Une cuisine palestinienne pleine de souvenirs

Par Ziad Ali, le 16 septembre 2021

Nous avons tous une chose qui nous ramène à nos origines. Pour Ziad Ali c’est la nourriture, aussi a-t-il recueilli des recettes de famille et, derrière ces recettes, des histoires émouvantes.

Dalal al-Bardawil, 53 ans, prépare une somaqiya, plat traditionnel de Gaza, dans sa cuisine de Gaza-Ville, le 14 mars 2018. La somaqiya est composée de viande, d’oignons, de farine, d’épices, d’huile d’olive, de sumac et de tahini. (Photo: Mahmoud Ajour/APA Images)

Nous avons tous une chose particulière qui nous ramène à nos origines. Cela peut être une chanson qui nous rappelle nos racines ; même si nous sommes très loin de notre pays natal, les paroles nous donnent l’impression d’être de retour à la maison. Pour d’autres personnes, ce sera un objet matériel : branche d’olivier, robe brodée, ou simple photographie. Pour moi, c’est la nourriture. Pas seulement nourrissante, mais capable, tel un ciment, de maintenir dans chaque recette les récits de plusieurs générations. 

Maintes et maintes fois j’ai tenté d’apprendre à cuisiner, pour échouer lamentablement. Mes faibles compétences culinaires ne m’ont jamais empêché de savourer des repas délicieux. Et mes lacunes n’ont jamais limité mon émerveillement quand j’écoute les gens que j’aime évoquer les origines d’un plat. 

Ce qui me fait aimer la nourriture, c’est que derrière chaque repas, il y a une histoire ; l’histoire de la personne qui a préparé le plat, l’histoire de la famille qui s’est rassemblée pour le déguster. Quand il s’agit de l’art culinaire palestinien, il y a aussi l’histoire d’une terre où ont été réunies jadis de nombreuses communautés. 

Mon affection pour la cuisine me pousse à partager trois recettes et les histoires qui leur sont associées, telles que me les ont racontées les gens qui ont communiqué leur version de chaque plat. Les histoires sont rédigées comme elles ont été contées. Les plats présentés sont populaires dans la Bande de Gaza, où nous vivons. 

Mayssa va vous parler d’une délicate pâtisserie au curcuma appelée musafan, Ahed évoquera un plat de base, la maqlouba, faite de riz et de légumes, et Majeda vous fera découvrir la somaqiya, un plat de viande et de tahini haut en saveur. J’espère que vous entreprendrez de les faire et qu’ils vous inspireront votre propre histoire.

Musafan (photo de l’auteur)

Musafan

Mayssa, 34 ans, est peintre. Elle travaille pour une organisation de santé mentale qui soutient les enfants ayant subi des traumatismes. Elle est mère de quatre garçons. Elle vit dans la partie ouest de la Bande de Gaza. 

Quand ma grand-mère nous racontait des histoires, elle ne parlait ni de Cendrillon ni de Blanche-Neige, mais d’un pays où elle a vécu jusqu’à l’âge de 12 ans, jusqu’en 1948. Ce pays s’appelait al-Majdal Asqalan. J’ai beaucoup entendu parler d’amis qu’elle n’a jamais revus et d’une maison perdue pour toujours. Mais il y avait aussi de bons souvenirs. Elle nous parlait des fêtes. Les gens des environs se rassemblaient alors, vêtus de leur plus beau costume. Les jeunes hommes dansaient la dabké et jouaient de la flûte (également appelée shababa). Les jeunes filles flânaient en groupes et mangeaient des friandises. 

Sa description des gens et des fêtes —les odeurs, le décor—projetait une image vivante pour mes sœurs et moi, destinataires de ces récits. Mais c’était toujours la nourriture qui nous faisait la plus vive impression. Je n’oublierai jamais le jour où elle nous a décrit le pain délicieux qu’ils dégustaient lors de ces festivités. On l’appelle musafan.  Ma grand-mère souriait et fermait les yeux quand elle décrivait le goût de l’huile d’olive mêlée à ce pain qu’on faisait cuire jadis à al-Majdal. On le mangeait avec des œufs, du thym, et parfois du fromage. 

