La guerre d’Israël à Gaza est une catastrophe environnementale

Déchets toxiques, maladies transmises par l’eau, vastes émissions de carbone : le docteur Mariam Abd El Hay nous décrit la myriade de dommages causés par l’assaut israélien aux écosystèmes de la région.

Par Nathalie Rozanes, le 5 septembre 2024

Des Palestinien·nes déplacé·es près de la mer à Deir al-Balah, juin 2024. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

« Des pénuries d’eau et d’électricité de plus en plus graves. Des inondations catastrophiques dans des zones urbaines denses. L’insécurité alimentaire exacerbée par l’augmentation drastique des températures, la réduction des précipitations globales et l’impact à long terme des produits chimiques toxiques ».

C’est ce que les climatologues Khalil Abu Yahia, Natasha Westheimer et Mor Gilboa prédisaient pour l’avenir à court terme de Gaza, alors qu’ils écrivaient dans +972 Magazine il y a plus de deux ans. Les bombardements incessants d’Israël sur la bande de Gaza au cours des onze derniers mois ont eu des conséquences humanitaires indescriptibles, mais ils auront également des effets dramatiques et durables sur l’environnement naturel de Gaza, déjà en péril, et sur celui de toute la région.

« Il est pratiquement impossible de penser à la crise climatique au milieu de tant de morts et de destructions », écrivait Westheimer en novembre dernier, après l’assassinat d’Abu Yahia lors d’une frappe aérienne israélienne. « Mais la réalité est que le mois dernier a plongé Gaza encore plus profondément dans une crise humanitaire, et que ses deux millions d’habitant·es sont plus vulnérables que jamais aux effets du changement climatique. »

En juin, le Centre pour la diplomatie environnementale appliquée de l’Institut Arava pour les études environnementales a publié un nouveau rapport détaillé sur l’impact environnemental de l’assaut israélien en cours sur Gaza. Le rapport traite d’une myriade d’effets néfastes de la guerre sur l’environnement, qu’il s’agisse de l’énorme quantité de poussière toxique dégagée par le bombardement des bâtiments, de l’effondrement de la gestion des déchets, de la destruction des installations de traitement de l’eau ou de la prolifération des maladies d’origine hydrique.

Si ce sont les Palestinien·nes de Gaza qui sont les plus gravement menacé·es, le rapport indique clairement que l’ensemble du territoire situé entre le Jourdain et la mer Méditerranée fait partie d’un seul et même écosystème, dans lequel la santé et l’environnement sont interconnectés dans un équilibre vulnérable. La récente découverte d’un poliovirus dans les eaux usées de Gaza a mis ce constat en évidence. L’armée israélienne a commencé à administrer des vaccins de rappel contre la polio aux soldat·es israélien·nes, avant d’accepter une campagne de vaccination des enfants palestinien·nes du territoire âgé·es de moins de 10 ans ; Israël s’est aussi soudainement intéressé à la reconstruction des infrastructures de gestion des eaux usées qu’il avait détruites.

Des travailleur·ses de la santé vaccinent des enfants palestinien·nes contre le virus de la polio à Deir al-Balah, le 1er septembre 2024. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

Le rapport souligne également le lien entre les conflits armés et le réchauffement climatique. Le 21 juillet, la planète a connu la journée la plus chaude jamais enregistrée ; au Moyen-Orient, les températures augmentent en moyenne deux fois plus vite que dans le reste du monde.

Pour mieux comprendre l’impact environnemental de la guerre, +972 s’est entretenu avec le Dr. Mariam Abd El Hay, chercheuse en dynamiques sociales et en impacts environnementaux des conflits et citoyenne palestinienne d’Israël, originaire de la ville de Tira. Abd El Hay est l’autrice du nouveau rapport, auquel Elaine Donderer et David Lehrer, directeur du centre, ont également contribué. L’entretien a été édité pour des raisons de longueur et de clarté.

Quelle est la situation environnementale à Gaza à l’heure actuelle ?

La situation est extrêmement alarmante. Avant le 7 octobre, l’environnement de Gaza était déjà très précaire. Des années de campagnes de bombardements israéliens, de restrictions israéliennes et égyptiennes sur les importations et de dysfonctionnement de la gouvernance avaient entraîné des pénuries chroniques d’électricité et retardé la construction d’installations essentielles. L’accès à l’eau potable était extrêmement faible, Gaza dépendant de trois pipelines en provenance d’Israël et 97 % de l’eau potable étant contaminée et peu sûre. Les infrastructures de gestion des déchets et de l’eau étaient déjà fragiles, ce qui entraînait l’incinération incontrôlée des déchets dans les décharges, la pollution de l’air et du sol et la contamination des eaux souterraines en raison de fuites de déchets.

