Redonner accès à l’éducation pendant un génocide

Par Nadera Mushta, le 14 novembre 2024

Que faire en tant qu’enseignant-e lorsqu’il n’y a plus d’écoles, mais que des centaines de milliers d’écolier-es ont besoin de recevoir une éducation ?

En mai, j’ai proposé ma propre réponse à l’attaque génocidaire d’Israël contre le secteur de l’éducation à Gaza. Avec toutes les universités et 80 % des écoles endommagées ou détruites en un peu plus d’un an, et les écoles restantes transformées en abris pour les personnes déplacées, mes options étaient limitées.

J’ai donc décidé de commencer à donner des cours dans une petite pièce de ma propre maison à al-Shujaiya, dans le nord. Et j’ai décidé de commencer chaque journée en récitant ces lignes, pour encourager et inspirer mes élèves :

Fleuris, fleuris, fleuris,
Comme la rose
Nous allons fleurir.
Brille, brille, brille,
Comme les étoiles
Nous brillerons.

Ce sont les enfants qui ont payé le plus lourd tribut à l’agression génocidaire d’Israël. Selon les Nations unies, 44 % des meurtres vérifiés concernent des enfants, tandis que 17 000 enfants se sont retrouvé-es seul-es, soit parce que tous leurs proches ont été tué-es, soit parce qu’ils et elles ont été séparé-es des adultes de leur famille. Sur les 625 000 enfants en âge d’être scolarisés à Gaza, aucun-e n’a reçu d’éducation formelle depuis octobre dernier.

Créer un lieu d’apprentissage

Je me suis dit qu’il fallait trouver un moyen de redonner le goût de l’apprentissage et de la joie de vivre à au moins quelques-un-es de ces enfants. J’ai sorti mon vieux tableau noir et je l’ai installé sur un support en bois dans ma salle à manger, où se trouvait une table avec huit chaises. J’ai formé quatre groupes de huit élèves, de la maternelle à la sixième. J’avais l’intention de leur donner des cours d’anglais.

Lors de notre premier cours, 32 élèves de mon quartier sont venu-es. Je leur ai demandé leur nom et leur âge, j’ai défini notre emploi du temps ensemble et j’ai parlé avec elles et eux de ce que nous allions étudier. Leur excitation était palpable ; elles et ils étaient impatient-es d’avoir une professeure et des cours après huit mois sans aucune éducation.

Lors de notre deuxième cours, j’ai remarqué que les élèves avaient apporté des sacs à dos, des bouteilles d’eau et une multitude de crayons. Certaines de ces fournitures scolaires avaient été récupérées dans les décombres de leurs maisons, d’autres leur avaient été offertes par des voisin-es bienveillant-es.

J’ai dû élaborer mon propre programme, en sélectionnant les sujets qui, selon moi, intéresseraient les enfants. Le plus évident, bien sûr, est ce qui se passe autour de nous. Un jour, j’ai donc demandé à mes élèves d’écrire des histoires sur le génocide israélien et sur leurs rêves et leurs espoirs au milieu de tout ce carnage.

Le lendemain, j’ai été stupéfaite par leur créativité. J’ai ressenti une profonde fierté pour moi-même et mes élèves pour notre courage et notre engagement dans l’apprentissage. Et j’ai ressenti une profonde tristesse pour ces enfants, qui ne devraient pas savoir ce qu’elles et ils ont appris au cours des 13 derniers mois.

Mariam, 8 ans, écrit :
« Je ne sais pas où sont mes ami-es. Elles et ils me manquent tellement, et je regrette les journées passées à l’école ensemble. J’adore étudier les mathématiques et les sciences. Maintenant, je suis si triste et si fatiguée de ne plus aller à l’école ».

Jory, 8 ans, se souvient de sa sœur :

« Je ne peux pas croire que ma sœur soit dans la tombe maintenant. Qu’a-t-elle fait pour mériter cela ? Elle souriait et jouait avec nous quand ils l’ont tuée. Elle me manque tellement. »

Les élèves parlent d’amour et de perte

« Sommes-nous des enfants comme les autres enfants du monde ? se demande Marah, 5 ans. « Pourquoi nous tuent-ils ? Je veux jouer avec mes jouets, pas mourir. Mon professeur me manque. Tous-tes mes ami-es me manquent. »

Après chaque cours, j’ai encouragé les enfants à rester un peu plus longtemps pour qu’elles et ils puissent dessiner, jouer à des jeux et chanter des chansons. C’étaient des moments de joie au milieu de la perte et des souffrances accablantes endurées.

J’ai encouragé les élèves à partager leurs rêves et à réfléchir à la manière dont elles et ils pourraient aider notre pays et son peuple en ces temps difficiles. Je les ai encouragé-es à dire la vérité et à rechercher la justice dans un monde qui semble souvent sombre et injuste.

Ces moments ont été parmi les plus significatifs de ma vie, malgré les lourds bombardements qui nous entouraient.

Malheureusement, après six semaines de cours, l’armée israélienne a envahi mon quartier en juin. J’ai été déplacée et n’ai pas pu continuer à enseigner. Il a fallu attendre deux semaines avant que je puisse retourner chez moi. Mais à ce moment-là, beaucoup de mes élèves avaient été déplacé-es également. La plupart d’entre elles et eux sont toujours déplacé-es et vivent dans des abris de fortune ou chez des proches.

Lorsque je les vois, je leur demande souvent pourquoi elles et ils ont cessé d’assister à mes cours. La réponse générale est : « Ce n’est plus sans danger ». Elles et ils ont tout simplement peur. Elles et ils ont vu trop d’enfants tué-es dans les rues.

Je crois que ma petite école a apporté une lueur d’espoir dans ces terribles circonstances. J’espère qu’elle a permis à ces enfants de s’exprimer et de rêver à un avenir meilleur.

Dès que je le pourrai, je reprendrai ces cours. En tant qu’enseignante, il est de mon devoir d’aider les enfants à s’épanouir, même – et peut-être surtout – au milieu des cendres de notre patrie.

Nadera Mushta est enseignante et écrivain à Gaza.

Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : The Electronic Intifada

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