Omar Barghouti: l’apartheid israélien ne s’arrêtera pas de lui-même

Par Omar Barghouti, le 15 Mai 2023

C’est BDS ou l’échec.

Des Palestiniens passent par le poste de contrôle israélien de Qalandia alors qu’ils se rendent à la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem pour assister aux prières du vendredi pendant le Ramadan, avril 2023. Photo : Mohamad Torokman/Reuters : Mohamad Torokman/Reuters

Dans son message vidéo célébrant le 75ème anniversaire de l’établissement de la colonie européenne d’Israël sur des ruines de la Palestine, Ursula von der Leyen a donné une voix au racisme colonial et à l’hypocrisie profondément ancrés dans l’establishment européen. « Vous avez littéralement fait fleurir le désert », a déclaré la présidente de la Commission européenne, répétant un discours qui efface la société palestinienne autochtone et blanchit la destruction par Israël de la terre palestinienne et le nettoyage ethnique en cours de son peuple.

La célébration cavalière du colonialisme sioniste par Mme Von der Leyen – qui comprend une occupation vicieuse, un siège et des massacres répétés qui ont conduit deux millions de Palestiniens de Gaza au bord de la famine – n’est peut-être pas surprenante compte tenu du demi-millénaire d’hégémonie occidentale qu’elle représente, dont l’héritage brutal comprend l’esclavage transatlantique, le colonialisme et les génocides sur tous les continents habités. Mais alors que l’hégémonie occidentale commence enfin à s’estomper, les perspectives du régime israélien de colonialisme de peuplement et d’apartheid à l’encontre du peuple autochtone de Palestine s’assombrissent elles aussi.

Les Palestiniens qui voient l’écriture sur le mur ne se font pas d’illusions. Nous considérons que l’actuel gouvernement israélien – le plus à droite, le plus raciste, le plus fondamentaliste, le plus autoritaire, le plus corrompu, le plus sexiste et le plus homophobe que l’État d’Israël ait jamais connu – est à la fois un indicateur décisif de cette disparition progressive et son catalyseur le plus puissant à ce jour. Ce gouvernement, avec ses tendances explicitement fascistes et génocidaires, constitue une continuation démasquée du régime d’oppression coloniale d’Israël et, simultanément, une rupture avec le statu quo dans ses plans de grande envergure pour des « réformes » judiciaires, sociales et culturelles affectant principalement la société coloniale juive israélienne.

Ces politiques, dans le contexte de la résistance palestinienne en cours, ont eu un impact considérable sur les secteurs financier et économique. La fuite des capitaux, la migration de la haute technologie, l’abaissement des perspectives de crédit de Moody’s, la disparition des investissements et l’effondrement de la confiance des investisseurs se sont combinés pour inciter l’ancien président du conseil économique national d’Israël à prédire deux scénarios pour l’économie israélienne : « un infarctus ou un cancer ». L’économiste en chef d’Israël, Shira Greenberg, a estimé que l’abaissement de la cote de crédit d’Israël éliminerait la moitié de la croissance de son PIB au cours des cinq prochaines années, et plus de 250 chefs d’entreprise juifs américains ont mis en garde contre la « destruction » de l’économie israélienne, affirmant qu’ils pourraient être contraints de « réévaluer leur dépendance à l’égard d’Israël en tant que destination stratégique pour les investissements ».

Tout cela offre aux Palestiniens et aux partisans de la libération de la Palestine dans le monde entier une occasion sans précédent de faire avancer notre lutte pour la liberté, la justice et l’égalité. Mais les opportunités seules ne mènent pas au changement ; elles ne font que fournir un terrain fertile pour celui-ci. Nous devons encore renforcer le pouvoir des peuples et les alliances intersectionnelles solides qui intègrent la lutte pour la libération palestinienne dans les luttes mondiales pour la justice raciale, économique, sociale, de genre, autochtone et climatique. Comme dans la lutte contre l’apartheid sud-africain, nous ne pouvons pas nous contenter de souhaiter l’effondrement de l’apartheid israélien – nous devons le démolir.

C’est là qu’intervient le BDS.

Avec sa théorie du changement qui se concentre sur la coupure des liens de complicité des États, des entreprises et des institutions avec le régime israélien, le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), dirigé par la plus grande coalition palestinienne jamais formée, est la forme la plus efficace de solidarité internationale avec notre lutte pour le démantèlement du colonialisme et de l’apartheid.