Mais pendant la guerre, la dégradation de l’environnement à Gaza s’est aggravée de façon exponentielle : les bombardements israéliens détruisant les infrastructures, une quantité démesurée de poussière toxique a été libérée dans l’air, et la gestion des eaux usées s’est complètement effondrée en raison de la pénurie de carburant.

En avril, la destruction de bâtiments dans toute la bande de Gaza avait produit environ 37 millions de tonnes de débris. Lorsque les bâtiments sont endommagés ou s’effondrent, ils libèrent des nuages de fumée nocive, de poussière toxique et d’émanations dans l’environnement.

Les explosions réduisent les matériaux de construction en petits morceaux, ce qui libère des particules toxiques dans l’environnement, qui sont ensuite absorbées par les humain·es. Même si l’exposition la plus forte à ces toxines a lieu au moment de l’explosion, les microparticules de poussière et de cendres toxiques sont dispersées par le vent et ramassées par les pas et les véhicules en mouvement. L’armée israélienne a également utilisé du phosphore blanc, une arme incendiaire hautement toxique. Par conséquent, si les habitant·es de Gaza sont confronté·es aux risques sanitaires les plus graves, les Palestinien·nes, les Israélien·nes et tous les autres êtres vivants de la région continueront à en subir les conséquences pendant des années.

À Gaza, l’amiante, hautement cancérigène sous forme de poussière, est couramment utilisée dans la construction, ce qui accroît encore le risque de cancer par inhalation. On a déjà trouvé de l’amiante dans la poussière toxique après le bombardement de la bande de Gaza par Israël en 2021.

En raison de la guerre en cours, il est impossible de valider nos résultats sur le terrain, mais nous pouvons estimer le type et la quantité de produits chimiques libérés dans l’environnement de Gaza à la suite de bombardements intensifs en nous appuyant sur notre connaissance des matériaux de construction locaux, sur des données historiques relatives aux zones de conflit et sur des incidents antérieurs tels que les attentats du 11 septembre à New York. Plus de vingt ans plus tard, la population est toujours confrontée à des problèmes de santé liés aux débris et à la poussière, notamment des maladies aérodigestives et des cancers.

Quels sont les problèmes environnementaux et sanitaires liés à l’effondrement de l’infrastructure de gestion des déchets de Gaza ?

Des dizaines de milliers de tonnes de déchets résidentiels s’accumulent dans les rues et les décharges informelles, en raison de la pénurie de carburant nécessaire au fonctionnement des machines de gestion des déchets. Cette situation peut entraîner une pollution des sols et des eaux souterraines et contribuer à la prolifération d’algues le long de la côte, mettant en danger la vie marine et les baigneur·euses.

Une gestion inadéquate des déchets attire également des animaux, tels que les rats, qui peuvent transmettre des maladies aux êtres humains. Les températures élevées et l’humidité qui règnent dans notre région en été créent également des conditions parfaites pour la croissance et la reproduction des bactéries.

Avec l’effondrement du système de santé de Gaza, les Palestinien·nes n’ont pas pu se faire soigner correctement depuis le début de la guerre. C’est un miracle que nous ne soyons pas encore témoins d’épidémies encore plus graves à Gaza et dans l’ensemble de l’espace israélo-palestinien, mais cela ne manquera pas d’arriver.

Savons-nous quelle quantité de déchets toxiques a été produite ?

On estime que la guerre actuelle a déjà produit un minimum de 900 000 tonnes de déchets toxiques. Ces polluants – qui comprennent des matières radioactives et cancérigènes, des métaux lourds, des pesticides et d’autres produits chimiques, émis à la fois par l’utilisation de munitions militaires et par la destruction de bâtiments – persistent dans l’environnement et constituent une menace pour toutes les formes de vie, y compris les animaux et la végétation. Ils contaminent le sol, l’air et les sources d’eau, mettant en péril les écosystèmes.

L’un des écosystèmes particulièrement menacés par le ruissellement des déchets toxiques est Wadi Gaza, une réserve naturelle située dans la bande de Gaza. Riche en biodiversité, cette bande de terre de neuf kilomètres de large s’étend à l’ouest de la barrière frontalière jusqu’à la mer. Il s’agit d’une extension du Besor Stream, qui s’écoule d’Hébron, en Cisjordanie, à la mer Méditerranée en passant par Be’er Sheva, en Israël. Les oiseaux aquatiques locaux et les oiseaux migrateurs qui traversent les continents dépendent tous deux des zones humides côtières de cette région pour leur habitat.

