Par Maureen Clare Murphy, 20 Mai 2022 – The Electronic Intifada
Des Palestiniens de Gaza City assurent une vigie à la mémoire de Shireen Abu Akleh le 11 mai. Mohammed ZaanounActiveStills
Israël a annoncé qu’il n’allait pas lancer une enquête pénale sur la mort de la journaliste Shireen Abu Akleh, alors qu’il n’était pas loin d’admettre qu’un soldat avait tiré et l’avait tuée.
Mardi, l’armée israélienne a dit qu’elle avait « identifié le fusil d’un soldat pouvant avoir tué » la célèbre correspondante d’Al Jazeera la semaine dernière, « mais a dit qu’on ne pouvait en avoir la certitude à moins que les Palestiniens ne restituent la balle pour analyse » selon l’agence de presse AP.
Le quotidien de Tel Aviv Haaretz a rapporté que l’armée a refusé d’ordonner une enquête parce que « il n’y pas de suspicion d’acte criminel ».
En d’autres termes, l’armée israélienne en est venue à une conclusion sans prendre la peine d’une investigation – en dépit de l’attention et de l’indignation internationales sur le meurtre de cette journaliste de grande notoriété.
Haaretz, imitant la pirouette de l’armée israélienne, a déclaré que “les soldats ont témoigné qu’ils n’ont pas du tout vu la journaliste et qu’ils ont dirigé leurs armes sur des hommes armés qui étaient proches évidemment ».
L’article a ajouté qu’interroger des soldats comme des suspects « provoquerait opposition et controverse au sein de l’armée israélienne et de la société israélienne en général ».
Yesh Din, une organisation qui a publié des données montrant que les enquêtes menées par Israël sur lui-même ne sont qu’un mécanisme de blanchiment, a dit que le refus d’enquêter sur les soldats montre que les autorités militaires « ne se soucient même plus de faire comme si elles menaient des enquêtes ».
Jusqu’à présent, Israël n’a pas fourni de preuve crédible que qui d’autre qu’un soldat pouvait être responsable de la mort d’Abu Akleh alors qu’elle portait un gilet pare-balles et un casque l’identifiant comme membre de la presse.
Délibérément visée
Les travailleurs des médias qui ont survécu disent qu’elle a été visée délibérément.
Shatha Hanaysha, qui était à côté d’Abu Akleh lorsqu’elle a reçu un coup de feu, a dit que le soldat qui a tiré sur sa collègue « avait l’intention de tuer parce qu’il a tiré sur une partie de son corps qui n’était pas protégée ».
Ali Samoudi, qui a reçu un tir dans le dos et qui a été légèrement blessé lors de l’attaque, a dit : « Nous allions filmer l’attaque de l’armée israélienne quand soudain ils nous ont tiré dessus en nous demandant de partir ou d’arrêter de filmer ».
« Il n’y avait là aucune résistance armée palestinienne » a ajouté Samoudi.
La Fédération Internationale des Journalistes a soumis le meurtre d’Abu Akleh à la Cour Pénale Internationale et l’a désigné comme « ciblage délibéré et systématique d’une journaliste ».
La CPI a ouvert une investigation pour suspicion de crimes de guerre en Cisjordanie et dans la bande de Gaza l’an dernier mais elle semble donner la priorité à l’utilisation de ses ressources limitées à la situation en Ukraine, accentuant le doute sur sa crédibilité.
La défaillance d’Israël à lancer une investigation pénale sur le meurtre d’Abu Akleh apporte une preuve supplémentaire – s’il en était besoin – que les Palestiniens ne peuvent avoir accès à la justice dans le système israélien.
Selon le principe de complémentarité, la CPI de la Haye ne poursuit que les cas où la justice ne peut être rendue par des tribunaux locaux.
Dans la poignée de cas où un soldat a été poursuivi par Israël sur le meurtre d’un Palestinien, la sentence a généralement été de l’ordre d’une tape sur les doigts.
Les généraux et acteurs politiques israéliens qui conçoivent la politique ayant abouti à la mort de milliers de Palestiniens au cours des années récentes ne sont jamais tenus pour responsables.
Une investigation de la CPI, s’il en était fait une, se concentrerait très vraisemblablement sur des civils de haut rang et des représentants officiels de l’armée.
Les derniers moments de Shireen Abu Akleh
Abu Akleh et d’autres travailleurs des médias couvraient une attaque militaire dans le camp de réfugiés de Jénine lorsqu’ils se sont trouvés sous le feu de soldats israéliens.
Un représentant anonyme de l’armée israélienne a dit à l’AP que « nous avons limité l’armement de l’IDF pouvant être impliqué dans les échanges de coups de feu près de Shireen ».
Les journalistes qui étaient avec Abu Akleh lorsqu’elle a été tuée ont dit qu’il n’y a pas eu d’échange de coups de feu à ce moment-là et que le tir est venu d’une seule direction, celle des soldats israéliens présents dans le camp.
Une vidéo est sortie le jeudi montrant les derniers moments d’Abu Akleh :
Le clip montre un groupe de gens comprenant l’équipe signalée comme de la presse, qui se tenait dans la rue et blaguait, ne ressentant visiblement aucun sentiment de danger ou d’urgence comme cela aurait été le cas s’il y avait eu un échange de coups de feu à ce moment-là.
Les gens, sur la vidéo, courent se mettre à l’abri tandis que plusieurs coups de feu sont tirés, tous venant apparemment de la même direction. Au bout de quelques secondes, plusieurs autres coups de feu sont tirés, apparemment depuis la même direction que la première salve.
Après la deuxième salve, un homme qu’on entend mais qu’on ne voit pas sur la vidéo crie « Shireen, Shireen » et lance plusieurs appels en arabe pour faire venir une ambulance.
