Hersh est parti, sacrifié au nom d’une « victoire totale » d’Israël

Les parents de l’otage Hersh Goldberg-Polin ont plaidé pour la libération de leur fils. Mais Netanyahou a préféré s’accrocher au pouvoir et lâcher sur Gaza des rivières de sang.

Par Orly-Noy, le 2 septembre 2024

Des gens se rassemblent en en hommage à l’otage israélo-américain Hersh Goldberg-Polin à Jérusalem, le 1er septembre 2024. (Chaim Goldberg/Flash90)

Voilà onze mois que la mort est à nos portes, d’abord comme invitée indésirable, puis maintenant, semble-t-il, en squatteuse permanente qui refuse de partir. Sa présence est aussi intime qu’éthérée. Le nombre de Palestiniens et de Palestiniennes qu’Israël a tué·es dans son holocauste à Gaza rend difficile de métaboliser la profondeur de l’horreur. Combien d’images d’enfants palestinien·es mort·es une personne peut-elle voir avant que toutes ne se transforment en un paysage intangible de ténèbres ?

Ce sentiment d’hébétude s’applique également aux victimes israéliennes, et en particulier aux otages. C’est peut-être pour cette raison que presque tous les Israélien·nes, y compris ceux et celles qui n’ont aucun lien personnel avec les otages, en ont un ou une dont le sort leur pèse plus particulièrement sur le cœur. Peut-être s’agit-il de Noa Argamani, la jeune femme de 26 ans récemment libérée, dont l’enlèvement fut visionné en vidéo dans le monde entier ; ou peut-être s’agit-il des bébés Bibas, dont les cheveux orange sont devenus le symbole des captifs.

Ou peut-être – c’est mon cas – était-ce Hersh Goldberg-Polin, ce jeune homme de 23 ans qui a perdu un bras lors de son enlèvement le 7 octobre et que nous avons vu en avril nous parler depuis sa captivité dans une vidéo diffusée par le Hamas. Sa maison familiale à Jérusalem n’est pas loin de la mienne. Nous soutenions la même équipe de football. Il avait le même âge que ma fille aînée et ils fréquentaient les mêmes endroits de la ville.
S’
Bien que je ne l’aie jamais connu personnellement, dès le moment où nous avons appris samedi soir que l’armée avait récupéré les corps sans vie de six otages, je n’ai pu m’empêcher de prier : « S’il vous plaît, faites que Hersh ne soit pas parmi eux. » Je me suis réveillée le lendemain matin pour découvrir que ma prière n’a pas pas entendue.

Quand je me suis rendue à l’arrêt de bus près de chez moi et que j’ai vu l’affiche avec le visage de Hersh, j’ai eu l’impression que quelqu’un m’enfonçait un pieu dans le cœur. Depuis près d’un an, il sourit, depuis l’affiche, aux passant·es de notre quartier. Nous avons pris le bus avec Hersh, fait des courses avec Hersh et bu du café avec Hersh. Maintenant, Hersh n’est plus. 

Rachel Goldberg, mère de l’otage israélien, Hersh Goldberg-Polin, s’exprime lors d’un rassemblement pour les otages marquant le 100e jour depuis le 7 octobre, devant la Jerusalem Municipality, le 14 janvier 2024. (Yonatan Sindel/Flash90)

Ses parents, Rachel et John, ont pris la parole à la Convention nationale démocrate à Chicago il y a deux semaines, suppliant tous ceux et celles qui voulaient bien l’entendre de faire pression pour obtenir un accord qui le ramènerait vivant à la maison. Lorsqu’ils sont montés sur scène, leur fils était encore en vie.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a assisté à la scène, sachant déjà que tout cela était vain. Alors que les parents de Hersh, accablés de chagrin, frappaient à toutes les portes et que leur fils captif se battait pour sa vie, Netanyahou, lui, n’avait nullement l’intention de chercher un accord qui rendrait les otages à leurs familles vivants plutôt que dans un cercueil. Il a préféré s’accrocher au pouvoir et continuer à faire couler des rivières de sang à Gaza. Comment avons-nous pu confier la gestion de nos vies à cet ange de la mort ?

