« Mes enfants pleurent de faim. C’est une guerre de famine »

En raison de l’insuffisance de l’aide et de la montée en flèche des prix à Gaza, les Palestiniens de la ville surpeuplée de Rafah luttent pour nourrir leurs familles.

Par Ruwaida Kamal Amer, le 31 janvier 2024

Des Palestiniens attendent un repas chaud préparé par des bénévoles à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 26 janvier 2024. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

Khalida Abu Ras, 55 ans, vit dans une tente à Rafah, la ville la plus méridionale de Gaza. Elle fait partie des quelques 1 million de Palestiniens – environ la moitié de la population de la bande de Gaza – qui résident aujourd’hui dans cette ville. Elle a été contrainte de fuir sa maison dans le nord de Gaza au début de la guerre et est sans abri depuis lors. « Il m’est impossible de décrire la souffrance que nous éprouvons« , a-t-elle déclaré à +972. « Nous vivons les pires jours de notre vie. »

Beit Hanoun, son ancienne maison située dans le nord-est de la bande de Gaza, a été l’un des premiers endroits à devenir inhabitable lorsque les bombardements israéliens ont commencé. « Des ceintures de feu entouraient la zone jour et nuit », raconte Abu Ras. « J’ai fui la mort avec mes cinq enfants et mes petits-enfants. »

Au cours des mois qui ont suivi, Abu Ras et sa famille se sont déplacés de l’extrême nord de la bande de Gaza à l’extrême sud, mais chaque endroit où ils se sont arrêtés avait deux choses en commun : il n’y avait pas de répit dans les bombardements israéliens ou les forces d’invasion, et il y avait une grave pénurie de nourriture. Il en va de même à Rafah : « Tous les trois jours, nous recevons une aide alimentaire, mais ce n’est qu’une aide – un simple repas qui ne satisfait pas une famille de 15 personnes.

La réponse d’Israël à l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre contre ses communautés du sud a consisté à couper rapidement l’électricité et l’eau qu’il fournit habituellement à Gaza, ainsi qu’à restreindre fortement l’entrée de nourriture, de carburant et d’aide humanitaire, intensifiant ainsi un blocus déjà paralysant qui dure depuis 16 ans. En conséquence, les produits de base se sont raréfiés dans la bande de Gaza, tandis que leurs prix ont grimpé en flèche, rendant le peu de nourriture disponible inabordable pour de nombreuses personnes.

« Un kilo de sel, qui coûtait un shekel, coûte maintenant 20 shekels ou plus [environ 5,50 dollars] », explique Abu Ras. « Une boîte de levure, qui ne coûtait que 5 shekels, coûte maintenant 25 shekels [près de 7 dollars]. Nous ne pouvons rien acheter. »

Des Palestiniens reçoivent des vivres dans une école de l’UNRWA à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 28 janvier 2024. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

Les organisations d’aide internationale mettent en garde contre des niveaux de famine catastrophiques. Un rapport de l’Integrated Food Security Phase Classification (IPC) a placé l’ensemble de la population de Gaza dans une situation d’insécurité alimentaire aiguë, qu’il définit comme une « crise ou pire ». Selon les Nations unies, 80 % des personnes confrontées à la famine ou à une famine catastrophique dans le monde se trouvent à Gaza. Les Palestiniens du nord de la bande de Gaza ont déclaré à CNN qu’ils mangeaient de l’herbe et buvaient de l’eau polluée parce qu’aucune aide ne leur parvenait.

L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) – le principal organe fournissant de l’aide et un abri aux millions de personnes déplacées à Gaza, et qui vient de voir son financement réduit par les pays occidentaux à la suite d’allégations selon lesquelles 12 de ses 13 000 employés à Gaza auraient participé à l’attaque du 7 octobre – a déclaré au début de ce mois que « l’aide humanitaire ne peut à elle seule répondre aux besoins essentiels de la population [de Gaza] ». Chaque jour depuis une semaine, des dizaines de manifestants israéliens tentent – avec un certain succès – de bloquer le passage du peu d’aide qu’Israël a autorisé à entrer dans la bande de Gaza à partir de son territoire.

