« J’ai entendu le dernier souffle de chacun de mes amis » Témoignages du massacre de Nuseirat

Par Tareq S. Hajjaj, le 9 juin 2024

Des Palestiniens se rassemblent devant des bâtiments démolis suite à l’invasion israélienne du camp de réfugiés de Nuseirat dans la bande de Gaza, le 8 juin 2024. (Photo : Omar Ashtawy / APA Images)

Le massacre israélien dans le camp de Nuseirat pour libérer quatre prisonniers israéliens détenus dans la bande de Gaza a commencé à 11 heures du matin le 8 juin. Bien que les scènes de Palestiniens courant pour se mettre à l’abri puissent sembler tristement familières, cette invasion était différente des autres ayant eu lieu dans la bande de Gaza. 

Cette fois-ci, les militaires israéliens portaient des vêtements civils, roulaient dans des voitures palestiniennes et se déplaçaient parmi la population de manière déguisée. Il n’y a pas eu d’avertissement d’évacuation, ni d’ordre de l’armée de se déplacer ailleurs, et les gens ont été surpris par les forces spéciales et les chars israéliens. Un grand nombre de forces spéciales cachées parmi la population ne se sont révélées qu’au début de l’opération meurtrière, quand d’autres forces spéciales ont pris d’assaut la zone à bord de voitures chargées de bagages, les mêmes bagages que les personnes déplacées transportent avec elles, tels que des matelas, des oreillers, des couvertures et des sacs. Lorsque les Palestiniens les ont repérés, les soldats ont rapidement appelé du renfort et des hélicoptères, des avions de chasse, de l’artillerie et des chars sont arrivés. Des avions de reconnaissance et des soldats à pied ont alors commis des massacres contre la population civile.

L’intensité des bombardements et des tirs a rapidement averti les habitants qu’un massacre était en train de se dérouler. Ils ont quitté leurs maisons et se sont précipités dans les rues à la recherche d’un endroit sûr, qui est resté introuvable.

L’opération israélienne a tué 274 Palestiniens, dont 64 enfants, et fait un total de 689 blessés. « Certains des corps qui sont arrivés à l’hôpital étaient des morceaux de corps, ou encore des corps démembrés », a indiqué le ministère de la santé de Gaza lors de l’annonce du nombre de victimes.

Alors que le monde entier célèbre la libération de quatre otages israéliens de la bande de Gaza et que les médias se concentrent sur leur vie, leur liberté et le bonheur de leurs familles, c’est à peine si l’on mentionne le nombre de victimes palestiniennes ou si l’on considère que chacune des personnes tuées laisse derrière elle une famille endeuillée.

Issam Hajjaj, 27 ans, a survécu au massacre et s’est entretenu avec Mondoweiss.  « On fuyait les bombardements et les tueries. Dans toutes les directions, il y avait des bombardements, un char israélien ou encore des tireurs israéliens qui tiraient sur tous ceux qui étaient sur leur chemin » , a-t-il expliqué. « Pendant qu’on fuyait la mort, j’ai vu sur la route des corps démembrés par les bombardements, et j’ai vu des personnes laisser leurs proches sous les décombres et fuir pour sauver le reste de leur famille. »

« On ne savait pas de quel côté la mort allait venir nous chercher ».

Anatomie d’un massacre

Après l’attaque, l’armée israélienne annonce que l’effet de surprise a été déterminant. C’est pour cela que l’opération militaire s’est déroulée en plein jour et dans une zone densément peuplée. C’est également la raison pour laquelle le nombre de victimes palestiniennes est si élevé.

Hajjaj affirme que quelques minutes après le début de l’invasion, les forces israéliennes ont encerclé la zone ciblée de tous les côtés et n’ont laissé aucune voie d’évacuation à la population, à l’exception d’une route, la route Al-Zuhur, qui relie Nuseirat et Deir Al-Balah. Mais au moment même où le massacre de Nuseirat a eu lieu, les habitants de l’hôpital des martyrs d’Al-Aqsa, à Deir Al-Balah, fuyaient vers Nuseirat et empruntaient cette rue pour s’y rendre. L’affluence dans la rue pendant les bombardements continus a semé la panique, et les corps ont rapidement commencé à voler en raison du ciblage direct de tout ce qui se trouvait dans cette zone.

« Pendant notre fuite, on a vu des corps chargés dans des voitures en direction de l’hôpital des martyrs d’Al-Aqsa. Les femmes criaient dans les rues et les enfants pleuraient et criaient », a raconté M. Hajjaj. « J’ai vu une famille qui fuyait ensemble. Un obus est tombé sur le père et l’a tué devant sa femme et sa petite fille. Après s’être relevée et pris sa fille sa fille dans les bras, la mère a vu que son mari avait été tué ; elle l’a laissé au sol et s’est enfuie pour sauver sa fille et elle-même. »

Hajjaj explique que l’endroit ciblé était deux bâtiments près de l’hôpital Al Awda dans le camp de Nuseirat, mais que pour atteindre ces deux bâtiments, l’armée israélienne a détruit tout un quartier résidentiel. Il ajoute que si l’armée israélienne a libéré plus de quatre otages, l’intensité des tirs l’a empêchée d’en faire sortir d’autres.

