Pour Nur Garabli, la danse est un moyen de démêler son identité et d’ébranler le déséquilibre des pouvoirs politiques lié au fait d’être une citoyenne palestinienne d’Israël.
Par Natalie Alz, le 12 octobre 2021
Seize ans après son premier cours de danse, Nur Garabli était prête à aller sur scène présenter son propre spectacle — une opportunité pour laquelle elle a travaillé sans relâche. Ce spectacle explore la complexité de son identité en tant que citoyenne palestinienne d’Israël vivant à Jaffa, et particulièrement le fossé entre les réalités vécues par les Palestiniens arabes et par les Israéliens juifs.
« Je sais tout sur la culture israélienne, les coutumes et les fêtes, mais l’autre côté ne sait rien de moi », dit-elle.
Pour refléter cette disparité dans son spectacle, Garabli dit un mot en arabe — surtout des jurons, là où s’arrête l’implication de beaucoup de juifs israéliens avec cette langue — et demande au public de le répéter. Elle décrit cela comme une leçon d’arabe : elle est l’enseignante et le public, ce sont ses étudiants.
« Les gens s’expriment de beaucoup de façons », dit Garabli, une danseuse, chorégraphe et professeure de danse de 25 ans qui combine la danse contemporaine avec des styles traditionnels palestiniens comme la dabkeh. « Je le fais par la danse. Mes mouvements racontent une histoire, mon histoire. »
Le spectacle de Garabli est intitulé « HaKovshim », l’hébreu pour « Les conquérants » ou « Les occupants ». L’inspiration de ce titre lui est venue quand elle est passée sur le chemin de son université à Tel Aviv dans une rue portant ce nom. « Je ne pouvais pas en croire mes yeux », s’exclame-t-elle. « Il y a vraiment une rue avec ce nom ».
Son spectacle fait partie du Festival international du théâtre marginal Akko [Akko International Fringe Theater Festival], qui a lieu fin septembre. Neta Meidan et Shaked Shneller ont produit et dirigé le spectacle, avec de la musique d’Omer Boulanger Cohen.
Même si Garabli s’attaque au poids politique de son identité dans son travail, elle ne voit pas sa participation à des institutions israéliennes comme un problème. Elle a auparavant été impliquée dans des projets au Centre Suzanne Dellal, un centre culturel important de Tel Aviv ; après son succès à Acre avec « Les occupants », Tmu-na, un théâtre communautaire de Tel Aviv, a invité Garabli à se produire sur scène. « Je paie des impôts comme tout le monde, et donc je mérite de profiter des budgets, comme tout artiste le fait », dit-elle.
Garabli a grandi dans le quartier Ajami de Jaffa. La ville a fait les gros titres cette année lorsque des habitants ont organisé des manifestations de masse pour protester contre une gentrification croissante, qui a pris une dimension ethnique puisque des acheteurs juifs déplacent des familles palestiniennes qui ne peuvent plus se permettre de payer le loyer des maisons dans lesquelles elles ont vécu depuis des générations.
« J’étais habituée à pouvoir voir la mer de ma maison », dit Garabli. Mais aujourd’hui, avec de hauts immeubles d’habitation dans cette zone, « c’est impossible ».
Enfant, elle était régulièrement témoin des trafics de drogue qui avaient lieu ouvertement dans le quartier. Maintenant, c’est différent, admet-elle : « Je ne sais pas si c’est parce que je m’y suis habituée, ou parce qu’il y a vraiment un changement ».
Quand Garabli avait trois mois, son père a abandonné la famille et a émigré aux États-Unis. Sa mère a donc élevé seule Garabli et sa sœur jumelle, tout en mettant en place sa propre affaire. « Ce n’était pas le plan de vie qu’avait ma mère », dit Nur. « Elle s’est mariée assez tardivement, à 26 ans, et elle avait un seul but : avoir des enfants. Et cela ne s’est pas fait facilement. Après quatre ans de traitement pour la fertilité, elle nous a eues, Yara et moi. »
Les trois femmes ont un lien spécial, dit-elle, sa grand-mère complétant le tableau d’un environnement familial de femmes se faisant mutuellement confiance et se soutenant l’une l’autre. Pour la mère de Garabli, une bonne éducation était une priorité, donc elle a envoyé ses filles dans une école privée. Mais dès l’école élémentaire, elle ne pouvait plus se permettre les frais de scolarité et Garabli et sa soeur ont dû être transférées dans une école publique.
