Étant l’occupant, Israël n’a aucun droit à la « légitime défense »

Par Bashir Abu-Manneh, le 16 mai 2021

En invoquant la légitime défense, Israël détourne la conversation, de ses crimes coloniaux contre les Palestiniens, vers les blessures qu’il en subit lui-même.

Sameh Rahmi/Nur Photo

« Israël a le droit de se défendre ». Cette déclaration de sens commun est partout répétée – par des représentants de l’État et des médias, par des commentateurs et des présentateurs. Elle semble si fondamentale et couler de source qu’il est difficile de la contester.

Mais aujourd’hui, Israël utilise la légitime défense comme un outil rhétorique majeur pour la guerre. En invoquant la légitime défense, Israël fait passer la conversation, de ses crimes coloniaux contre les Palestiniens, vers les blessures qu’il en subies lui-même. Pourtant, c’est précisément parce qu’Israël refuse aux Palestiniens leurs droits de tous les hommes, et notamment le droit à l’autodétermination, qu’il ne peut revendiquer la légitime défense comme une justification légale de l’usage de la force. En fait, la conduite d’Israël s’intègre clairement dans un projet d’occupation conduit par l’État dont il est pénalement responsable.

il y a deux raisons principales pour lesquelles la prémisse de légitime défense d’Israël est viciée. Premièrement, la légitime défense ne s’applique pas aux guerres d’un État occupant contre celles et ceux qu’il occupe – elle n’est pas pertinente pour Israël s’agissant des Palestiniens. Deuxièmement, ce que fait Israël dans la bande de Gaza viole toutes les conditions connues de légitime défense, en particulier la nécessité d’une guerre quand la paix est facilement accessible, la discrimination entre les soldats et les civils, et la proportionnalité des dommages infligés pour atteindre les objectifs militaires.

Pour justifier une guerre, la légitime défense se fonde sur l’article 51 de la Charte des Nations unies qui précise : « Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. » À moins d’une autorisation du Conseil de sécurité, c’est la seule justification juridique pour qu’il y ait recours à la force par des États contre d’autres États. Il n’est fait ici aucune mention des acteurs non étatiques. De même que l’analogie, entre droits de la personne et droits d’un État, qui la sous-tend n’est pas conceptuellement sans problème : les États n’ont pas les droits des personnes.

En raison de ce « manque de clarté intrinsèque sur les paramètres juridiques de l’article 51 », de nombreux juristes ne le considèrent pas comme adapté à leur objectif. Les États agressifs ont transformé l’article 51 en un mécanisme justifiant la violence plutôt qu’interdisant l’utilisation de la force. Toute guerre est désormais une guerre de légitime défense, conduite au nom de la protection de l’État contre les menaces : des invasions par les USA de l’Afghanistan et de l’Iraq à celles par la Russie de la Tchétchénie et de l’Ukraine. Comme l’a dit un jour Noam Chomsky : « Si nous avions des archives, nous découvririons probablement qu’Attila le Hun agissait en état de légitime défense. Étant donné que les actions d’un État sont toujours justifiées en termes de défense, nous n’apprenons rien quand nous entendons que certaines actions spécifiques sont justifiées de la sorte, sauf que nous écoutons le porte-parole d’un État ; mais cela, nous le savions déjà ».

L’organisation palestinienne de défense des droits de l’homme, Al-Haq, a déjà critiqué les méthodes abrasives et abusives de « lawfare » (usage stratégique du droit – ndt) d’Israël en droit international. S’agissant de l’invasion de Gaza en 2008-9, elle a fait valoir qu’Israël ne peut pas invoquer la légitime défense pour justifier la guerre parce cela contrevient à la fois aux obligations d’Israël en tant qu’occupant (en un « contrôle effectif ») de Gaza et au principe juridique de la nécessité militaire « comme justification juridique exclusive de toute opération ». En effet, « malgré l’acceptation généralisée du prétexte d’Israël, le statut juridique des TPO (Territoires palestiniens occupés) exclut l’application de l’article 51 de la charte des Nations unies en raison de l’occupation prolongée ».

Ceci est soutenu par une analyse érudite du droit international qui se réfère aux nombreuses invasions de la bande de Gaza par Israël. Norman Finkelstein affirme qu’ « Israël… n’a aucun mandat légal pour utiliser la force contre la lutte  des Palestiniens pour l’autodétermination ». Pourquoi ? Parce qu’ « Israël ne peut prétendre à un droit à la légitime défense si l’exercice de ce droit fait remonter au délit d’une occupation illégale/à un refus d’une autodétermination (ex injuria non oritur jus/aucun avantage ni droit légaux ne peuvent naître d’un acte illégal) ». Les droits nationaux des Palestiniens sont suprêmes, et ils sont protégés par la loi.

Israël n’a, par conséquent, aucune base juridique pour entrer en guerre contre les Palestiniens sous occupation. Le contraire est vrai. Il a des obligations envers eux, et il doit mettre fin à ses propres violations des droits des Palestiniens – et non en rajouter. C’est précisément de cette manière qu’il peut légitimement protéger ses propres citoyens et les mettre à l’abri des roquettes aveugles du Hamas : en résolvant le conflit politiquement et en instaurant une paix sans occupation. Mettre fin au siège de la bande de Gaza et reconnaître aux Palestiniens un minimum de dignité humaine seraient un bon début.

Au-delà de la justification juridique, qu’en est-il de la façon dont Israël conduit réellement ses campagnes dites de légitime défense ? Cedi est de mieux compris dans le discours public, et largement rapporté par de nombreuses organisations de défense des droit de l’homme. Depuis au moins la Deuxième Intifada, Israël a utilisé une force militaire disproportionnée, indiscriminée, et inutile, en violation du droit international. Il prend pour cibles des structures civiles, il tue des centaines d’enfants, il liquide des familles entières, et il inflige des destructions étendues et des punitions collectives à toute une population assiégée. Le dossier montre aussi que les boucliers humains sont exclusivement une tactique d’Israël.

L’invocation de la légitime défense par Israël a une fonction claire. Elle facilite l’occupation israélienne et stimule son projet de colonisation de peuplement. La nouvelle loi sur l’État-nation rend illégal pour Israël de permettre l’autodétermination des Palestiniens en Israël-Palestine. Seuls, les Israéliens juifs peuvent exercer ce droit. L’apartheid est maintenant sur toutes les lèvres, et la suprématie juive en Israël ne peut plus être cachée ni ignorée. En témoignent les lynchages contre les citoyens palestiniens d’Israël comme son incarnation la plus récente.

Israël utilise également la force pour ce qu’il appelle la dissuasion militaire. Comment cela marche-t-il ? En frappant les Palestiniens suffisamment fort pour réduire leurs aspirations politiques. En prolongeant les guerres pour bombarder et détruire toujours davantage. Et en terrorisant les Palestiniens pour qu’ils acceptent avec résignation leur vie dégradée. Si cette formule sioniste infaillible fonctionne comme prévue, elle rapproche l’expulsion.

Pour que les Palestiniens et les Israéliens vivvent en paix, Israël ne devrait plus être autorisé à présenter ses guerres d’agression comme de la légitime défense. Si on laisse le conflit israélo-palestinien faire rage pendant encore cent ans, personne dans la région ne sera en sécurité.

Bashir Abu-Manneh est directeur de l’École d’anglais de l’Université du Kent et un rédacteur en chef de Jacobin.

Source : Jacobin mag

Traduction BP pour l’Agence média Palestine

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