Souvenez-vous des médecins palestiniens tués par Israël


par Vijay Prashad, le 24 juin 2024

Photos d’Eva Bartlett – ISM – www.ingaza.wordpress.com – CC BY-SA 2.0


Au cours de la première semaine de juin 2024, le bureau palestinien de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié des chiffres sur les attaques atroces menées contre les établissements et les travailleurs et travailleuses de la santé à Gaza depuis le 7 octobre 2023. Jusqu’à présent, selon l’OMS, les Israéliens ont attaqué 464 établissements de santé, tué 727 travailleurs et travailleuses du secteur de la santé et blessé 933 autres, et endommagé 113 ambulances. « Le secteur de la santé, affirme le bureau de l’OMS en Palestine, n’est pas une cible ». Et pourtant, au cours des sept derniers mois, les travailleurs et travailleuses de la santé ont été confronté.es à des attaques incessantes de la part de l’armée israélienne. Chaque histoire de décès est déchirante, la liste de noms des personnes décédées est trop longue pour être énumérée dans un article (bien qu’un groupe appelé Healthcare Workers for Palestine ait lu les noms de leurs collègues décédé.es en guise de protestation contre cette guerre). Mais certaines histoires méritent réflexion car elles nous parlent de l’engagement des travailleurs et travailleuses et de la grande perte pour l’humanité que représente leur assassinat.


Le docteur Iyad Rantisi, âgé de 53 ans, dirigeait l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahiya, dans le nord de la bande de Gaza. Il y a beaucoup de Rantisi à Gaza, mais ils et elles ne sont pas originaires de cette partie de la Palestine. Comme de nombreux Palestiniens et Palestiniennes qui vivent à Gaza, ils ont des racines dans d’autres parties de la Palestine dont ils ont été expulsés lors de la Nakba de 1948 ; les Rantis sont originaires du village de Rantis, au nord-ouest de Ramallah.


Le 11 novembre 2023, au cours de l’assaut militaire israélien dans le nord de Gaza, le Dr Rantisi a été arrêté à un poste de contrôle militaire israélien alors qu’il tentait de fuir le nord de Gaza pour le sud, suivant les ordres de l’armée israélienne. Depuis lors, sa famille n’avait plus eu de nouvelles de lui. Puis, des mois plus tard, le journal israélien Haaretz rapporte qu’il a été emmené au centre d’investigation du Shin Bet (Agence de sécurité israélienne) Shikma, qui se trouve à l’intérieur de la prison d’Ashkelon. Le Dr Rantisi a été torturé puis tué six jours après sa mise en détention. Sa famille n’en a pas été informée jusqu’à la publication du rapport de Haaretz. Dima, la fille du Dr Rantisi, a alors annoncé la mort de son père dans un message publié sur les réseaux sociaux, accompagné de photos de lui en blouse médicale en train d’opérer un patient.


Le Dr Adnan Al-Barsh, 53 ans également, a suivi une formation en Roumanie avant de rentrer à Gaza pour diriger le service orthopédique de l’hôpital Al-Shifa. Il a la réputation d’être un médecin très apprécié et dont le bureau est encombré de ses diplômes (de Jordanie, de Palestine, du Royaume-Uni). Lorsque l’armée israélienne a attaqué Al-Shifa, le Dr Al-Barsh a été contraint de quitter son poste, mais il n’a pas abandonné son travail. Il s’est d’abord rendu à l’hôpital Kamal Adwan, où travaillait le Dr Rantisi, puis à l’hôpital Al-Awda, dans la zone située à l’est du camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord de Gaza, qui a également été attaqué à plusieurs reprises par les Israéliens. Le 18 décembre 2023, l’armée israélienne a fait une descente à Al-Awda et a arrêté le Dr Al-Barsh et d’autres membres du personnel de l’hôpital. Parmi les personnes arrêtées se trouvaient le directeur de l’hôpital et un autre médecin très populaire, le Dr Ahmed Muhanna. Le 15 octobre 2023, le Dr Muhanna a réalisé une vidéo – devenue virale – dans laquelle il demandait au monde entier de l’aide et un cessez-le-feu immédiat. On apprend aujourd’hui que, le 19 avril 2024, le Dr Al-Barsh a été tué par les Israéliens dans la prison d’Ofer. Tlaleng Mofokeng, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la santé, a déclaré : « Le cas du Dr Adnan soulève de sérieuses inquiétudes sur le fait qu’il puisse être mort à la suite d’actes de tortures infligés par les autorités israéliennes. »