L’armée israélienne, bien que n’enquêtant pas sur le meurtre d’Abu Akleh en tant qu’affaire criminelle, demande à l’Autorité Palestinienne de lui remettre le fragment de balle récupéré sur Abu Akleh, alléguant de sa nécessité pour déterminer si elle a été tuée par l’arme du soldat.
Israël n’a pas rendu publics la totalité de ce qui a été filmé par les soldats impliqués dans le meurtre d’Abu Akleh ni leur localisation par GPS ou autres informations qui peuvent aider de façon décisive à établir la responsabilité de la mort de la reporteure.
Les soldats en opération à Jénine le matin où Abu Akleh a été tuée portaient des caméras corporelles et l’armée israélienne a publié un montage fortement modifié du tournage :
Bellingcat, un groupe de recherche copieusement financé par des contractuels du renseignement occidentaux, a analysé de l’information open source qui comporte des vidéos de l’incident partagées sur les réseaux sociaux.
Les chercheurs ont déterminé que la preuve disponible va dans le sens de ce qu’ont dit des témoins, à savoir que la responsabilité de la mort d’Abu Akleh est « attribuable à des soldats de l’IDF ».
Al Jazeera, l’employeur d’Abu Akleh depuis 25 ans, a informé jeudi que la chaîne ainsi que l’Autorité Palestinienne, le Qatar et la famille de la journaliste tuée, forment le projet d’obtenir justice pour son assassinat.
Israël a traité le meurtre d’Abu Akleh comme une crise dans les relations publiques et rien de plus.
La famille d’Abu Akleh a dit jeudi à Al Jazeera que « nous nous attendions à cela de la partie israélienne. C’est pourquoi nous n’avons pas voulu participer à l’investigation ».
La famille a ajouté que « nous incitons les États-Unis en particulier, étant donné qu’elle était une citoyenne étatsunienne, et la communauté internationale à ouvrir une enquête juste et transparente pour mettre fin aux meurtres ».
L’administration du président des États-Unis Joe Biden avait avait dit précédemment à Washington « qu’il est important pour nous que soit reconnue la responsabilité de ceux qui sont responsables de la mort (d’Abu Akleh) et que l’armée israélienne « ait les moyens de conduire une enquête approfondie et exhaustive ».
Jake Sullivan, le conseiller de Biden pour la sécurité, a tweeté mercredi qu’il avait « discuté d’un soutien solide à la sécurité d’Israël » avec Benny Gantz, le ministre de la défense d’Israël lors d’une réunion à la Maison Blanche ce jour-là.
Lorsqu’il lui a été demandé par un reporter d’Al Jazeera s’il avait été question du meurtre d’Abu Akleh à cette réunion, John Kirby, le secrétaire de la presse du Pentagone a dit lors d’une conférence de presse que Sullivan « accueillait favorablement l’enquête du gouvernement israélien sur le meurtre d’Abu Akleh, quand bien même il était annoncé ce jour-là qu’il n’y aurait pas d’enquête pénale.
Le reporter d’Al Jazeera, Jamal Elshayyal, a noté qu’Abu Akleh pouvait avoir été tuée par une arme fournie à Israël par les États-Unis.
En plus du meurtre d’Abu Akleh, Israël a été l’objet d’une pression internationale à propos de l’attaque choquante menée contre ses funérailles vendredi dernier.
Michelle Bachelet, la Haut-Commissaire de l’ONU pour les droits humains, a dit samedi que l’attaque « qui a été filmée et transmise en direct à la radio ne paraissait pas nécessaire et devait faire l’objet rapidement d’une enquête transparente ». `
« Cette culture de l’impunité doit cesser maintenant » a-t-elle ajouté.
Même Tedros Ghebreyesus, le directeur de l’Organisation Mondiale de la Santé, a condamné les attaques d’Israël dans le domaine de la santé, dont l’assaut de la police sur les porteurs du cercueil devant l’hôpital de Jérusalem où se trouvait le corps d’Abu Akleh avant l’enterrement.
Une autre attaque de funérailles à Jérusalem
Lundi, la police israélienne a attaqué les funérailles de Walid al-Sharif, un Palestinien jérusalémite mort samedi de blessures causées par une balle à pointe molle tirée par la police lors d’une attaque de fidèles célébrant le Ramadan à la mosquée d’Al-Aqsa en avril.
Une ambulance du Croissant Rouge Palestinien a été atteinte par un tir réel et par des balles enrobées de caoutchouc tirées par la police israélienne lors de l’attaque de lundi.
Plus d’une dizaine de personnes ont été hospitalisées, deux blessées aux yeux, par des tirs de grenades lacrymogènes par la police qui a aussi utilisé des matraques contre les personnes endeuillées.
Un parent de l’homme décédé, Nader al-Sharif, a été gravement blessé par une balle à pointe molle qui l’a atteint près du cimetière et, le lendemain matin il a été arrêté et attaché à son lit d’hôpital là où il était soigné.
La police israélienne a attaqué les frères et le cousin de cet homme à l’intérieur de l’hôpital.
Lundi, également, la police a arrêté Amro Abu-Khudeir âgé de 34 ans, un des porteurs du cercueil qui avait été frappé par des agents pendant les funérailles d’Abu Akleh.
Il a été interrogé sur sa participation aux funérailles, son avocat, Khaldoun Najm l’a dit aux médias.
Alors que les images de la brutalité israélienne ont été récemment montrées dans le monde entier, une délégation de sa police a reçu un accueil chaleureux en Grande Bretagne cette semaine.
Certains agents de la police israélienne sont même allés patrouiller dans le quartier de Hackney à Londres.
Traduction SF pour l’Agence Media Palestine
Source: Electronic Intifada