, de petits fragments et de moments à la marge, s’inscrivant  au quotidien dans des expériences personnelles vécues et partagées. La Palestine se présenterait ainsi comme un microcosme du monde ; son récit, grâce au langage cinématographique, deviendrait universel, et changerait ainsi le regard du monde sur la Palestine. Il inscrirait la Palestine sur la carte, pour ainsi dire. C’est du moins ce que je me disais alors.

Quelques décennies plus tard, la Palestine n’est plus un microcosme du monde. Le triste état actuel du monde a inversé l’équation : c’est maintenant le monde qui est devenu un microcosme de la Palestine.

La colère des citoyens dirigée contre leurs gouvernements et leurs systèmes corrompus est accueillie par des balles et des gaz lacrymogènes. De nombreux militants, artistes, écrivains, poètes, cinéastes et intellectuels sont interpellés, se retrouvent enfermés ou pansent leurs blessures.

Pendant ce temps, le concept et la signification de l’universalité elle-même ont été sérieusement remis en question, perversement attaqués, gravement menacés par une mondialisation qui s’est insinuée, sans prévenir, depuis de nombreuses décennies, et qui impose maintenant le triomphe de la vulgarité et de la destruction galopante.

Les espaces d’introspection ont également été réduits au minimum, bloqués. Autrefois, le ciel était la limite, et maintenant les voyages intérieurs de l’âme sont réduits à des couloirs étroits et hostiles. Nous regardons un animal dans les yeux, avec leurs reflets de mélancolie muette, comme s’il faisait ses adieux à sa vision personnelle du monde, notre monde, en voie d’extinction.

La douloureuse vérité, en effet, est que nous traversons une période historique où pèsent des menaces perceptible et imperceptibles sur la justice, des guerres déclarées et non déclarées qui criminalisent les innocents, font dérailler le bon sens qui devrait plutôt nous guider dans la compréhension de notre monde qui se défait. La recherche de la vérité est actuellement dans l’œil d’un cyclone sans nom orchestré par des pouvoirs ignorants qui se nourrissent de demi-vérités.

Depuis plus d’un an maintenant, le crescendo catastrophique des dernières décennies nous tombe sur la tête sous la forme d’une pandémie. Depuis lors, le monde a été réduit au silence, il est paralysé, rendu muet, immobile.

Lors d’une conversation au cours d’un dîner avec l’écrivain John Berger, peu de temps avant sa mort – j’ajoute au passage que John a été un personnage déterminant dans mon choix de faire des films – je lui ai demandé – dans une phase de faible estime de moi-même et de chute de moral que je traversais – « comment est-il possible d’être encore si optimiste quand on regarde la marche  du monde d’aujourd’hui ? Comment pouvez-vous encore avoir de l’espoir ? »

Il m’a répondu : « Nous regardons encore le monde avec espoir, mais nous le regardons avec un œil meurtri ».

Alors, je continue de m’accrocher. Je ravive ma confiance dans le langage poétique dont l’âme immortelle transgresse les frontières et les points de contrôle, et touts leurs corollaires, y compris les fléaux et les pandémies, depuis des temps immémoriaux. La poétique est immunisée contre les pandémies.

En vérité, lorsque je me ressaisis et quand je colle un plan cinématographique derrière un autre, et qu’un sens subliminal apparaît, j’entrevois une mise en perspective prometteuse. À ce moment-là, le sens est amplifié, et dévoile la potentialité d’un avenir meilleur. Donc, je continue, dans l’inconscience de l’état des choses. Ou dans le déni, momentanément.

« Le rythme ne vient pas des mots

Mais de l’union de deux corps dans la longue nuit… »

Mahmoud Darwich

Lors du tournage de la première partie de mon dernier film, « It Must Be Heaven », mon moral s’est à nouveau dégradé de jour en jour, mais cette fois à la vue de ce qu’était devenue Nazareth, ma ville natale. Il régnait un sentiment de désolation et de désespoir dans la ville. Un ghetto sans humour. Des visages tristes, des sourires jaunes. Des gangsters errant dans les rues en plein jour et hantant les nuits blanches.

« Où est la jeunesse, la belle jeunesse, la jeunesse vivante ? Existent-elle vraiment, à la fin ? » ai-je demandé désespérément.

« À Haïfa », m’a-t-on répondu. Elle a émigré à Haïfa. De Nazareth, mais aussi de nombreuses autres villes et villages palestiniens. « Tout se joue, tout se passe là-bas », m’a-t-on dit.

J’aimerais voir ça, me suis-je dit.

Et j’ai vu. Une toute nouvelle génération à côté de laquelle j’étais passé.

Leur résistance est un hymne chaloupé – festif, culturel, joyeusement non idéologique, et non nationaliste. Par conséquent, leur identité est un concept qui ne s’ancre pas dans des frontières géographiques. Leur identité est plutôt définie par leur identification avec les causes justes du monde entier.

Tout au long de mon éducation, je me suis efforcé de correspondre à la définition de ce que Hughes de Saint-Victor décrivait comme le parfait étranger. Tout ce que j’avais voulu être et n’avais pas pu devenir, ils y ont accédé, me suis-je dit. Cette jeune génération a accompli sa mission, organiquement, sans l’expérience de l’exil et les avantages qu’elle peut donner ; elle y est arrivée sans nomadisme.

Ils ont plutôt réussi à construire une résidence poétique, comme ciselée dans une nuée légère  – une patrie en perpétuelle évolution. Et c’est leur source d’inspiration et de résistance culturelle – où la personnalité et le politique se fondent en un seul interlocuteur métaphysique qui retrouve, parle un langage familier, convoquant l’éthique, l’esthétique, les repères moraux, la tendresse et la convivialité, la consolation et le plaisir d’exister et le plaisir pour le plaisir.

Alors, comment sauver demain ?

« Où les oiseaux doivent-ils voler après le dernier ciel ? » interroge un poème de Mahmoud Darwich.

S’il y avait un Là, ce serait là où se dirige cette génération de Palestiniens !

La Chaire Mahmoud Darwich, Bozar, la Fondation A. M. Qattan, la Fondation Camargo et le Mucem unissent leurs forces pour lancer le premier appel à candidatures en l’honneur de l’héritage du poète palestinien Mahmoud Darwich.

Date limite de soumission des candidatures : le 13 juin 2021

Les lignes directrices sont disponibles en français, en anglais et en arabe en cliquant ici

Appel à candidature lancé par 

– Chaire Mahmoud Darwich

Bruxelles

mahmouddarwishchair.org/fr/

– Bozar – Palais des Beaux-Arts

Bruxelles

https://www.bozar.be/fr

– Fondation A. M. Qattan

Ramallah, Londres

http://qattanfoundation.org/en

– Fondation Camargo

Cassis

https://camargofoundation.org/fr/

– Mucem

Marseille

https://www.mucem.org/

Source : Mahmoud Darwish Chair

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