Ibrahim Muhareb a été assassiné ce dimanche 18 août, visé par une frappe israélienne alors qu’il portait son gilet de presse. Le 20 août, le journaliste Hamza Murtaja a été tué en même temps que 12 autres Palestinien·nes dans le bombardement israélien d’une école où ils et elles s’étaient réfugiés. Nous faisons ici un point sur la situation de la presse à Gaza et ses répercutions sur la liberté d’informer
Par l’Agence Média Palestine, le 22 août 2024
“L’impunité met en danger les journalistes non seulement en Palestine, mais partout dans le monde. Ceux qui tuent des journalistes s’attaquent au droit du public à l’information, encore plus vital en période de conflit. Ils doivent rendre des comptes, et RSF continuera à travailler dans ce sens, en solidarité avec les reporters de Gaza.“ Antoine Bernard du réseau Reporter sans frontières (RSF)
Un journaliste assassiné tous les deux jours à Gaza
Le 18 août 2024, le journaliste indépendant Ibrahim Muhareb a été assassiné, et sa consœur Salma al-Qaddoumi blessée par les tirs d’un char israélien qui a visé un groupe de journalistes identifiables, selon des témoins et des images vidéo. Ibrahim Muhareb (26 ans) et Salma al-Qaddoumi faisaient partie d’un groupe de journalistes qui se rendaient à Khan Younis pour couvrir le retrait des forces israéliennes d’un village situé au centre de Gaza. Vers 19 heures, un char israélien a ouvert le feu sur le groupe. Si Salma al-Qaddoumi a réussi à s’échapper malgré une blessure au dos et a survécu à l’attaque, son confrère Ibrahim Muhareb est tombé sous les balles et n’a pas pu être évacué à cause des tirs. Ses collègues l’ont retrouvé mort le lendemain matin.
Une vidéo enregistrée par le photojournaliste Ezzedine Muasher et publiée sur son compte Instagram montre un char approchant au bout d’une rue faisant face au groupe. Le char ouvre ensuite le feu, tandis que Ezzedine Muasher et un groupe de journalistes, tous vêtus de gilets siglés “PRESS”, s’enfuient en courant et se mettent à l’abri. Dans la vidéo, Ezzedine Muasher demande où se trouvent Ibrahim Muhareb et Salma al-Qaddoumi. “Nous avons survécu par miracle”, témoigne-t-il dans la vidéo. Ibrahim Qanan, journaliste participants aux funérailles, a accusé Israël « de tuer la vérité en essayant de faire disparaître toute trace de transmission vers le monde extérieur des faits qui se passent dans la bande de Gaza ».
Le 20 août 2024, le journaliste Hamza Murtaja a été assassiné, en même temps qu’au moins 12 Palestinien·nes qui avaient trouvé refuge dans l’école de Mustafa Hafez dans la ville de Gaza, bombardé par l’armée israélienne. Contacté par l’Agence Média Palestine, le Syndicat des journalistes palestiniens (SPJ) nous explique que son frère, Yasser Murtaja, a lui aussi été assassiné par un sniper israélien en 2018, alors qu’il documentait les « marches du retour » à l’est de Khan Younis. Une plainte avait alors été déposée auprès de la Cour Criminelle Internationale.
La date d’aujourd’hui, 21 août 2024, marque le 320ème jour de la guerre génocidaire menée par Israël à Gaza, alors que le SPJ annonce qu’au moins 160 journalistes ont été tués au cours de cette période : soit un·e journaliste assassiné·e un jour sur deux, depuis 10 mois.
La période la plus meurtrière pour les journalistes depuis 1992
Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) qualifiait lundi 19 août la période comme « la plus meurtrière pour les journalistes depuis que le CPJ a commencé à recenser ces informations en 1992 ».
Pour Jonathan Dagher, responsable du bureau Moyen-Orient de RSF, « des informations indiquent que la presse a été prise pour cible. (…) La communauté internationale doit faire pression sur Israël pour que cesse ce carnage et il est également primordial de mettre un terme à l’impunité de ces crimes. RSF déposera une nouvelle plainte auprès de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre commis contre des journalistes.” Cette nouvelle plainte à la CPI sera la quatrième déposée par RSF depuis octobre 2023.
Tahseen Al-Astal, vice-président du Syndicat des journalistes de Gaza, a appelé les groupes de défense des droits de l’homme à travailler ensemble pour faire pression sur les institutions internationales afin qu’elles enquêtent sur les crimes commis contre les journalistes. « Le syndicat poursuit ses actions devant la Cour internationale afin de poursuivre les assassins de journalistes parmi les dirigeants de l’occupation », déclare le SJP sur sont site internet.
Journalistes détenu·es
Plus de 94 journalistes palestinien·nes ont été arrêté·es depuis le 7 octobre. 53 sont toujours en détention, dont 19 de la bande de Gaza, ont annoncé le syndicat des journalistes palestiniens (PJS), l’Association Al-Dammer pour les droits de l’homme à Gaza et la Commission indépendante pour les droits de l’homme, lors d’une conférence de presse commune la semaine dernière.
Ils ont ajouté que deux journalistes ont été « soumis à une disparition forcée, sans qu’aucune information ne soit disponible à leur sujet de la part de sources officielles ».
Pour Alaa Al-Saqafi, directeur d’Al-Dameer, le grand nombre de journalistes tué·es et détenu·es, ainsi que le ciblage de leurs familles, reflètent « une politique délibérée et systématique du gouvernement d’occupation, avec des instructions provenant à la fois des niveaux politique et militaire ».
Entrave à la presse
Seuls quelques médias internationaux, dont l’AFP, ont des journalistes à Gaza : il s’agit de Palestinien·nes qui se trouvaient dans le territoire avant le 7 octobre. En juillet dernier, 64 médias internationaux signaient une lettre ouverte sur le site du Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ) exigeant un « accès immédiat et indépendant » à Gaza afin de couvrir au mieux le conflit et décharger leurs collègues Palestiniens, sur place depuis le début.
« Je ne peux que supposer qu’Israël n’autorise pas les journalistes à travailler librement à l’intérieur de Gaza, parce que leurs soldats font des choses qu’ils ne veulent pas que nous voyions », accusait en février dernier Jeremy Bowen, de la BBC. « Des reportages de journalistes étrangers pourraient confirmer l’affirmation d’Israël selon laquelle, pour reprendre une expression courante en Israël, il s’agit de l’armée la plus morale du monde ; ou alors, des journalistes étrangers pourraient découvrir des preuves qui confirment les allégations de crimes de guerre ainsi que celle, encore plus grave, de génocide. Tant que nous ne serons pas entrés, nous ne le saurons jamais », a souligné le journaliste.
Alors que les journalistes extérieur·es revendiquent leur droit de se rendre sur place pour informer, les journalistes palestinien·nes bloqué·es dans Gaza ne bénéficient pour leur part d’aucune protection, et voient leurs installations bombardées ainsi que leurs familles mises en danger. Dans un territoire sous blocus dont les accès sont limités par Israël ainsi que par l’Egypte, avec un accès extrêmement réduit à l’électricité et aux moyens de communication, les travailleur·euses de la presse à Gaza sont empêché·es de transmettre à l’extérieur ce qu’ils et elles voient ou entendent.