Tamer Nafar: Le parrain du hip-hop palestinien

Le 22 novembre 2021, par The IMEU

« Un shekel, un rêve et un dictionnaire ». C’est tout ce qu’avait Tamer Nafar quand il a commencé. Aujourd’hui, il est un des principaux musiciens palestiniens, le parrain de la scène hip-hop arabe, acteur, scénariste et (de son propre aveu), « un mec cool, tout simplement ».

La vie de Tamer, né et élevé à Lydd, a été façonnée par la ville. À Lydd, les taux de criminalité sont élevés et la cruauté de la violence et de la pauvreté touche tous.tes les habitant.e.s palestinien.ne.s d’une manière ou d’une autre. Les quartiers palestiniens arabes sont négligés par Israël, laissés à eux-mêmes et dans cet environnement difficile, Tamer a trouvé du réconfort dans la musique. « Lydd a été la raison pour laquelle je suis amoureux du hip-hop » dit-il. « Lydd étant devenue le plus grand marché de drogue du Moyen Orient et la brutalité de la police et la criminalité augmentant, j’ai perdu beaucoup d’amis. Cela m’a fait me tourner vers le hip-hop, m’a amené vers ce côté de la musique que je n’avais pas exploré auparavant ».

Bien que son anglais ne fût pas des meilleurs, Tamer s’est connecté aux images véhiculées par le hip-hop. « Ce que je voyais sur ces vidéos musicales ressemblait à mon quartier. Par exemple la vidéo hurlante de 2Pac Si Tu M’entends : elle commence par des flics qui emmènent un jeune Noir vers leur voiture et il est menotté. C’était juste comme dans mon quartier – les sirènes, les jeunes arrêtés. Je ne savais pas de quoi il parlait, je ne comprenais pas les paroles mais je pouvais les imaginer. Cela me reliait à ma réalité ; ça m’a aidé à m’exprimer sur ma propre vie et sur ce qu’il se passait. J’avais eu ce sentiment et la colère et des émotions auparavant, mais avec le hip-hop, j’ai commencé à trouver les mots ».  

Tamer s’est procuré un dictionnaire et a commencé à traduire les paroles qu’il écoutait. « Il y avait peut-être 80% des mots que je ne trouvais pas, parce que c’était de l’argot, mais j’ai capté. J’ai appris moi-même ». Il a commencé à écrire ses propres paroles en anglais, en exprimant ses expériences personnelles à travers le rap, faisant ce que personne autour de lui ne faisait. Au début, le processus a été ardu. « C’était en 1998. J’ai essayé de trouver des producteurs mais ils ne faisaient que des mariages. Il n’y avait pas de rythmes facilement accessibles comme aujourd’hui. Il n’y avait juste pas de base pour faire de la musique hip-hop, donc c’était très, très, très difficile ». Alors Tamer a improvisé : il a téléchargé des versions instrumentales de morceaux célèbres et a commencé à rapper dessus. « Mes premiers singles étaient tous chantés sur des rythmes connus ; ce n’est qu’autour de 1999-2000 que j’ai commencé à trouver des producteurs et à créer mes propres rythmes ».

C’est vers ce moment-là que Tamer a découvert à quel point la scène hip-hop israélienne se développait. « C’était underground et ils produisaient leurs propres trucs et kicks. J’ai été choqué de voir une scène aussi développée ». Il ne fallut pas beaucoup de temps à Tamer pour qu’il se mette à travailler sur des raps en arabe, traçant un genre nouveau. Ce fut cette innovation, ces raps arabes, qui ont fait de lui la star qu’il est aujourd’hui.

Bien qu’il soit entré sur la scène hip-hop et qu’il ait grandi dans les dures conditions de l’apartheid israélien, Tamer n’a pas pris une posture politique lorsqu’il a commencé à faire de la musique. « Pour moi, au départ j’étais très ‘f… la police’, plus concentré sur Lydd que sur la Palestine. Je cherchais à être un artiste, je n’étais pas, alors, en recherche identitaire. Ce n’est que plus tard, après le début de la deuxième Intifada, que j’ai commencé à m’exprimer spécifiquement sur être palestinien. Au début, j’étais juste content d’être dans une pièce avec des lumières et un bon micro ». Quand l’intifada a éclaté et que des Palestiniens ont été ouvertement tués, Tamer est allé à un concert à Tel Aviv et a laissé ses sentiments s’exprimer dans une chanson intitulée Innocents Criminels. La réaction dans le club a été moins qu’enthousiaste. « C’est devenu dingue, les gens ont commencé à se battre. C’est là que ça m’a frappé. Ça me va d’être sympa, d’être un jardinier ou un mécanicien ou le livreur de Houmous, mais si j’arrête et que je dis ‘le jardin dans lequel je travaille, c’était celui de mon grand-père’ alors là ces gens ne sont plus mes amis. Cette nuit-là j’ai eu le sentiment que je voulais être plus politique ».  La chanson qu’il a chantée et l’attention qu’elle a obtenue ont apporté à Tamer une certaine attention et une responsabilité. « Les gens ont commencé à m’inviter à des événements politiques et j’ai commencé à participer à ce côté des choses. La vie est un processus ».

