Farha met en lumière l’anéantissement de la Palestine par Israël

Par Omar Karmi, le 16 Décembre 2022 

La chose la plus importante concernant Farha (un film Netflix qui traite de la Nakba et qui gène beaucoup) c’est tout simplement qu’il est important.

Ce qui est important à propos de Farha ce n’est pas la précision du film, à quel point il est difficile et douloureux de le regarder, ni à quel point cette histoire est bien racontée. Il est tout cela à la fois. Mais le plus important, c’est que Farha existe, tout simplement.

La chose que les gens (sauf bien sûr les lecteurs.trices de cette presse ) ne semblent pas comprendre de la Nakba, c’est qu’elle a vraiment existé. Et elle a existé exactement comme les Palestinien.nes la racontent. 

Et peu importe qui vous la raconte. Chaque Palestinien.ne a une histoire de Nakba, la sienne ou celle de ses parents ou d’autres aïeux, ami.es ou voisin.es. Nombre d’entre eux l’ont racontée, sur un forum ou un autre. Les historien.nes l’ont documenté, les documentaristes en ont fait des documentaires.

La Nakba est pleine d’histoires et de souvenirs douloureux et c’est dans l’une de ces histoires que Farha est puisée.

Un récit de voyage

Selon Darin J. Sallam, la réalisatrice jordanienne primée pour ce premier long métrage, elle a d’abord entendu l’histoire de Farha de sa mère, qui l’avait entendue d’une amie d’enfance à Damas. 

L’histoire se passe dans un village dont on ne connaît pas le nom, mais qui, on le comprend, fait partie des quelques 600 hameaux, villages et communes qui ont été dépeuplés et détruits par les sionistes lors de la Nakba, entre 1947 et 49 et plus tard cachés sous des “parcs nationaux,” souvent aux abords de colonies juives portant des noms similaires. 

Farha, le personnage principal, est une adolescente dont l’ambition est de se rendre en ville (dont on ne connaît pas non plus le nom) afin de faire des études, contrairement à ce que veut la tradition.  Le jeu d’actrice de Karam Taher, qui est à l’écran pratiquement sans interruption, est puissant.

Elle finit par convaincre son père, veuf et remarié, d’aller faire des études. Mais avant que cela ne soit rendu possible, les combats avec les milices sionistes (présentes en permanence dans le film) atteignent sont village. Son père l’enferme dans la cave pour la protéger. Elle y restera la majeure partie du film. 

Dès lors, on ne voit alors plus son père (on comprend qu’il a été tué) et avant que Farha n’ait pu s’échapper, son village a été vidé de ses habitants. On ne voit pas cela se produire, mais on est témoin de l’exécution d’une famille d’un autre village par les militants sionistes. 

C’est une histoire intense, très bien racontée, entièrement du point de vue de Farha. C’est aussi un récit douloureusement et profondément familier pour chaque Palestinien.ne. 

Comme on pouvait s’y attendre, Israël et ses nombreux adeptes le détestent.

Israël aime faire la guerre à l’histoire. Et cela fait partie intégrante du sionisme qui, comme la plupart des pensées coloniales européennes de cette époque, a essayé de s’envelopper dans un genre de conquête civilisatrice, de mission morale, le “fardeau de l’homme blanc” de Rudyard Kipling, un “retour” pour les Juifs européens (discriminés et persécutés depuis des décennies en Europe) afin d’élever les “peuples boudeurs” déjà sur place, comme l’aurait probablement dit Kipling.

De tels contes moraux ont besoin de mythes. Donc, la Palestine était une “terre sans peuple, pour un peuple sans terre.” Ce mythe s’est transformé avec le temps en l’idée d’une terre en friche, du verdissement du désert, de l’apport de nouvelles technologies à un peuple arriéré, une idée qu’Israël continue de distiller aux interviewers crédules.  

Mais la Palestine sous l’empire Ottoman (du 16ème siècle au début du 20ème) était principalement une société agraire qui se développait en une plaque tournante du commerce régional. Les Palestinien.nes vivaient en grande partie de leurs terres cultivées, mais aussi des séjours des pèlerins, de l’artisanat et du commerce.   

Insister sur le fait que cette population active et présente ne cultivait pas la terre, qu’il n’y avait “pratiquement personne”, selon les dires du futur premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, est tout simplement faux. Et malgré une immigration massive venant d’Europe, il y avait plus de deux fois plus de Palestiniens que de Juifs lorsque la Nakba a commencé. C’est la Nakba qui a permit un changement démographique radical, permettant à un état majoritairement juif d’émerger. 

Mais incapables d’admettre qu’Israël est d’une manière ou d’une autre né dans le pêché, l’un des principaux objectifs des défenseurs d’Israël aujourd’hui est d’effacer cette histoire. 

Le projet actuel d’éradication des Palestinien.nes est plus subtile que celui, par le passé, d’éradication des preuves physiques (les villages et villes, la population elle-même). Depuis les attaques contre le programme scolaire palestinien jusqu’à la destruction d’archives traitant de la Nakba, l’accent est maintenant mis sur le musellement de l’histoire palestinienne. 

Enterrer l’histoire

Souligner, par exemple, la réalité de la Nakba serait-il contraire à la définition de l’antisémitisme de l’Alliance Internationale pour la mémoire de l’Holocauste ? Définition dans laquelle un exemple d’antisémitisme serait d’affirmer que “l’existence de l’état d’Israël est une entreprise raciste”.