Pouvez-vous nous en dire plus sur la situation du traitement de l’eau à Gaza ?

La situation était déjà extrêmement fragile étant donné qu’Israël contrôle depuis longtemps l’approvisionnement en eau de Gaza, mais elle a été gravement aggravée par la guerre. Les infrastructures désormais endommagées ou détruites comprennent des puits d’eau potable, des réseaux d’eau tels que des pompes et des tours, des installations sanitaires et d’hygiène, des réseaux d’égouts, des usines de dessalement, des infrastructures d’eaux pluviales, des sorties d’eaux usées marines et des usines de traitement des eaux usées. En outre, à la mi-novembre, le manque de carburant a rendu inévitable la fermeture des cinq stations d’épuration de Gaza et de la plupart de ses 65 stations de pompage des eaux usées, comme l’a rapporté Oxfam.

Avant la guerre, 13 000 mètres cubes d’eaux usées brutes se déversaient chaque jour dans la mer à partir de Gaza. Aujourd’hui, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) estime que ce chiffre est passé à 130 000 mètres cubes par jour. En raison de la défaillance des installations de traitement des eaux usées, les habitant·es sont contraint·es de consommer de l’eau saumâtre et contaminée et de l’utiliser pour la cuisine, le nettoyage et l’hygiène personnelle.

Les conséquences sanitaires de la consommation d’eau contaminée sont désastreuses, en particulier pour les enfants, qui représentent 47 % de la population de Gaza. Elle augmente considérablement le risque de choléra, de typhoïde, de polio et d’autres maladies liées à l’eau. Même en novembre, l’Organisation mondiale de la santé a averti que les maladies infectieuses associées à la pénurie d’eau et à la contamination pourraient finalement tuer plus de personnes à Gaza que la violence militaire.

En outre, des chercheur·ses et des professionnel·les de la santé se sont récemment inquiété·es de l’émergence et de la propagation de bactéries résistantes aux traitements antibiotiques ou aux antimicrobiens (RAM). L’eau contaminée peut également faciliter le contact entre les bactéries et les métaux lourds libérés par les explosifs, qui contribuent à la RAM.

Comment ces maladies d’origine hydrique se propagent-elles ?

Les bactéries à l’origine de ces maladies peuvent vivre dans les cours d’eau saumâtres et les eaux côtières. Une fois transmises à l’homme, elles se propagent par la consommation d’eau ou d’aliments contaminés par les excréments d’une personne infectée.

Les eaux usées imprègnent les routes et les cours d’eau, s’infiltrent dans le sol, contaminent les aliments et franchissent la barrière entre Israël et Gaza en passant par Wadi Gaza, la mer Méditerranée et l’aquifère côtier, une source d’eau souterraine qui s’étend de la péninsule égyptienne du Sinaï jusqu’à la côte méditerranéenne orientale d’Israël. L’aquifère est perméable, peu profond et non confiné, les eaux souterraines s’écoulant de l’arrière-pays vers la mer Méditerranée.

L’écoulement des eaux côtières est également important : en raison des courants méditerranéens, les eaux usées qui atteignent la côte de Gaza s’écoulent vers le sud et peuvent infecter les personnes vivant le long de la côte égyptienne.

Pouvez-vous expliquer le lien entre la guerre et les émissions de gaz à effet de serre ?

Notre planète ne peut tout simplement pas supporter les conflits armés. L’utilisation d’armes et la détonation d’explosifs libèrent de grandes quantités de gaz à effet de serre – le principal moteur du changement climatique – et de particules dans l’atmosphère. On estime que 5,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre résultent de l’activité militaire.

Pour la seule journée du 7 octobre, l’attaque du Hamas a émis environ 646 tonnes de dioxyde de carbone. Ensuite, au cours des deux premiers mois de la guerre, les bombardements aériens et l’invasion terrestre de Gaza par Israël ont émis environ 281 000 tonnes de dioxyde de carbone.

Ce volume d’émissions causé par l’armée israélienne au cours de ces deux premiers mois équivaut à la combustion d’environ 150 000 tonnes de charbon. J’ai fait un rapide calcul pour que nous puissions visualiser quelque chose de concret : la combustion de cette quantité de charbon représente environ 24 772 années de consommation d’électricité pour un ménage.