Lancé en 2005 par la plus grande coalition de Palestiniens et de représentants de la société civile dans la Palestine historique et en exil, le mouvement BDS réclame la fin de l’occupation militaire et du système d’apartheid d’Israël, ainsi que le droit des réfugiés palestiniens à rentrer chez eux et à recevoir des réparations.

Ancré dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, le mouvement BDS s’oppose catégoriquement à toutes les formes de racisme, y compris l’islamophobie et l’antisémitisme. Il s’attaque à la complicité et non à l’identité. Un nombre croissant de partisans juifs-israéliens du BDS jouent un rôle important dans le mouvement, et un sondage réalisé en 2022 montre que 16 % de tous les juifs américains soutiennent le BDS, ce pourcentage augmentant fortement chez les moins de 40 ans.

Au cours des 17 dernières années, le mouvement BDS a construit un réseau mondial massif, soutenu par des syndicats et des coalitions d’agriculteurs, ainsi que par des mouvements de justice raciale, sociale et climatique, représentant ensemble des dizaines de millions de personnes. Il a poussé de grandes multinationales, comme Veolia, Orange, G4S, HP et d’autres, à cesser totalement ou partiellement leur participation aux crimes commis par Israël contre les Palestiniens. L’année dernière, Ben and Jerry’s a notamment supprimé Israël des lieux où elle exerce ses activités.

Les fonds souverains géants de Norvège, du Luxembourg, des Pays-Bas, de Nouvelle-Zélande et d’ailleurs, ainsi que la Fondation Bill et Melinda Gates, dotée de 55 milliards de dollars, se sont tous désengagés des entreprises et des banques impliquées dans l’occupation israélienne.

Les syndicats de dockers d’Oakland, en Californie, et de Durban, en Afrique du Sud, ont refusé de manutentionner des navires israéliens.

Les principales églises d’Afrique du Sud ont approuvé le BDS, tandis que les principales églises des États-Unis se sont désengagées des entreprises complices et des banques israéliennes.

Le mois dernier, la ville belge de Liège a voté en faveur de la rupture de tous les liens avec Israël, citant le régime israélien « d’apartheid, de colonisation et d’occupation militaire » contre les Palestiniens, et le conseil municipal d’Oslo, la capitale norvégienne, a annoncé la fin du commerce avec les biens et les services produits dans les zones illégalement occupées. Ces deux mesures suivent l’exemple du maire de Barcelone, qui a suspendu tous ses liens avec l’Israël de l’apartheid au début de l’année.

Tout ce qui précède reflète une prise de conscience croissante du fait qu’Israël est devenu un modèle pour une grande partie de l’extrême droite mondiale, nuisant non seulement aux Palestiniens mais aussi à des millions d’autres personnes dans le monde ; qu’il s’associe à des groupes fascistes en Occident, dont la plupart sont foncièrement antisémites, et à des régimes d’extrême droite et autoritaires ; qu’il vend ses technologies militaro-sécuritaires et ses doctrines coloniales comme « ayant fait leurs preuves au combat ». Par exemple, Israël exporte ses doctrines militaires et ses technologies de logiciels espions armés – comme Pegasus de NSO et d’autres services de cyberguerre, de désinformation et de trucage d’élections – comme outil de diplomatie dans le monde entier.

Un travail inachevé

Malgré ces avancées, de nombreux États, entreprises et institutions restent profondément complices de l’apartheid israélien. Une véritable solidarité avec notre lutte doit donc commencer par la fin de la complicité. Cela nécessite des campagnes de boycott et de désinvestissement dans tous les domaines, fondées sur des principes et des stratégies, graduelles et orientées vers des objectifs, désignant Israël comme un État d’apartheid et, en conséquence, poussant à des sanctions légales et ciblées contre lui, en commençant par un embargo militaire et de sécurité complet.

Des pressions doivent être exercées sur les conseils municipaux et les institutions publiques pour qu’ils désinvestissent et excluent des marchés publics toutes les entreprises impliquées dans de graves violations des droits de l’homme, y compris dans l’apartheid israélien, alors même que des gouvernements, dont celui de la Grande-Bretagne, tentent de leur interdire de le faire.

Les Palestiniens appellent les progressistes du monde entier à canaliser leur indignation morale face au régime d’oppression israélien pour exercer une pression stratégique et construire un pouvoir populaire qui puisse contribuer de manière significative à mettre enfin un terme à la Nakba qui afflige notre peuple depuis 75 ans.

Omar Barghouti est le cofondateur du mouvement BDS pour les droits des Palestiniens et co-récipiendaire du Prix Gandhi pour la Paix 2017.

Source : Novara Media

Traduction : AGP pour l’Agence Média Palestine

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