Comment expliquer autrement la Nakba et ses répercussions ?

Après tout, les colons juifs d’Europe après 1917 (la grande majorité) ne sont pas venus pour vivre à égalité avec la population indigène. Ils sont venus en revendiquant un “foyer national” en Palestine, comme leur avait promis quelque lointain suzerain colonial britannique.

Certains rétorquent que ces immigrants n’ont pas été bien reçus et par conséquent n’avaient pas d’autre choix que de se battre. Mais, premièrement, qui peut s’étonner que les Palestinien.nes n’aient pas été particulièrement enthousiastes de voir arriver sur leurs côtes des dizaines de milliers de migrants européens revendiquant ces mêmes côtes.   

Deuxièmement, pourquoi chasser les Palestinien.nes (plus de 750 000 se sont retrouvé.es dans des camps de réfugiés dans les pays et territoires voisins, plus de la moitié de l’entière population palestinienne de l’époque) si ce n’est dans l’idée de remplacer une population par une autre voire, dans l’idée de menée une “entreprise raciste?”

Pourquoi les empêcher de revenir ? 

La loi de 1950 relative aux biens des absents permet à l’état israélien de confisquer propriétés et terres intactes mais dont les propriétaires avaient, soit dû fuir pour assurer leur sécurité, soit été déplacés de force, soit tués. Le droit international stipule que les réfugiés ont un droit au retour. Mais Israël le refuse aux Palestinien.nes, qui ne se sont pas vus offrir de compensation, ni même la reconnaissance que cela s’est produit, que ces “absents” existaient. 

En effet, le transfert de population a toujours fait partie de l’équation sioniste. Theodore Herzl, le fondateur du mouvement sioniste, a très tôt prôné le nettoyage ethnique de la Palestine, écrivant dans son journal que “nous devons tenter de faire passer les populations [arabes] sans le sou de l’autre côté de la frontière,” un “déplacement” qui devait être fait “discrètement et prudemment.”

De même, en 1938 David Ben-Gourion, qui deviendrait par la suite Premier ministre israélien, ne se cachait plus de son opinion quant à ce qui devait se passer : “Je suis en faveur du transfert obligatoire. Je ne vois pas en quoi c’est immoral.”

Il y avait un Plan D (à la suite des plans A, B et C) prévu au cas où les Palestinien.nes rejetteraient le plan de partition de l’ONU de 1947. (Ce rejet était largement attendu. En effet, une réunion du cabinet britannique de Septembre 1948, après coup, a clairement admis qu’il était entendu depuis longtemps par tous qu’un “état arabe distinct ne serait pas viable.”)

Le Plan D (Dalet) était clair dans ses objectifs, détaillant les stratégies d’attaques sur les populations civiles et les destructions de villages. Si les villageois s’avéraient agressifs, le plan était transparent : ils  “devraient être expulsés en dehors des frontières de l’état.”

En d’autres termes, le déplacement forcé des Palestinien.nes de leur terre était bien prévu, et les sionistes le percevaient à l’époque comme une nécessité. Comme l’explique Benny Morris, l’historien israélien qui a été le premier à avoir découvert la plupart des pièces à conviction de ce nettoyage ethnique dans les archives israéliennes : “Sans le déracinement des Palestinien.nes, un état juif n’aurait pas pu voir le jour ici.”

Une portée internationale

Avec le nettoyage ethnique sont venus les massacres. Deir Yassin, Lydda, Ramle, Tantura,… la liste est longue. Et elle est bien connue, notamment par ceux qui lest ont perpétrés. 

Par conséquent, les protestations israéliennes à propos de Farha sont donc soit purement mises en scènes (comme le policier français dans Casablanca qui se dit “choqué, choqué” des jeux d’argent de Humphrey Bogart tout en collectant ses gains), soit elles témoignent de la tentative d’enterrer l’histoire  surtout parmi les Israélien.nes et leurs partisans.  

Ce qui est certain, c’est qu’elles sont une tentative d’intimidation envers celles et ceux qui voudraient dire la vérité, dissimulant des crimes de l’histoire de telle sorte que toute résistance palestinienne semble totalement irrationnelle, et les Palestinien.nes présenté.es comme des “mi-démons, mi-enfants” comme le disait Kipling.

Farha est un rectificatif de cette perspective de la chambre noire du passé. Et le fait que tous les détails du film soient tirés de faits réels est aussi important à la vérité de la Nakba que les milliers de films sur la Seconde Guerre Mondiale le sont pour la vérité de l’holocauste.

Vous ne pouvez pas comprendre le problème de la Palestine si vous ne comprenez pas la Nakba. Et vous ne pourrez rien résoudre si la Nakba, et tout ce qu’elle implique, ne sont pas correctement abordés. 

Avec la plateforme Netflix, Farha a une portée internationale sans précédent. Bien raconté et bien filmé, ce film est une opportunité potentiellement révolutionnaire pour permettre une meilleure et une plus large compréhension de la Palestine.

Pour cette seule raison, mais aussi parce qu’il donne forme et structure à quelque chose de crucial de l’expérience palestinienne, Farha est d’une importance considérable. Ne le manquez pas. 

Trad. L.G pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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