« Personne ne peut se permettre d’acheter quoi que ce soit pour sa famille« 

Salem Al-Murr, 35 ans, père de trois enfants, originaire de la ville de Gaza, a été déplacé trois fois depuis le début de la guerre. À chaque déplacement, trouver et acheter de la nourriture est devenu un défi encore plus grand.

« Nous n’avons pas mangé de fruits depuis le début de la guerre », a-t-il déclaré à +972. « Le prix de la viande a doublé. Un kilo de bœuf coûtait 35 shekels, maintenant il coûte 90 shekels [environ 25 dollars]. Ces prix sont déraisonnables. Nous ne pouvons pas nous les permettre dans les conditions difficiles de la guerre. Une maison compte aujourd’hui plus de 30 personnes. Comment pouvons-nous acheter suffisamment de nourriture à ces prix ? »

Al-Murr et sa famille vivent désormais dans une tente près de la frontière égyptienne. « Nous n’avons nulle part où aller », déplore-t-il. « Je n’arrive pas à croire que je vis dans une tente. Ce fut un voyage douloureux.

Un camp de tentes temporaire mis en place pour les Palestiniens qui ont été déplacés d’autres parties de la bande est vu à Rafah, au sud de Gaza, le 30 janvier 2024. (Atia Mohammed/Flash90)

Bien qu’ils vivent désormais parmi des centaines de milliers de personnes déplacées dans ce qui est devenu un village de tentes et qu’ils se trouvent à proximité immédiate des convois d’aide qui entrent dans Gaza depuis l’Égypte, M. Al-Murr et sa famille souffrent toujours d’une faim extrême. « Parfois, je vais au marché pour acheter de la nourriture, mais je reviens les mains vides parce que tout est trop cher », explique-t-il. « Lorsque nous demandons pourquoi les prix sont si élevés, ils répondent que les marchandises sont absentes du marché et qu’il n’y a pas d’autres sources d’approvisionnement.

« Nous sommes sans travail depuis plus de trois mois, nous n’avons aucun revenu », poursuit M. Al-Murr. « Nous sommes obligés de manger un repas par jour – les conserves que nous recevons des organisations humanitaires. Personne ne peut acheter quoi que ce soit pour sa famille. Je vois ici des enfants qui pleurent de faim, y compris les miens. Nous ne pouvons pas leur dire qu’il n’y a pas de nourriture. C’est une guerre de famine et de déplacement ; c’est une guerre contre le peuple et une punition pour lui.

Les habitants de Gaza se tournent de plus en plus vers les réseaux sociaux pour demander l’arrivée d’une aide supplémentaire afin de pouvoir acheter de la nourriture pour leurs enfants et les sauver de la faim et de la famine. Entre-temps, les prix excessivement élevés ont même empêché les patients des hôpitaux d’avoir accès à de la nourriture.

Khaled Nabhan, du camp de réfugiés de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, a été hospitalisé pour de graves fractures du pied à la suite d’une frappe aérienne israélienne sur le camp. Il a d’abord été transporté à l’hôpital Al-Shifa, dans la ville de Gaza, avant d’être transféré à l’hôpital européen de Khan Younis. Là, il explique qu’il ne prend qu’un seul repas par jour – « labneh ou bahteh [riz avec du lait], et ce n’est pas suffisant. Je reste affamé pendant des heures chaque jour. Ma famille essaie d’acheter de la nourriture dans la région, mais tout est trop cher. Il n’y a pas de traitement, pas de nourriture, pas d’abri, rien qui nous permette de supporter cette guerre douloureuse.

Source : +972Mag

Traduction : AJC pour l’Agence Média Palestine

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