Mais même avec ses incursions en politique, la musique de Tamer se déploie dans une foule de thèmes et de sujets allant de l’amour à la pauvreté. Son travail ne se limite pas aux confins de l’occupation, bien que, en tant que Palestinien, il est souvent restreint à son identité de victime de l’apartheid. « Le message que je reçois au plan artistique est que je n’existe qu’à cause de l’occupation. Non. Ce n’est pas que nous, Palestiniens, ayons besoin de l’occupation pour notre conduite. C’est en fait le contraire – l’occupation nous empêche juste de grandir, d’être à l’échelle internationale. L’occupation ne sera jamais ma motivation ; ce n’est pas une source d’inspiration. J’existe en dehors de la torture que m’inflige Israël ». Ses plus gros succès, dit-il, ne sont pas ses morceaux politique, alors que les médias étrangers continuent à se centrer sur ceux qui le sont. Au moment où de nouveaux rappeurs palestiniens apparaissent, cette hyperfocalisation sur des aspects spécifiques de la vie des Palestinien.ne.s peut être extrêmement limitante.

En tant que rappeur palestinien vedette, Tamer a observé l’arrivée de beaucoup de sang neuf qui s’est taillé une place sur la scène. Il est inspiré par la nouvelle génération et par toute la nouvelle musique qu’ils sortent. Un jeune rappeur en particulier a retenu son attention : le phénomène viral de Gaza, MC Abdul, dont l’accent et le flow ont impressionné Tamer. « J’ai d’abord entendu parler de lui sur un post Instagram et j’étais, genre, quoi ? Qui est ce gosse ? Il était juste tellement bon ». II a contacté MC Abdul, qui s’appelle en réalité Abdel Rahman Al-Santti, et lui a offert de collaborer sur une chanson et c’est ainsi qu’est né leur dernier hit “The Beat Never Goes Off”. 

Il a fallu un certain temps pour perfectionner le morceau, étant donné que Tamer écrivait les paroles pour qu’elles soient chantées par un garçon de 12 ans, mais par la suite, Abdel Rahman a continué à impressionner. « Il m’a fallu un moment pour me figurer comment écrire pour un enfant, mais quand j’ai fini par lui envoyer la chanson, il l’a enregistrée en une demi-heure et le résultat a été meilleur que ce que j’avais fait. Son flow, ce qu’il a produit – c’était de la dope ». Quand il est allé en studio, Tamer cherchait au départ un beat plus triste, plus doux, mais juste ça ne marchait pas. Les paroles nécessitaient un rythme plus soutenu. « Nos énergies nous ont forcés à faire un morceau énergétique. Et, tu sais, je m’en suis vanté pendant des mois : un type de Lydd et un autre de Gaza, ont fait une chanson énergétique, pas une chanson triste ! » Bien que la chanson contienne une certaine tristesse – chanter sur des attaques de tanks n’est pas exactement le bonheur – elle a aussi une franche énergie.

“The Beat Never Goes Off” est sorti en septembre et les visuels de la vidéo musicale sont frappants. Tamer est debout dans une ville palestinienne de Cisjordanie occupée et il rappe devant le mur de l’apartheid israélien qui sépare les familles palestiniennes les unes des autres. MC Abdul, filmé à Gaza, est projeté sur le mur derrière Tamer. L’effet rendu est à la fois celui de l’unité du peuple palestinien et de sa séparation forcée, du déplacement forcé, tandis que tous les deux rappent sur l’occupation et sur l’indéfectible énergie palestinienne.

Après des décennies sur scène, Tamer trouve encore des moyens nouveaux et enthousiasmants qui l’inspirent dans sa création musicale. Son conseil aux Palestinien.ne.s qui s’y essaient ? « N’hésitez tout simplement pas. Ne pensez pas trop, juste allez jusqu’au bout. Vous allez faire des erreurs et si vous n’en faites pas, les gens trouveront des erreurs. Nous vivons dans un lieu où chaque geste est jugé. Cela peut créer un système d’autosurveillance dans la tête. Un artiste à mi-chemin ça n’existe pas, allez au bout. Si ça vous prend de faire de la provocation, ne reculez pas ; si vous choisissez des chants de mariage, soyez les meilleur.e.s dans ce registre. Soyez ce que vous choisissez, au maximum – c’est quelque chose que j’avais besoin d’entendre quand j’ai commencé ».

Tamer travaille actuellement à une musique nouvelle, à son nouveau morceau prêt à sortir dans les prochaines semaines. Le titre du morceau “GoTTer” d’après de l’argot colonial anglais, est son premier morceau de drill. « C’est dynamique et c’est brut et dur – c’est un nouveau flow. J’aime vraiment ce que fait la nouvelle génération. J’ai été très inspiré par les gens qui ont été inspirés par moi, c’est comme un cycle ». Jusqu’à la sortie de “GoTTer”, vous pouvez regarder “Te Beat Never Goes Off » sur toutes les grandes plateformes de musique et regardez ici la vidéo musicale.

Traduction SF pour l’Agence Média Palestine

Source : The IMEU

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