En outre, selon l’Autorité israélienne de la nature et des parcs, les frappes du Hezbollah depuis la frontière libanaise – plus de 7 500 roquettes, missiles et drones depuis le 7 octobre – ont fait brûler 8 700 hectares dans le nord d’Israël en raison de plus de 700 incendies de forêt. Il s’agit d’une superficie 12 fois supérieure à celle des années précédentes, dans une région qui brûle déjà plus fréquemment chaque été.

Ces forêts et ces terres agricoles abritent des animaux et des plantes rares, qui absorbent environ sept tonnes de dioxyde de carbone par hectare et par an, ce qui équivaut à peu près aux émissions d’une voiture et demie au cours d’une année moyenne. Nous avons donc déjà perdu une capacité d’absorption équivalente aux émissions annuelles moyennes produites par 5 800 voitures.

Vue d’un feu de forêt après une attaque de missiles en provenance du Liban, près du kibboutz Ayelet HaShahar, dans le nord d’Israël, le 17 août 2024. (Ayal Margolin/Flash90)

Selon le programme « Land and Natural Resources » de l’université de Balamand, les frappes israéliennes dans le sud du Liban ont brûlé environ 4 000 hectares, ce qui signifie la perte d’une capacité d’absorption équivalente aux émissions de 2 600 voitures supplémentaires. À titre de comparaison, les deux années précédentes, la superficie totale brûlée par les incendies de forêt au Liban était de 500 à 600 hectares. Avec la menace d’une nouvelle escalade à la frontière israélo-libanaise, ce n’est peut-être qu’un début.

Lorsque nous pensons aux voitures, la façon dont les émissions sont produites semble évidente. Comment l’armée produit-elle des émissions aussi importantes ?

Les sources de ces émissions comprennent la fabrication et la détonation d’explosifs, l’artillerie, les roquettes, ainsi que les opérations aériennes, les manœuvres des chars d’assaut et la consommation de carburant des véhicules. Rien que du 7 octobre à la fin décembre – et nous en sommes à huit mois de bombardements – les forces israéliennes ont largué plus de 89 000 tonnes d’explosifs sur la bande de Gaza. En outre, 254 650 vols militaires ont eu lieu au cours de ces trois premiers mois.

Comme l’a affirmé Amitav Gosh, « à l’ère du réchauffement climatique, rien n’est vraiment loin ». Comment les effets du changement climatique et du réchauffement de la planète seront-ils ressentis en Israël-Palestine et dans l’ensemble de la région ?

Au cours des 50 prochaines années, on prévoit que des températures plus chaudes combinées à des niveaux d’humidité plus élevés rendront de vastes zones du globe impossibles à vivre, notamment certaines parties du Moyen-Orient, qui se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale. Le ministère israélien de l’environnement prévoit une hausse de 4 degrés des températures moyennes d’ici la fin du siècle.

Les personnes déplacées et cherchant un abri quelque part dans la bande de Gaza sont aujourd’hui moins préparées que jamais à faire face à la hausse des températures en été et aux inondations en hiver. Mais même en Israël, les effets du changement climatique se font déjà sentir dans une certaine mesure. Par exemple, le virus du Nil occidental a déjà tué au moins 440 personnes en Israël cet été. Ce virus, qui est propagé par les oiseaux migrateurs dans le monde entier et transmis à l’homme par les moustiques, et qui peut être mortel pour les personnes âgées et immunodéprimées, est le résultat direct des températures et de l’humidité plus élevées du printemps dernier.

Quelles sont les conséquences environnementales attendues de l’effort nécessaire à la reconstruction de Gaza ?

On estime que 30 millions de tonnes supplémentaires de gaz à effet de serre seront produites au cours des travaux de construction d’après-guerre nécessaires à Gaza pour réparer 100 000 bâtiments endommagés. L’industrie de la construction est responsable d’environ 11 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone et englobe des activités telles que la production de béton et d’acier, le transport de matériaux, l’exploitation de machines et la démolition de bâtiments.

L’initiative Jumpstarting Hope in Gaza, une coalition d’ONG et d’entités du secteur privé dirigée par Damour for Community Development in Gaza et soutenue par l’Institut Arava, a publié un plan pour la fourniture locale d’énergie et de matériaux durables afin de minimiser les externalités supplémentaires. L’une des idées, par exemple, est de fabriquer des briques à partir des décombres existants. Mais tout cela nécessite bien sûr un cessez-le-feu durable.

Nathalie Rozanes est comédienne, autrice et réalisatrice de performances originaire de Bruxelles, elle vit actuellement à Jaffa-Tel Aviv.

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : +972 Mag

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