Hommage au journaliste Ismail Al-Ghoul, assassiné par Israël à Gaza

Comment continuer à faire comme si de rien n’était après qu’un autre ami, et une autre icône du journalisme palestinien, a été brutalement tué par Israël pour avoir fait son travail ?

Par Mohammed R. Mhawish, le 7 août 2024

Lorsque j’ai décroché mon téléphone dans l’après-midi du 31 juillet, mon cœur s’est mis à battre la chamade. Une avalanche de textos et d’alertes sur la mort d’Ismail a envahi mon écran. Les jours suivants, j’ai essayé de réprimer mes sanglots, de contrôler mes larmes et d’écrire – en rapportant calmement et objectivement les nouvelles que je venais d’apprendre, comme Ismail l’aurait fait.

Mais pour l’amour de Dieu, comment faire ? Comment pourrais-je continuer à travailler comme si de rien n’était après qu’une autre icône du journalisme palestinien – quelqu’un dont j’admirais la gentillesse et la bravoure, et qui était considéré comme un modèle pour beaucoup – ait été si brutalement tué pour avoir simplement fait son travail ?

Deux heures à peine avant sa mort, Ismail Al-Ghoul avait participé à l’émission d’Al Jazeera en direct du camp de réfugiés d’Al-Shati, dans la ville de Gaza, où il recueillait les réactions à l’assassinat du chef du Hamas, Ismail Haniyeh. Un drone israélien a alors pris pour cible sa voiture alors qu’il traversait la ville de Gaza, tuant Ismail et son caméraman Rami Al-Rifi, ainsi que Khaled al-Shawa, 17 ans, qui circulait à bicyclette non loin de là.

Je n’étais pas en mesure de rendre compte d’une nouvelle aussi traumatisante, alors qu’Ismail n’était pas un reporter ordinaire, mais mon ami et collègue, dont la voix résonnait dans tous les foyers palestiniens de Gaza depuis dix mois.

Détenu, blessé, mais pas découragé

Ismail a enduré les difficultés liées au déplacement, à la famine et à la détention, tout en persévérant dans son travail de reportage, malgré la violence ciblée contre les journalistes à Gaza.

Bien qu’il n’ait que 27 ans et qu’il aurait pu poursuivre une autre carrière, il a refusé de rester silencieux et d’abandonner sa profession. Au lieu de cela, Ismail a rejoint Al Jazeera en novembre et a choisi de documenter un génocide en tant que l’un des principaux reporters dans la ville de Gaza, avec des émissions presque toutes les heures. Avec sa signature récurrente, étirant les voyelles de son nom – « Ismaeel Alghoool, Al Jazeera, Gaza City » – il était une présence rassurante pour moi et ses millions de téléspectateurs à travers le monde.

Ismail était toujours sur le terrain, en reportage dans les camps de réfugiés, les hôpitaux, les zones ciblées et les quartiers détruits. Il a réalisé des reportages détaillés sur le terrain lors de l’assassinat par l’armée israélienne de Hind Rajab, 6 ans, et de sa famille en janvier, couvrant les événements de manière articulée et médico-légale.

Ismail a également été les yeux et les oreilles du monde lorsque l’armée israélienne a effectué un raid sur l’hôpital Al-Shifa, à un moment où la plupart des médias internationaux niaient les témoignages des Palestiniens. Il a continué à rendre compte de la situation avec courage et professionnalisme jusqu’à ce que les forces israéliennes l’arrêtent. Malgré le fait qu’il était un journaliste connu d’Al Jazeera, les soldats l’ont traité brutalement et l’ont interrogé sans ménagement pendant sa détention.

En parcourant les ruelles et les camps du nord de Gaza, il s’est souvent retrouvé dans la ligne de mire de l’armée israélienne. Bien qu’il ait été blessé plus d’une fois lors des activités de l’armée dans le quartier de Shuja’iya – la dernière fois, un éclat d’obus lui a transpercé la jambe -, il était déterminé à poursuivre son travail et s’exprimait avec éloquence, clarté et modestie. Pour toute une génération de jeunes journalistes palestiniens, il restera un exemple durable de courage et de persévérance.

Bien sûr, Ismail n’était pas seulement un journaliste. Il était aussi un père, un mari, un fils et un être humain, dont le corps affamé et les yeux usés témoignaient de la peur et de la souffrance qu’il avait lui-même endurées.