La clarté par la lutte
Quand la mère de Garabli l’a inscrite enfant à un cours de danse dans un centre communautaire local, ce n’était pas pour sa santé. « Notre famille a une prédisposition à l’obésité et maman voulait réellement nous apprendre à être disciplinées », dit Garabli. « C’était très important pour elle ».
À Jaffa, les leçons de danse étaient un privilège que tout le monde ne pouvait pas s’offrir, remarque-t-elle. Il y avait aussi un déséquilibre social dans les cours : les professeurs étaient des juifs israéliens qui ne parlaient pas arabe ou ne comprenaient pas les normes locales, alors que la plupart des élèves étaient des citoyens palestiniens.
Cette dynamique des pouvoirs est devenu un motif tout au long de la vie de Garabli. En 2015, Garabli s’est inscrite à l’Université kibboutznik de pédagogie, de technologie et des arts pour obtenir une licence en pédagogie. Elle avait 19 ans, était fiancée et encline à éviter le conflit autant que possible. Ses camarades étaient des femmes juives plus âgées, qui étaient mariées, ou attendaient des enfants, ou qui avaient voyagé dans le monde entier après leur service militaire — et l’écart était important. Garabli s’en souvient comme d’une période difficile ; elle était renfermée, luttant pour se fondre dans la foule et évitant les confrontations pour être en paix avec son entourage.
Laisser la danse derrière elle pour l’amphi de cours a été un autre test pour Garabli qui, avec sa sœur jumelle, était la première de la famille à aller à l’Université. Elle se souvient d’être allée à des leçons de danse classique à l’Université entre ses cours, ce qui l’a conduite à réévaluer sa décision d’étudier la pédagogie.
Finalement, elle a rassemblé le courage de dire à sa mère qu’elle voulait suivre son cœur et étudier la danse. Sa mère a accepté le changement mais a quand même encouragé Garabli à travailler pour obtenir un diplôme universitaire. Elle compte être diplômée cette année.
Selon Garabli, qui vient d’une famille musulmane traditionnelle qui prie et jeûne pendant le mois sacré du Ramadan, beaucoup dans la communauté palestinienne de Jaffa n’approuvent pas la danse en tant que profession. Danser est considéré comme une tentation et les femmes bougeant leurs corps de cette manière libre peuvent « faire du tort à » leur réputation.
De plus, étant donné que la communauté est largement focalisée sur sa survie, plaidant pour des logements abordables et se mobilisant contre la violence des armes et la brutalité de la police, beaucoup de résidents palestiniens voient les activités artistiques comme des futilités, explique Garabli. C’est pourquoi, ajoute-t-elle, relativement peu de Palestiniens assistent à des événements culturels comme les siens.
De beaucoup de façons, Garabli est une pionnière dans son domaine — et c’est ce qui l’a amenée au Festival Akko. Cette percée est arrivée après une année rude, dit-elle, ayant passé la plus grande partie de 2020 en congé à cause de la pandémie de coronavirus.
Mais la lutte lui a aussi apporté de la clarté : être coincée à la maison avec des pensées lancinantes et aucune sécurité financière l’a aidée à comprendre qu’elle avait besoin d’être plus flexible et aussi préparée que possible pour des situations sur lesquelles elle avait peu de contrôle. Surtout, cela lui a fait réaliser l’importance d’avoir un environnement inclusif et solidaire. Elle rêve de se produire un jour à Jaffa pour sa communauté.
Natalie Alz est créatrice de contenus, enseignante de yoga et voyageuse, bloggant dans son temps libre. Facebook et Instagram : NatalieAlz ; Twitter : Natalie_Alz.
Source : +972
Traduction CG pour l’Agence Media Palestine