Le secteur palestinien de la sécurité : renforcement de la répression étatique

Par Alaa Tartir, le 14 novembre 2021

En octobre 2021, l’Équipe de la société civile palestinienne pour l’amélioration de la transparence du budget public a révélé que le secteur de la sécurité de l’Autorité palestinienne (AP) continue à recevoir la part la plus importante du budget de l’Autorité palestinienne. Pendant la première moitié de 2021, plus de 50 millions de shekels israéliens (~ 16 millions de $) ont été dépensés en vue de la réforme des forces de sécurité de l’AP (FSAP). Les FSAP ont également reçu 1 675 millions de shekels (~ 538 millions de $) – plus de 22% du budget total de l’AP – dont 88% ont été affectés aux salaires ; cela représente un accroissement de 115 millions de shekels (~ 37 millions de $) en comparaison des six premiers mois de 2020.

Ces chiffres indiquent le grave écart entre les besoins du peuple palestinien et les priorités de l’AP. Tandis que les Palestiniens s’efforcent de mettre fin au cadre de sécurité oppressif imposé par les Accords d’Oslo, l’AP continue à investir sur les plans politique, financier et institutionnel dans le maintien du statu quo, renforçant le cadre de sécurité sous prétexte de stabilité et de construction d’un État.

Au lieu d’un processus de démocratisation, d’inclusion et d’obligation de rendre des comptes, les processus de l’AP en vue de la réforme de la sécurité, bénéficiant d’un soutien international, qui ont été la cheville ouvrière du projet de construction d’un État entrepris par l’AP après 2007, ont débouché sur la répression, la persécution, et la professionnalisation de l’autoritarisme palestinien. L’autoritarisme structurel fait donc partie intégrale du système politique palestinien.

Répression et détérioration sociale

Après le meurtre du militant et critique de l’AP Nizar Banat en juin 2021, les FSAP ont réprimé des manifestations pacifiques en faisant usage d’une force illégale, ciblant des journalistes, des militants de la société civile et des avocats au moyen d’arrestations arbitraires et d’actes de torture. Le degré de répression observé au cours de l’été 2021 a été sans précédent, et sa complexité était manifeste : il indiquait la convergence constante des institutions juridiques, politiques, sécuritaires et économiques de l’AP. Cette apparition d’une convergence destinée à réprimer de manière plus efficace est une évolution préoccupante, et si elle n’est pas contrée par des mécanismes d’obligation de rendre des comptes gérés par le peuple, l’agression autoritariste s’intensifiera et la transition démocratique n’aura pas lieu. 

L’AP continue à avoir pour objectif clé de consolider le pouvoir dans le secteur de la sécurité. Le but des campagnes des FSAP en 2007 était de “nettoyer” la Cisjordanie des armes autres que celles de l’AP, de mener un processus de désarmement, d’arrêter ceux qui défieraient l’autorité de l’AP, et de faire savoir clairement aux Palestiniens que l’AP était l’unique pouvoir et structure de gouvernement. L’AP a donc adopté une “approche globale” pour confisquer les armes et a brouillé intentionnellement la distinction entre les “armes de l’anarchie” et celles de la “résistance armée”. Ainsi, les criminels et les combattants de la résistance étaient confondus et ciblés de la même façon. Un habitant du camp de réfugiés de Balata posait ainsi une question ironique : “Comment peut-on détenir un voleur dans la même cellule qu’un muqawim (combattant de la liberté) ?”

Les ramifications des processus de réforme du secteur de la sécurité (RSS) mettent longtemps à se manifester sur le plan social, et en Palestine, c’est maintenant qu’elles apparaissent clairement. Les campagnes de sécurité de 2007, appelées ironiquement “Sourire et Espérer,” et le processus de réforme qui a suivi et dure encore ont créé de profonds problèmes structurels et des défaillances qui n’ont fait que renforcer une culture de peur, jugulant et criminalisant la résistance, et qui ont accru la défiance des Palestiniens à l’égard de leurs dirigeants.

La torture et le meurtre des opposants politiques, l’arrestation arbitraire des critiques dans des conditions inhumaines, les niveaux accrus de surveillance, l’affaiblissement de la tolérance et de la pluralité, sont des ingrédients déterminants de la détérioration de la société palestinienne. La sécurisation plus poussée des espaces sociaux diminuera le pouvoir d’agir des Palestiniens, consolidera leur fragmentation, et affaiblira leur capacité à résister efficacement aux structures coloniales et oppressives.

Repenser la gouvernance du secteur de la sécurité

La nécessité de repenser la gouvernance du secteur palestinien de la sécurité de façon à donner la priorité aux Palestiniens eux-mêmes doit figurer dans tout dialogue national sérieux et complet. Du fait de la consolidation du pouvoir, à l’opposé de l’inclusion et de l’obligation de rendre des comptes, les FSAP rendent des comptes aux donateurs et au régime israélien plutôt qu’au peuple palestinien. Le renversement de cette tendance est un préalable décisif de la RSS. Dans ce but :  

  • La société civile et la direction palestiniennes doivent s’engager à entreprendre un dialogue national inclusif, authentique et complet. Le fait de revenir sur le programme national palestinien en adoptant la perspective de la gouvernance du secteur de la sécurité pourrait contribuer à de multiples objectifs, puisque cela implique de débattre des stratégies de résistance, de la nature des structures de gouvernance, et des mécanismes d’obligation de rendre des comptes. 
  • Les formations politiques et la société civile palestiniennes doivent exiger que l’AP redistribue son budget équitablement, notamment dans des secteurs économiques productifs, pour mettre fin au budget excessif des instances sécuritaires de l’AP.
  • La société civile palestinienne doit faire pression sur l’AP pour qu’elle applique la décision de l’Organisation de libération de la Palestine de mettre fin à la coordination avec Israël en matière de sécurité, ce qu’elle n’a pas fait en dépit de ses affirmations.
  • La société civile et la direction palestiniennes doivent adopter une stratégie unifiée de résistance, y compris en ce qui concerne la résistance armée, pour éviter l’instrumentalisation des armes et de l’armement dans les combats internes entre factions politiques, surtout dans les périodes de transitions au niveau du pouvoir et de vides au niveau de la direction.

Traduction SM pour l’Agence Média Palestine

Source : Al-Shabaka

Retour haut de page