Par Federica Marsi, le 11 mai 2023
La CPI a reçu une demande d’enquête sur la mort du journaliste d’Al Jazeera, mais la Cour n’a jusqu’à présent pris aucune mesure.
Un an après l’assassinat de la journaliste d’Al Jazeera, Shireen Abu Akleh, par les forces israéliennes, les demandes de justice restent sans réponse.
Al Jazeera Media Network a déposé une requête officielle auprès de la Cour pénale internationale (CPI) afin qu’elle enquête et poursuive les responsables de l’assassinat de la journaliste émérite le 11 mai, alors qu’elle couvrait un raid militaire israélien sur un camp de réfugiés à Jénine, dans le nord de la Cisjordanie occupée.
Les preuves fournies dans la demande, déposée en décembre 2022, comprennent une enquête exhaustive de six mois menée par le réseau, qui a recueilli des témoignages et des séquences vidéo, entre autres.
La CPI a accusé réception de la demande, mais aucune autre mesure n’a été prise. Les attaques visant intentionnellement les journalistes, en tant que civils, constituent des crimes de guerre.
« Nous sommes impatients de faire avancer les choses et de veiller à ce que l’affaire fasse l’objet d’une enquête rapide afin que les preuves puissent être rassemblées et que les responsables soient identifiés, y compris les commandants », a déclaré Rodney Dixon KC, avocat d’Al Jazeera dans le cadre de l’affaire portée devant la CPI.
« Nous espérons que cet anniversaire servira de rappel solennel de la nécessité de rendre la justice sans délai. Nous allons prendre contact avec le Bureau du Procureur pour savoir quel est le calendrier ».
La famille d’Abu Akleh, 51 ans, originaire de Jérusalem et possédant la double nationalité palestinienne et américaine, a déclaré qu’elle ne disposait pas non plus d’informations sur le traitement de l’affaire par le tribunal.
La Palestine est devenue le 123e membre de la CPI en 2015. Au cours de l’année 2020, la Cour de La Haye a estimé qu’elle était juridiquement compétente à l’égard de la Palestine – partie à la CPI – et qu’elle pouvait répondre aux questions juridiques concernant les enquêtes potentielles sur la « situation en Palestine ».
En vertu de l’article 19, paragraphe 1, du Statut de Rome – le traité qui a institué la Cour – l’organe juridique est tenu de s’assurer qu’il possède le pouvoir juridictionnel d’enquêter sur une situation donnée.
En 2021, l’ancienne procureure générale de la CPI, Fatou Bensouda, a ouvert une enquête sur des crimes de guerre présumés dans les territoires palestiniens. Elle a déclaré qu’elle examinerait les événements survenus en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza, occupées par Israël, depuis juin 2014.
« La plainte d’Al Jazeera a été déposée pour demander à la CPI d’enquêter sur le meurtre odieux de sa journaliste et les autres attaques contre Al Jazeera et son personnel, y compris le bombardement de son bureau à Gaza », a déclaré Dixon KC.
« Elle devrait être examinée avec les autres plaintes concernant le meurtre de Shireen dans le cadre de l’enquête de la CPI qui est déjà ouverte sur la situation en Palestine.
Le Bureau du Procureur (BdP) a déclaré à Al Jazeera qu’il « suivait de près et enquêtait sur une série d’événements liés à la situation en Palestine », ajoutant que « la confidentialité est un aspect crucial des activités du BdP ».
« Par conséquent, nous ne discutons pas publiquement des détails liés aux enquêtes en cours … afin d’assurer la sécurité des victimes, des témoins et de tous ceux avec qui le Bureau interagit », a déclaré le Bureau par courriel.
Justice pour la Palestine
Depuis que Karim Khan a remplacé Bensouda en tant que nouveau procureur général en 2021, les experts ont déclaré qu’il était réticent à faire avancer l’enquête.
William Schabas, professeur de droit international à l’université de Middlesex, a déclaré à Al Jazeera :
» [Khan] a clairement indiqué qu’il n’était pas intéressé par la poursuite de l’enquête. Il s’aligne très clairement sur une position pro-OTAN et pro-occidentale. Cela est devenu évident pour les personnes travaillant là-bas, en particulier après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, parce que toute l’énergie a été redirigée vers ce pays ».
En mars, la CPI a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre du président russe Vladimir Poutine pour des crimes de guerre présumés en Ukraine, ainsi qu’à l’encontre de la commissaire russe aux droits de l’enfant, Maria Alekseyevna Lvova-Belova.
Ces mandats ont été délivrés un jour après qu’une enquête soutenue par les Nations unies a accusé la Russie d’avoir commis des crimes de guerre de grande ampleur en Ukraine, notamment des déportations forcées d’enfants dans les zones qu’elle contrôle.
Contrairement à la guerre en Ukraine, « l’Europe et les États-Unis ne veulent pas que la Cour fasse quoi que ce soit au sujet de la Palestine », a déclaré M. Schabas.
Israël a refusé de reconnaître la compétence de la CPI et a répondu qu’il ne considérait pas que des crimes de guerre avaient été commis.
Il a déclaré qu’il ne lancerait pas d’enquête criminelle sur l’assassinat d’Abu Akleh, qui a été abattu d’une balle dans la tête alors qu’elle portait un casque et un gilet pare-balles sur lequel était inscrit « presse ».
Les tentatives de démêler le juridique et le politique dans la poursuite de la justice pénale internationale ont été compliquées par l’absence de prescription, c’est-à-dire de délai maximum dans lequel le procureur doit répondre à une demande soumise par un membre.
Il en résulte que la CPI est « une institution dont l’orientation politique sera déterminée par le procureur », a déclaré M. Schabas.
Si le procureur refuse d’ouvrir une enquête, un État membre peut faire appel. Mais dans le cas d’une demande restée sans réponse, il n’y a guère de motif juridique d’appel.
Une option pour la Palestine est de s’aventurer en terrain inconnu et de déposer un appel pour négligence de l’enquête, en faisant valoir que la réponse est attendue depuis trop longtemps.
« Nous ne pouvons pas exclure que la Palestine ne trouve pas un moyen de le faire, mais cela n’a jamais été fait auparavant », a déclaré M. Schabas.
Source : Al Jazeera
Traduction : AGP pour l’Agence Média Palestine