Tout au long de mon enfance, mes sœurs l’ont suppliée de nous raconter encore des histoires. Plus elle en racontait, plus elle parlait de nourriture, et plus nous apprenions de recettes. Adulte, j’ai partagé ses souvenirs et ses repas avec mes enfants. 

Je ne suis jamais allée à al-Majdal Asqalan, mais chaque fois que je mange du musafan je ferme les yeux et je vois ma grand-mère. Dans mon esprit ce n’est pas la femme âgée que j’ai connue, mais une fillette de 12 ans vêtue d’une robe aux vives couleurs, regardant timidement les garçons de sa ville danser la dabka ou écoutant furtivement les bavardages. Elle est heureuse, vivante, et elle est dans le seul lieu où elle s’est sentie chez elle.

Ingrédients

  • 1,5 kg de farine
  • 100 g de graines de cumin noir
  • 1 cuillère à soupe de curcuma 
  • 1 1/2 cuillères à soupe de levure
  • 3 cuillères à soupe de mélange pour pain d’épices (graines d’anis, de fenouil, et mahleb moulu, à parts égales)
  • 6 cl d’huile végétale
  • 6 cl d’huile d’olive
  • 130 g de graines de sésame grillées à la poêle 
  • 1 cuillère à café de sel
  • 60 cl d’eau tiède

Préparation

  1. Préchauffez le four à 180° C. Sortez la plaque du four.
  2. Dans un grand saladier, mélangez la farine, le sésame, le cumin noir, la levure, le curcuma, le sel, et le mélange pour pain d’épices.
  3. Ajoutez l’huile végétale et l’huile d’olive aux ingrédients secs pour obtenir une consistance sableuse.
  4. Ajoutez l’eau tiède, en pliant doucement la pâte jusqu’à ce qu’elle soit molle.
  5. Réservez, couvrez et laissez la pâte reposer pendant 10 minutes.
  6. Découpez la pâte en 18 boules égales.
  7. Placez une boule sur une surface propre. À l’aide d’un rouleau à pâtisserie, aplatissez pour obtenir un cercle d’environ 15 cm de largeur et 3 mm d’épaisseur.
  8. Passez de l’huile d’olive avec un pinceau. Puis repliez la pâte vers l’intérieur : prenez un peu de pâte entre vos doigts, section par section, et repliez afin que le bord de la pâte aille jusqu’au centre du cercle. Répétez cette manœuvre huit fois. La pâte doit avoir la forme d’une fleur.
  9. Faites cuire sur la plaque du four pendant 10 minutes.
  10. Passez de nouveau un peu d’huile avant de servir.

    Avec cette recette, on obtient 18 portions de musafan. Cela fait beaucoup, car ma famille palestinienne est nombreuse et parvient à tout manger en quelques jours.
Maqlouba (photo de l’auteur)

Maqlouba

Ahed, 33 ans, enseignant, vit dans l’est de la Bande de Gaza, il a une fille.

Les frontières ont été fermées jusqu’à nouvel ordre et je me suis retrouvé coincé ! Je voulais retourner à Gaza mais je ne pouvais pas et je ne savais pas quoi faire. Je suis un gars de Gaza, je n’ai jamais voyagé, j’ai une expérience réduite de la vie et pas beaucoup d’argent – bref, j’avais peur 

Je n’aurais pas imaginé que j’aurais envie de retourner dans la prison à ciel ouvert où j’ai passé l’essentiel de ma vie. Pourquoi un oiseau se percherait-il à l’extérieur de sa cage en demandant qu’on le laisse y rentrer ? 

Ma famille me manquait, et en particulier ma mère. Je me rappelais que tous les vendredis nous nous retrouvions tous pour un déjeuner copieux. Dans la semaine, tout le monde est occupé par son travail ou ses études. Le vendredi, c’était le seul jour où nous étions ensemble. Chaque semaine, ma mère préparait un plat palestinien classique. Elle disait toujours : “Le vendredi, on n’a pas le droit de manger un hamburger. Nous sommes une famille palestinienne, nous avons besoin de vraie nourriture palestinienne.” 

De l’autre côté de la frontière, mes amis aussi me manquaient. Je me rappelais leur dernière visite avant mon départ en voyage : ma mère nous avait préparé un qidra. Le mot arabe qidra désigne un récipient en argile. Le plat porte ce nom parce qu’il est fait de riz cuit au four dans le qidra lui-même. Ma mère faisait cuire le riz avec des morceaux de viande mijotés et agrémentés d’ail, de pois chiches, de cannelle, de cardamome et de cumin. 

