« Le monde s’est habitué à notre sang » : Les massacres israéliens à Gaza se poursuivent

Malgré le déplacement de l’attention des médias vers les développements régionaux et l’invasion israélienne du nord de la Cisjordanie, les massacres à Gaza se poursuivent en silence. Au cours des trois premiers jours de septembre, Israël a commis neuf massacres dans la bande de Gaza.

Par Tareq S. Hajjaj, le 7 septembre 2024

Des Palestiniens inspectent une école pour les victimes, qui abritait des personnes déplacées, après avoir été touchée par une frappe israélienne dans la ville de Gaza, le 1er septembre 2024. (Hadi Daoud/apaimages)

Les massacres perpétrés par Israël contre les civils de la bande de Gaza n’ont pas cessé un seul jour depuis le 7 octobre. Bien que l’attention des médias se soit déplacée ces dernières semaines vers les développements régionaux et l’invasion israélienne massive du nord de la Cisjordanie, les massacres dans la bande de Gaza se poursuivent en silence.

Le ministère de la santé, basé à Gaza, publie un rapport quotidien sur les victimes. Rien qu’au cours des trois premiers jours de ce mois, Israël a commis neuf massacres dans la bande de Gaza, causant la mort d’un total de 128 personnes. Ce chiffre n’inclut que les corps qui ont atteint les hôpitaux assiégés de Gaza. Le ministère précise que des centaines d’autres personnes sont toujours coincées sous les décombres, rien qu’au cours des derniers jours.

Les massacres résultent généralement de frappes aériennes sur des camps de réfugié·es. La plupart du temps, il s’agit d’écoles transformées en abris.

Le 1er septembre, Israël a bombardé l’école Safad dans le quartier d’al-Zaytoun, à l’est de la ville de Gaza. Quatorze personnes ont été tuées dans l’effondrement du bâtiment sur ses occupant·es. Des équipes de la défense civile palestinienne sont arrivées sur les lieux et ont rapporté avoir vu des mains couvertes de sang et de cendres sortir des décombres, certaines d’entre elles bougeant pour appeler à l’aide. Les équipes de la défense civile ont dû briser des parties du toit effondré à l’aide de marteaux pour en extraire des corps et des survivant·es.

Zuhair Mughrabi, 40 ans, se trouvait à côté de l’école lorsque l’attentat a eu lieu. Lui et sa famille ont survécu, mais il ne peut se débarrasser du souvenir des cris des victimes coincées sous les décombres de l’école.

« Il y a trois jours, l’armée a envahi certaines parties de l’est de la ville de Gaza ; les gens sont sortis en courant de ces zones pour se rendre dans cette école. Puis l’armée l’a bombardé sans aucun avertissement. L’école est pleine de familles déplacées, de femmes et d’enfants. Il n’y a rien d’autre ici que des familles en deuil qui fuient la mort », a déclaré Mughrabi.

« Le bâtiment [de l’école] était plein de gens et ils l’ont bombardé. De nombreuses personnes se trouvent encore sous les décombres. La plupart sont des enfants et des femmes, mais personne ne peut les sortir de là. Même les équipes de défense civile n’ont pas l’équipement nécessaire pour creuser et les sortir de là. »

Alors que les gens creusaient dans les décombres pour retrouver les membres de leur famille, l’armée israélienne aurait appelé les voisin·es et leur aurait ordonné d’informer les personnes à l’intérieur que l’armée allait bombarder les deux bâtiments restants de l’école.

« Nous essayions d’aider les gens à sortir des décombres lorsque nous avons reçu un appel de l’armée israélienne nous demandant d’évacuer les autres bâtiments », a raconté Mughrabi. « Nous avons évacué en une heure, puis l’armée a détruit l’école avec deux autres missiles. Nous avons vu des gens sous les toits et d’autres allongés, une colonne de béton pesant plus de deux tonnes est tombée sur un martyr. C’est dur, et nous ne savons pas quoi faire ni où aller ».

« C’est de la folie. C’est une école sûre, remplie de familles déplacées, pour la plupart des femmes et des enfants ; nous pensions qu’il n’y avait même pas un pour cent de chance que cette école soit bombardée. »

L’armée n’a envoyé d’avertissement qu’après le bombardement

Samir Albibi, 40 ans, décrit le moment du bombardement comme ayant provoqué un éclair de lumière qui était « plus lumineux que la lumière du jour ». Le feu, les gens qui courent sans réfléchir, les cris, le sang et le carnage l’ont amené à penser que c’était le jugement dernier.

« C’était calme avant le massacre. Il n’y avait même pas de drones dans le ciel, et soudain, tout s’est embrasé », raconte Albibi en montrant la cour de l’école. « Nous avons appris par la suite que les gens avaient été déchiquetés et éparpillés ici et là. J’ai vu les intestins de quelqu’un sur le sol. Nous courions et nous nous heurtions les uns aux autres sans savoir qui de nos familles était encore en vie et qui nous laissions derrière nous. C’était comme la fin des temps. Je ne pense même pas que l’apocalypse ressemblerait à cela ».