Le Dr Hammam Alloh, âgé de 36 ans, a été tué lorsqu’un missile israélien a frappé sa maison près de son service à l’hôpital Al-Shifa le 12 novembre 2023. Formé au Yémen et en Jordanie, le Dr Alloh était le seul néphrologue de Gaza, un spécialiste des reins. Inquiet pour ses patient.es sous dialyse, notamment en raison de l’absence d’électricité et des attaques incessantes, le Dr Alloh, surnommé « La Légende » pendant sa résidence en Jordanie, a refusé de quitter l’hôpital. Le 31 octobre, on a demandé au Dr Alloh pourquoi il n’abandonnait pas son poste et ne se rendait pas dans le sud de Gaza : « Si j’y vais, a-t-il répondu calmement, qui traitera mes patients ? Nous ne sommes pas des animaux. Nous avons le droit de recevoir des soins de santé appropriés. Vous pensez que j’ai suivi des études de médecine et obtenu des diplômes de troisième cycle pendant 14 ans pour ne penser qu’à ma vie et non à mes patients ? » Tel est le calibre du Dr Alloh. Moins de deux semaines plus tard, alors qu’il quittait son poste pour se reposer chez lui avec ses parents, sa femme (enceinte d’un enfant) et ses deux enfants, les Israéliens ont frappé sa maison. Il meurt aux côtés de son père.


En janvier 2024, à la Cour internationale de justice, l’avocate irlandaise Blinne Ní Ghrálaigh a présenté les conclusions de la plainte de l’Afrique du Sud contre Israël pour génocide. Au cours de sa plaidoirie, Ní Ghrálaigh a montré l’image d’un tableau blanc sur lequel était inscrit : « Celui qui restera jusqu’à la fin racontera l’histoire. Nous avons fait ce que nous pouvions. Souvenez-vous de nous. » Ces lignes ont été écrites par le Dr Mahmoud Abu Najaila, 38 ans, qui travaillait comme médecin pour Médecins sans frontières (MSF) à l’hôpital Al-Awda, dans le nord de Gaza. Le 21 novembre 2023, l’armée israélienne a bombardé les troisième et quatrième étages de l’hôpital, où le Dr Najaila travaillait avec le Dr Ahmad Al-Sahar et le Dr Ziad Al-Tatari. Tous trois ont été tués.


Sur sa page LinkedIn, Reem Abu Lebdeh, physiothérapeute et administratrice associée au conseil d’administration de la branche britannique de MSF, écrivait : « C’est une perte dévastatrice pour la communauté médicale et pour l’humanité ». Ces médecins, qu’elle connaissait, a-t-elle ajouté, « incarnaient véritablement le service désintéressé et le dévouement humanitaire, sauvant inlassablement des vies dans les situations les plus urgentes ». Quelques semaines plus tard, en décembre, les Israéliens ont attaqué un quartier résidentiel de Khan Younis et tué Reem Abu Lebdeh. Ces messages de solidarité se retrouvent aujourd’hui pour elle sur le web, comme la note du Dr Najaila sur le tableau blanc : « Souvenez-vous de nous ».

Cet article a été produit par Globetrotter. Le dernier livre de Vijay Prashad (avec Noam Chomsky) est The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan and the Fragility of US Power (New Press, août 2022).

Traduction : SD pour l’Agence Média Palestine

Source : Globettotter

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