Comme je rêvais d’être avec ma famille, j’ai décidé de faire quelque chose qui me la rappellerait. Je me suis rappelé les plats qu’elle préparait pour nous. Le premier que j’ai décidé de faire était la maqlouba, un de mes plats préférés. J’ai téléphoné à ma mère et elle m’a tout expliqué, étape par étape. 

Le meilleur moment, quand on prépare une maqlouba, c’est quand la cuisson est terminée : on place alors un grand plat sur le faitout et on retourne l’ensemble sens dessus-dessous. De là vient le nom maqlouba, qui veut dire “à l’envers” en arabe. Après avoir bien réussi ma manœuvre, je me rappelle être resté là tout seul, fier de mon succès. Le plat était délicieux.

J’ai entendu des gens dire que, parfois, la nourriture est comme un gros câlin. La première bouchée de maqlouba m’a donné l’impression que ma mère m’embrassait. À ce moment-là j’ai eu l’impression que Gaza était avec moi, dans mon cœur. 

Ingrédients

  • 1 poulet entier coupé en huit morceaux (blancs, ailes, cuisses, pilons)
  • 2 aubergines
  • 480 g de riz à long grain
  • 3 oignons
  • 2 pommes de terre 
  • 3 poivrons verts
  • 1 tête d’ail 
  • 150 g de pois chiches
  • 2 tomates
  • 2 1/2 cuillères à soupe d’huile d’olive 
  • du sel – selon goût 
  • 1 cuillère à café de poivre noir
  • 1 cuillère à soupe de cardamome
  • 1 cuillère à soupe de cannelle
  • 1 cuillère à soupe de curcuma en poudre
  • 1 cuillère à soupe d’épices pour le riz
  • 1,5 l d’eau (pour la cuisson) ; 50 cl d’eau (pou le trempage) 

Préparation

  1. Prévoyez un faitout de 16 litres.
  2. Coupez l’aubergine en tranches de 1,2 cm. Salez, laissez les tranches pendant 30 minutes dans un saladier contenant de l’eau. Cela élimine l’amertume.
  3. Dans un autre saladier, faites tremper le riz dans l’eau pendant 10 minutes.
  4. Pendant le temps de trempage de l’aubergine et du riz, hachez les oignons et les poivrons en morceaux de 0,5 cm. Coupez les tomates en dés. Émincez l’ail.
  5. Égouttez le riz. Ajoutez le sel, la cardamome, la cannelle, le curcuma, le poivre noir et mélangez. 
  6. Mettez l’huile d’olive dans le faitout et réglez le feu sur moyen-doux. Faites revenir les aubergines pendant deux minutes de chaque côté, puis réservez. Faites revenir les poivrons, l’ail et les oignons jusqu’à ce que les oignons soient translucides. Enlevez les légumes, réservez-les.
  7. Mettez le poulet dans le faitout. Faites-le sauter pendant 15 minutes, en le tournant fréquemment.
  8. Quand le poulet est prêt, enlevez le faitout du feu et montez une couche de 2,5 cm avec une partie du poulet (la peau tournée vers le bas), des pois chiches et de l’aubergine. Montez une deuxième couche de 2,5 cm avec des oignons, des poivrons verts, de l’ail et des tomates.
  9. Faites la couche suivante avec les 3/4 du riz.
  10. Ajoutez ce qu’il reste de poulet, pois chiches, aubergine, pommes de terre, tomates, oignons, poivrons et ail.
  11. Ajoutez le reste du riz.
  12. Ajoutez 1,5 l d’eau. Tassez le riz et ajoutez plus d’eau si nécessaire pour que le liquide soit juste au niveau du riz.
  13. Couvrez le faitout. Mettez à feu vif jusqu’à ébullition. Puis baissez le feu, laissez frémir pendant 20 minutes.
  14. Et maintenant, amusez-vous. Enlevez le faitout du feu. Prenez un grand plat de service. Utilisez des maniques ou un torchon pour protégez vos mains de la chaleur et de la vapeur, et retournez le faitout d’un seul geste fluide, afin que son contenu soit mis sens dessus-dessous sur le plat de service.
  15. Si du liquide a coulé, essuyez-le avec un essuie-tout. Servez.