Les Brigades Al-Qassam, la branche militaire du Hamas dans la bande de Gaza, ont semblé confirmer ce récit, déclarant dans une vidéo que trois prisonniers israéliens ont été tués lors du bombardement israélien du camp de Nuseirat.

« Nous vous informons qu’en échange de ceux-ci,(ndlr les quatre otages) votre armée a tué trois prisonniers dans le même camp, dont l’un avait la nationalité américaine », annonce Al-Qassam dans la vidéo. Le Hamas a souligné que les prisonniers israéliens restants ne seraient pas libérés avant que les prisonniers palestiniens enfermés dans les prisons israéliennes ne le soient également.

Plusieurs Palestiniens ont publié des photos et des vidéos de cette séquence à Nuseirat, qui confirment les récits de première main recueillis par Mondoweiss, montrant un véhicule des forces spéciales israéliennes pénétrant dans le camp au début de l’invasion, suivi de bombardements indiscriminés en guise de couverture d’appui. D’autres vidéos montrent une voiture chargée de bagages pénétrant dans la zone du bloc 5 du camp de Nuseirat et tuant une personne à la porte de l’un des bâtiments. Les forces israéliennes ont ensuite utilisé des échelles en fer pour atteindre les étages supérieurs, comme le montre l’une des images qui s’est répandue sur les médias sociaux. Les autres détails de l’invasion sont encore en cours d’établissement. De nombreux internautes ont fait circuler des images semblant indiquer que la jetée flottante construite par les États-Unis sur la côte de Gaza a été utilisée comme point de départ de l’opération, ce que le commandement central des États-Unis a démenti. 

Les affrontements se sont poursuivis pendant plus de trois heures. Pendant ce temps, l’armée israélienne a fait un usage excessif de la force pour démolir des habitations et tuer des centaines de résidents à proximité de l’opération. 

Je n’ai pas pensé un seul instant que je pourrais survivre

Tawfiq Abu Youssef
Tawfiq Abu Youssef

Tawfiq Abu Youssef, un enfant de 11 ans, est assis à l’hôpital Nasser de Khan Younis où il a été transféré pour être soigné. Son visage est ensanglanté et ses yeux sont tuméfiés après qu’il a été extrait des décombres de sa maison à Nuseirat. Il dit ne pas savoir comment il a échappé à la mort.

« Tout à coup, la situation dans le quartier a changé, et les gens ont commencé à courir de peur, disant que les forces spéciales avaient pris d’assaut le quartier », a raconté le garçon à Mondoweiss. 

« Tout cela s’est passé devant notre maison, on était coincés à l’intérieur sous les tirs et les bombardements. On a essayé de sortir, mais des drones ont ouvert le feu sur nous jusqu’à ce que la maison soit bombardée et nous tombe sur la tête. » 

« Avant que notre maison ne soit bombardée, on a vu des personnes au sol, découpées, dans la rue en face. On vu des missiles frapper les gens qui fuyaient dans les rues, comment ils les coupaient, et comment les avions bombardaient tout ce qui bougeait dans les rues – les voitures et les gens. La rue était pleine de gens, et soudain, tous… Ils étaient à terre, et la fumée et le sang remplissaient l’espace. Partout où on regardait, des bombes et des éclats volaient ».


Alors que Tawfiq appuie son dos contre le mur de l’hôpital et s’assoit à même le sol pour recevoir des soins, il déclare qu’il ne s’attendait pas à survivre à ce massacre. Les scènes qu’il a vues sont trop difficiles à croire.

« Je suis resté des heures sous les décombres. Je n’ai pas pensé un seul instant que je pourrais survivre et revoir la vie. J’étais allé trop loin dans la mort pendant que j’étais sous les décombres. C’était la mort. Je ne pense pas que j’oublierai ou que je me remettrai de ces moments ».

Amjad Abu Laban

L’opération a été menée près d’un marché central, où Amjad Abu Laban, 43 ans, vendait des produits alimentaires sur la route. Il a survécu à la mort mais a été blessé à la main et au pied.

Il raconte que tout a commencé en même temps : les avions, les chars, les tirs, et que les personnes se retrouvant au milieu des bombardements et de la mort ne savaient pas comment réagir ni vers qui se tourner.