« L’armée israélienne nous a demandé d’évacuer les lieux après que nous ayons assisté au massacre. Elle aurait dû nous prévenir avant de bombarder le premier bâtiment sur la tête des gens », ajoute-t-il. « Ils savent que l’école est remplie de personnes déplacées et ils l’ont quand même bombardée ; il y a plus de 30 personnes encore sous les décombres ; ils auraient pu nous avertir avant de nous tuer s’ils se souciaient de la vie des civils. »

Survivre grâce au seul destin

Ibrahim Addas, 32 ans, s’occupe de sa sœur et des six membres de sa famille après la mort de leur père dans ce génocide. Ils vivaient tous dans une salle de classe de l’école de Safad, qui se trouvait dans le premier bâtiment qui a été bombardé sans avertissement. Mais ce jour-là, ses nièces ont insisté pour qu’il les emmène à la plage : elles se sentaient toutes étouffées et voulaient prendre l’air.

« Je les ai emmenées à la plage, nous tous, et nous avons tout laissé dans la salle de classe. Dans l’après-midi, nos proches ont appelé et nous ont dit que l’école avait été bombardée », raconte Addas. « Nous sommes retourné·es à l’école en toute hâte et nous avons assisté de très près au deuxième bombardement. Seul le destin nous a poussés à quitter l’école ce jour-là. Sinon, nous aurions été sous les décombres sans que personne ne sache rien de nous. Si nous étions restés dans la classe, comme d’habitude, nous aurions tous été tués. Le monde s’est habitué à notre sang et à nos meurtres quotidiens »

L’hôpital bombardé

L’Hôpital Arabe al-Ahli a également été bombardé au cours du week-end, le samedi 23 août. Yousif Sa’di, 23 ans, photographe et témoin oculaire de l’attentat, a déclaré à Mondoweiss que l’armée israélienne avait pris pour cible un laboratoire médical de l’hôpital. Sa’di est toujours présent à l’hôpital pour couvrir les événements et il n’était qu’à cinq mètres du bâtiment lorsque l’armée israélienne l’a bombardé.

« Soudain, la bombe a frappé l’endroit et je me suis retrouvé à plus de 50 mètres de l’explosion. C’était un moment inattendu et difficile pour les gens après l’attentat. La plupart des personnes grièvement blessées ou tuées étaient des enfants et des femmes. De nombreuses personnes à l’intérieur de l’hôpital ont été blessées, des éclats d’obus et des pierres ont volé »

Le docteur Hussam Ghaban, qui était de garde au moment de l’attaque, a soigné les blessés qui arrivaient par dizaines du lieu de l’explosion. « Le bâtiment du laboratoire a été pris pour cible soudainement. Nous n’avons reçu aucun avertissement », déclare le Dr Ghaban à Mondoweiss. « La cour de l’hôpital était pleine de monde. Dans les premiers instants du bombardement, plus de sept personnes ont été tuées, pour la plupart des femmes et des enfants. Par la suite, le nombre a continué à augmenter toutes les quelques heures ».

« Le lendemain, d’autres blessé·es sont mort·es », poursuit-il. « Et dans les jours qui ont suivi, d’autres personnes qui avaient été blessées par la frappe ont succombé à leurs blessures. C’était effrayant d’assister à un tel massacre et de travailler dans de telles conditions. Aux heures les plus chargées, des dizaines de femmes et d’enfants sont arrivaient à l’hôpital, beaucoup d’entre elles et eux étaient déchiqueté·es et la plupart des blessures étaient critiques »

« Dans de telles conditions, nous nous efforçons de sauver la vie des gens et de leur fournir ce qui est disponible et ce que nous pouvons offrir. Les temps sont durs, les plus durs pour les habitant·es de Gaza », ajoute-t-il.

L’hôpital baptiste de la ville de Gaza a déjà été bombardé en octobre 2023, et plus de 400 personnes auraient été tuées dans l’un des massacres les plus horribles des premiers jours du génocide.

Abu Mohammed, 49 ans, se trouvait à l’hôpital pour rendre visite à l’un de ses proches, récemment blessé dans un autre attentat, lorsque la frappe israélienne a touché le bâtiment.

« Je suis venu rendre visite à mon neveu blessé, je suis allongé à côté de lui, nous sommes tous les deux blessés », a déclaré Abu Muhammad. « Deux bombes ont explosé alors que nous étions à l’hôpital, c’était effrayant d’être témoin de cela. Des éclats d’obus, des pierres et des gens volaient partout. J’ai vu des corps de personnes voler ici et là. L’armée israélienne bombarde n’importe quel endroit, quels que soient les gens qui s’y trouvent et leur nombre, sans aucun avertissement, ils tuent tout le monde », a déclaré Abu Muhammad.

« Cette situation dépasse notre imagination, elle est trop effrayante, on ne peut pas sortir de chez soi et rentrer en sécurité, on peut être tué à tout moment. »

Mahmoud Abu Hamdah a contribué à cette histoire depuis Gaza.

Tareq S. Hajjaj est le correspondant de Mondoweiss à Gaza et membre de l’Union des écrivains palestiniens. Suivez-le sur Twitter : @Tareqshajjaj.

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss

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