L’économie politique du développement en Palestine : une perspective critique

Par Alaa Tartir, le 27 juillet 2021

L’économie politique s’intéresse aux institutions, aux relations de pouvoir et aux conflits et luttes sociaux. Une tâche-clef de l’économie politique est d’historiciser et de (re) politiser l’économie, étant donné que la politique et l’économie sont profondément liées et qu’elles résident (et sont issues de) dans des localisations sociales, spatiales et historiques particulières. L’économie politique vise donc à dénaturer le capitalisme de manière à obtenir une analyse plus robuste du colonialisme de peuplement, du capitalisme racial et du néolibéralisme.

Dans le cas de la Palestine occupée, une approche en économie politique importe dans l’analyse de la situation actuelle, au sens où elle dévoile des éléments critiques des expressions du pouvoir à la fois matérielles et discursives (visibles et invisibles).  Elle (l’approche politico-économique) souligne aussi qu’une approche de l’économie ne prenant pas en compte l’élément politique – une économie dépolitisée – est inadéquate si l’on veut comprendre la situation en Palestine occupée.  

Dans mon dernier ouvrage, L’économie politique de la Palestine : perspectives critiques, interdisciplinaires et décoloniales, coédité avec le Dr. Tariq Dana et le Dr. Timothy Seidel, publié en mai 2021 par Palgrave Macmillan et composée de 14 chapitres, nous offrons une mise en contexte approfondie de l’économie politique palestinienne, nous analysons l’économie politique de l’intégration, de la fragmentation et de l’inégalité et nous explorons et problématisons les multiples secteurs et thèmes de l’économie politique en l’absence de souveraineté. (1)

Un aspect-clef qui a émergé de ce livre et de l’effort scientifique collectif, renvoie au besoin éminent d’étudier l’économie politique de la Palestine dans une perspective critique, interdisciplinaire et décoloniale. Nous soutenons qu’une perspective critique, interdisciplinaire et décoloniale affine l’accent mis sur la résistance et aide à l’exploration de formes incarnées de la subjectivité politique, en particulier dans des contextes néolibéraux et caractérisés par le colonialisme de peuplement. Une telle approche fournit un cadre plus robuste pour comprendre les dynamiques complexes du processus de développement et illustre pourquoi, comment et par qui le développement est dénié en Palestine.

Permettez-moi d’expliquer ce que nous entendons par perspectives critiques, interdisciplinaires et décoloniales.

Une approche critique des enjeux de l’économie politique et un défi aux logiques néolibérales prévalentes et aux structures qui reproduisent le capitalisme racial ; elle explore comment l’économie politique de la Palestine occupée est modelée par des processus d’accumulation, d’exploitation et de dépossession de la part à la fois d’Israël et de l’économie mondiale aussi bien que par les élites palestiniennes.

Une approche interdisciplinaire de l’étude de l’économie politique aide à révéler les dynamiques subtiles et complexes qui ne peuvent pas être simplement détectées par une discipline unique. De fait, l’économie politique comme méthode interdisciplinaire a pris une signification épistémologique, théorique, empirique et analytique forte pour déplier les relations imbriquées entre le colonialisme, l’exploitation, le nationalisme, le patriarcat dans les dynamiques et trajectoires du capitalisme.

Une approche décoloniale de l’économie politique palestinienne met au premier plan les luttes contre les politiques et institutions néolibérales et de colonialisme de peuplement et aide à la défragmentation de la vie, de la terre et de l’économie politique palestiniennes dont l’histoire du dé-développement dans toute la Palestine peut être retracée sur plus d’un siècle. Cette approche souligne aussi le besoin de recherches qui puissent témoigner d’un engagement épistémique et politique envers la décolonisation.

Comment une telle approche de l’économie politique impacterait-elle le processus de développement en Palestine, tout particulièrement en lien avec toute l’aide internationale déversée dans son économie, qui a totalisé plus de 40 milliards de dollars (33,7 milliards €) depuis 1993 mais a misérablement fait défaut au peuple palestinien ?

Il est désormais évident que le flux d’aide, aussi gros qu’il devienne, ne sera jamais efficace s’il continue à être déversé dans le cadre politique et économique existant, inégal et faussé. En fait, plus d’argent peut entraîner plus de nuisance s’il est dépensé sous une forme impropre. De même, les seules solutions techniques, aussi bonnes qu’elles puissent paraître sur le papier, échoueront toujours à faire face aux problèmes réels auxquels les Palestiniens sont confrontés, si elles s’abstiennent de prendre en compte les réalités politiques centrales du soi-disant conflit palestino-israélien.

Il est donc inévitable, selon l’approche de politique économique que nous proposons dans notre récent livre, qu’un changement se produise dans la pensée dominante sur le développement, depuis le fait de considérer le développement dans une approche technocratique, apolitique et neutre vers des approches qui reconnaissent les structures de pouvoir et les relations de la domination coloniale, dont certaines ré-articulent les processus de développement en lien avec la lutte pour les droits, la résistance et l’émancipation.

Pour autant, même si ce changement s’est produit au niveau scientifique, il n’a pas encore entraîné de changement en politique de la part de la communauté internationale des donateurs, ni même de la part des autorités sur place, qui reçoivent l’aide financière dans le territoire palestinien occupé. Il est plus que temps d’adopter une approche d’économie politique qui importe et de rejeter d’autres approches récurrentes qui sont nuisibles.

1] Cliquez ici pour consulter le contenu du livre livre L’Économie politique de la Palestine: Perspectives Critiques, Interdisciplinaires et DécolonialesIci pour télécharger le chapitre introductif du livre et Cliquez Ici pour télécharger le chapitre 10 du livre. Un résumé du livre est ici.

Le Dr. Alaa Tartir est conseiller programmes et politiques à Al-Shabaka, le réseau palestinien de science politique ; il est chercheur et coordinateur académique à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève et membre international de l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo. Les publications de Tartir sont accessibles sur www.alaatartir.com.

Source : PPE Sydney

Traduction SF pour l’Agence média Palestine

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