Quelques jours avant sa mort, Ismail a envoyé un message à un collègue, exprimant le bilan émotionnel de près de 300 jours de guerre incessante à Gaza.

« Laisse-moi te dire, mon ami, que je ne connais plus le goût du sommeil. Les corps des enfants, les cris des blessés et leurs images ensanglantées ne quittent jamais mon regard. Les pleurs des mères et les lamentations des hommes à qui manquent leurs proches ne s’effacent jamais de mes oreilles. »

« Je ne peux plus supporter le son des voix d’enfants sous les décombres, ni oublier l’énergie et la puissance qui se répercutent à chaque instant, se transformant en cauchemar. Il ne m’est plus facile de me tenir devant les rangées de cercueils verrouillés et déployés, ni de voir les morts plus que les vivants qui luttent contre la mort sous leurs maisons, sans trouver d’issue pour se mettre à l’abri et survivre. Je suis fatigué, mon ami. »

Cela me brise le cœur, cher Ismail, d’écrire sur toi – et non avec toi.

Tué pour avoir dit la vérité

Ismail a été tué les mains vides. Il ne tenait pas d’arme, ne tirait pas de roquette et ne représentait aucune menace pour qui que ce soit. Au contraire, il était clairement identifié comme un membre de la presse, portant son gilet pare-balles et son casque de protection. Pourtant, l’armée israélienne l’a considéré comme une cible et l’a décapité par une frappe de drone, dans ce qui a été l’une des images les plus cruelles diffusées à la télévision pendant cette guerre.

Ismail n’était membre d’aucun groupe militaire et n’a jamais pris part à une telle activité, malgré tout ce que l’armée israélienne ou d’autres pourraient prétendre. Lorsque l’armée a arrêté Ismail alors qu’il faisait un reportage sur le raid de l’hôpital Al-Shifa, c’était simplement parce qu’il était journaliste et qu’ils voulaient supprimer sa couverture – ce qui est rendu évident par le fait qu’il a été libéré quelques heures plus tard.

L’information ne devrait jamais être un crime, mais pour Israël, c’est le cas. En tant que journaliste, je savais, lorsque j’étais à Gaza, qu’Israël pouvait me tuer à tout moment, et il a failli y parvenir. Ismail et les 113 autres journalistes palestiniens tués depuis le 7 octobre n’ont pas eu cette chance. Et malheureusement, il ne sera pas le dernier journaliste à subir le prix ultime pour avoir simplement fait son travail : dire la vérité.

Ismail méritait de vivre. De retrouver sa femme. D’apporter des bonbons et des jouets à sa fille de deux ans et de la tenir à nouveau dans ses bras. De poursuivre son reportage et de faire des blagues stupides avant de passer à l’antenne. De côtoyer les enfants de Gaza et d’essayer de leur remonter le moral alors qu’il était le plus effrayé et le plus affamé. Il ne méritait pas de mourir ainsi, d’une balle tirée par drone dans la tête.

En tant que journalistes palestiniens de Gaza, nos vies ont été considérées comme dispensables, et ce bien avant la guerre actuelle. Il est si douloureux de pleurer la perte d’Ismail Al-Ghoul et de Rami Al Reefi – non pas parce que nous n’avons pas connu la perte de collègues journalistes auparavant, mais parce que chaque fois, c’est comme si c’était la première fois. Pourtant, nous restons déterminés à documenter la mort de nos collègues, à rendre compte du génocide et à contourner, d’une manière ou d’une autre, le ciblage délibéré dont nous faisons l’objet, en espérant encore plus rêver d’un avenir sûr.

La justice pour Ismail n’est peut-être pas en vue, mais lui et d’autres avant lui, comme Shireen Abu Akleh et Hamza Dahdouh, nous donnent de l’énergie. Ils nous donnent de la force, nous apprennent à continuer à raconter nos histoires et nous rappellent que nous méritons de vivre dans la paix et la liberté.

Repose en paix, Ismail. Finies les souffrances. Finie la famine. Comme l’a dit ta femme, aujourd’hui, nous sommes tous fiers de toi et de tout ce que tu as fait.

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine

Source : 972 Mag

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