Dimanche matin, dans le bus qui me conduisait à la gare de Jérusalem, j’ai regardé les photos des mort·es de Gaza sur mon téléphone : les dernières victimes avec leurs noms, et tant d’autres dont je ne saurai jamais comment elles s’appellent. Je pense à ceux et celles qui, en Israël, ont soutenu avec passion cette campagne d’extermination, les mêmes qui ont essayé de nous faire taire quand nous avons crié dès le premier jour que cette folie mettrait tout à feu et à sang.

C’est un cas on ne peut plus tragique du « nous vous l’avions bien dit » ; et l’idée que tout cela était évitable et prévisible est exaspérante. Quand Israël a défini ses objectifs de guerre flous, tel que « éliminer le Hamas et restituer les otages », trop peu d’entre nous – y compris en Occident où l’on persiste à faciliter cette apocalypse – ont averti que cette guerre était une quête vaine de vengeance qui mettrait en danger la vie des otages et ne laisserait dans son sillon que de la destruction et une mer de sang, scellant à la fois le sort du peuple palestinien et le nôtre. L’opinion publique israélienne n’a pas voulu nous entendre, et les médias israéliens ont encouragé l’armée à aller à l’avant jusqu’à la « victoire totale ». 

Où sont aujourd’hui ces champions de la « victoire totale » ? Leur victoire est-elle acquise ? Quelqu’un en a-t-il informé les parents de Hersh ?

Des milliers de personnes assistent aux funérailles de l’otage tué Hersh Goldberg-Polin au cimetière Har Hamenuchot à Jérusalem, le 1er septembre 2024. (Chaim Goldberg/Flash90)

On dit que le plus misérable des dealers est celui qui est dépendant de sa propre drogue. Israël se dope à la mort, qu’il injecte de force au peuple de la Palestine depuis des années, et qu’il s’injecte à lui-même à son insu. La prochaine dose nous « fixera » à coup sûr, il suffit de patienter. 

A la gare, un couple de personnes âgées me demande dans un hébreu approximatif comment rejoindre leur quai de départ. Ils sont dans le pays depuis 35 ans et c’est la première fois qu’ils prennent le train, me dit la femme avec un petit rire gêné. Je les accompagne jusqu’au quai et je sens le rocher de rage et de douleur qui est en moi se dissoudre lentement devant leurs sourires reconnaissants.

C’est peut-être tout ce qui nous reste à présent : sourire à une petite fille sur un quai, apporter de la nourriture à un jeune sans-abri recroquevillé dans un sac de couchage sur la place de la gare, aider un couple de personnes âgées à retrouver leur chemin. Recueillir chaque parcelle d’humanité et la conserver en nous comme un trésor, avant que tout ne soit détruit. 

Peut-être y aura-t-il alors un socle sur lequel reconstruire une société plus humaine qui ne sacrifie pas ses voisin·es et ses enfants sur l’autel de la vengeance. Peut-être cela nous aidera à stocker quelques graines restantes d’humanité, afin qu’il y ait quelque chose à planter le jour où l’air circulera de nouveau et nous pourrons enfin respirer.

Orly Noy est rédactrice chez Local Call, militante politique et traductrice de poésie et de prose en farsi. Elle est présidente du conseil exécutif de B’Tselem et militante du parti politique Balad. Ses écrits sont faits de lignes qui se croisent pour définir son identité multiple : de Mizrahi, de femme de gauche, de femme, d’une migrante temporaire logée à l’intérieur d’une perpétuelle immigrée — et du dialogue constant entre elles.


Traduction : BM pour Agence média Palestine

Source : 972+

Les seules publications de notre site qui engagent l'Agence Média Palestine sont notre appel et les articles produits par l'Agence. Les autres articles publiés sur ce site sans nécessairement refléter exactement nos positions, nous ont paru intéressants à verser aux débats ou à porter à votre connaissance.

Retour en haut