« Des bombardements intenses ont commencé dans plusieurs zones devant nous, autour de nous et derrière nous, et des gens ont commencé à tomber par dizaines près de l’hôpital Al-Awda, dans le camp de Nuseirat. Devant nos yeux, on a vu des corps déchiquetés et éparpillés sur les routes, et on a vu des soldats cachés en civil et dans les voitures des gens courir et tuer tous ceux qu’ils rencontraient sur leur chemin sans faire de distinction entre un enfant, une femme, un jeune ou un vieillard. On a vu les corps de nos frères découpés, sans tête, gisant sur le sol », a déclaré Abu Laban à Mondoweiss.

« Ces massacres qui se sont déroulés sous mes yeux ne peuvent être décrits. »

Mahmoud Al-Hawar

Dans le même hôpital, Mahmoud Al-Hawar, 27 ans, est allongé sur le dos à la suite d’une blessure à la jambe. Mahmoud Al-Hawar a été témoin du massacre alors qu’il tentait courageusement de sauver sa famille et ses voisins des bombardements.

« Les avions ont bombardé la maison de nos voisins, et il y avait une fille sous les décombres qui criait pour être sauvée. Je suis allé avec mes amis pour essayer de la sauver, mais les décombres étaient lourds, et nous ne pouvions pas creuser ou même soulever les gravats pour l’atteindre, alors nous avons attendu l’arrivée de l’équipe de la défense civile. Un grand nombre de jeunes gens se sont rassemblés pour tenter de les sauver. Mais les avions nous ont bombardés », a-t-il déclaré à Mondoweiss.

Al-Hawar raconte qu’il a senti le missile atteindre son groupe d’amis et lui, et qu’ils ont été projetés au sol. Quelques minutes plus tard, Mahmoud a repris conscience, s’est retrouvé couvert de sang et a vu ses amis à côté de lui, au bord de la mort.    

« Avant d’être bombardés, si je vous dis que j’ai vu plus de 10 drones au-dessus de nos têtes, vous ne le croiriez pas. On regardait le ciel sans savoir ce qui se passait. »

Après le bombardement, Al-Hawar a tenté de se lever pour sauver ses amis et lui-même. « J’ai essayé de me lever, mais je n’y arrivais pas. J’étais couvert de sang. J’ai regardé ma jambe et elle était coupée. J’ai regardé mon meilleur ami à côté de moi, et je l’ai trouvé en train de rendre son dernier souffle ».

Leurs blessures étaient toutes graves, et lorsque que de l’aide est arrivée pour les emmener à l’hôpital, les cinq amis ont été placés les uns sur les autres dans un petit camion de transport, Al-Hawar se trouvant en dessous d’eux.

« Je souffrais de ma blessure, mais je ressentais encore plus de douleur parce que j’entendais mes amis prononcer leur martyre et rendre leur dernier souffle. Tous mes amis mouraient au-dessus de moi, et j’entendais et ressentais tout. Ils ont tous été tués. Certains d’entre eux sont tombés en martyrs sur la route, sous mes yeux, et d’autres sont morts plus tard.

Al-Hawar convient que les scènes qu’il a vues des morts dans les rues ne seront jamais oubliées. « Je n’ai pas dormi depuis l’incident. Je ne peux pas dormir. Je ne peux pas oublier ce dont j’ai été témoin et ce que j’ai vu. Je ne peux pas oublier les gens qui couraient, paniqués et effrayés, à la recherche de leurs proches et de leurs familles au milieu de la destruction et des corps démembrés. »

Des blessés palestiniens, dont des femmes et des enfants, sont soignés à l’hôpital des martyrs d’Al Aqsa après les attaques israéliennes contre les camps de Nuseirat, Al Maghazi, Az Zawayda et Al Bureij, à Deir al Balah, à Gaza, le 8 juin 2024.(Photo : Omar Ashtawy/APA Images)

Les opérations de sauvetage se poursuivent

Les équipes de secours travaillent toujours à Nuseirat avec des moyens limités pour tenter de récupérer les corps restés sous les décombres. De nombreux habitants sont toujours portés disparus en raison des bombardements massifs dans la région et des nombreuses maisons qui ont été démolies, dont certaines sur leurs habitants. Beaucoup d’autres ont été tués sur le marché alors qu’ils tentaient de subvenir aux besoins de leur famille.

Anees Ghanima, un militant du camp de réfugiés de Nusreiat, a résumé cette tuerie insensée sur les réseaux sociaux : « C’est ce qui arrive, c’est pour cela que nous disons que nous risquons d’être tués à n’importe quel moment. Imaginez que la plupart de ceux qui viennent de partir n’étaient qu’au marché, essayant de subvenir aux besoins de leur famille. Mettez-vous à la place de l’enfant qui a passé la nuit à tanner sa mère pour qu’elle lui achète des produits de première nécessité, et elle a été tuée aujourd’hui lors des raids. Comment pourrions-nous lui parler de la paix dans ce monde ? »

Par Tareq S. Hajjaj, le 9 juin 2024

Source : Mondoweiss

Traduction JB pour Agence Media Palestine

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