Les pois chiches et les poivrons verts sont en option. Cela dépend des goûts. 

Somaqiya (photo de l’auteur)

Somaqiya

Majeda, 30 ans, est une assistante de projet, employée d’un institut pédagogique. Elle a une fille. Elle vit dans le nord de la Bande de Gaza.

S’il y a une noce à Gaza, vous entendrez les youyous des femmes mûres et les chants qui jaillissent des maisons des familles et amis. Et vous mangerez de la somaqiya, parce que les familles de Gaza ne fêteraient jamais un mariage sans ce plat. 

Il y a plusieurs festivités associées au mariage. Il y a la cérémonie à proprement parler, la fête de la mariée (appelée la fête du henné, d’après la teinture à base de plantes qu’on utilise pour peindre des motifs complexes sur les mains et les bras), et la fête du marié où les hommes dansent la dabké dans les rues. Nous préparons la somaqiya pour la fête du marié. 

La somaqiya est un signe de bonheur. Quand quelqu’un de notre famille se mariait, ma mère commençait à préparer les ingrédients la veille. Le jour des noces, elle se réveillait à l’aube pour cuisiner le repas. Ses sœurs, nièces et amies se joignaient à elle. En faisant la cuisine, elles chantaient et dansaient. Quand elles avaient fini de préparer le plat, elles le répartissaient sur des assiettes en plastique et demandaient aux enfants de la famille de les disposer sur le sol pour les laisser refroidir. Nous servons la somaqiya avec des légumes marinés au vinaigre et du pain maison. 

La somaqiya doit être épicée ! Sinon, les convives diront qu’elle n’était pas délicieuse. Après les fêtes, les femmes de la famille emballent les restes. 

Après mon mariage j’ai appris à préparer la somaqiya ainsi que d’autres plats palestiniens. Mon intérêt pour la cuisine est allé au-delà de la cuisine traditionnelle, et j’ai commencé à en savoir plus sur les repas et les desserts occidentaux. J’ai décidé de créer une page Instagram pour partager tous les plats que j’ai appris à faire. 

Les plats palestiniens font partie de nos traditions. Et je crois que leur partage joue un rôle dans le maintien en vie de notre histoire et de notre identité.

Ingrédients

  • 250 g d’épaule d’agneau coupée en cubes de 2,5 cm
  • 1 kg environ de cardons 
  • 8 cuillères à soupe de sumac 
  • 5 cuillères à soupe de graines d’aneth
  • 1 tête d’ail 
  • 2 oignons 
  • 60 g de farine
  • 5 piments
  • 25 cl d’huile végétale 
  • 350 g de crème de sésame
  • 1,5 l d’eau
  • 25 cl d’huile d’olive

Préparation

  1. Versez l’eau et le sumac dans un faitout de 4 litres, couvrez, amener à ébullition. Enlevez du feu. Laissez refroidir 20 minutes. Puis, avec une passoire à mailles fines, filtrez les grains de sumac encore présents. Réservez l’infusion de sumac. Elle doit être de couleur violacée ou rouge.
  2. Coupez le cardon en dés et hachez les oignons. 
  3. Dans un autre faitout, à feu moyen-doux, ajoutez la viande et mélangez pendant 15 minutes. 
  4. Ajoutez l’oignon haché et mélangez pendant 15 minutes. Puis ajoutez les morceaux de cardon  et mélangez pendant 10 minutes. 
  5. Ajoutez l’ail écrasé, le piment et l’aneth. Continuez à faire revenir le tout pendant trois minutes. 
  6. Reprenez l’infusion de sumac et intégrez-y la farine à l’aide d’un fouet, en mélangeant jusqu’à dissolution.
  7. Combinez le mélange d’infusion de sumac et de farine avec les légumes et l’agneau sautés. Remuez sans cesse jusqu’à que le mélange s’épaississe. 
  8. Ajoutez le sel, le tahini et l’huile d’olive et mélangez pendant sept minutes. 
  9. Quand cette soupe prend de la consistance, le plat est prêt à servir.


Ziad Ali est le pseudonyme d’un écrivain et blogueur de Gaza.

Source : Mondoweiss

Traduction SM pour Agence média Palestine

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