L’afflux de littérature palestinienne montre l’importance du language en temps de crise et développe un corpus d’œuvres qui documentent et résistent à la destruction.
Par Nashwa Nasreldin, New Lines Magazine, le 29 octobre 2024
Dans des moments d’horreur inexprimable, le langage devient facilement chargé. Les mots sont utilisés comme des armes de guerre, manipulés et réarrangés pour justifier les violences les plus extrêmes. Pourtant, c’est aussi dans le langage que nous cherchons le réconfort, pour dire l’indicible. Nous donnons un sens aux mots, nous les façonnons pour trouver une raison d’être, pour établir des liens et pour créer.
En temps de crise, les gens se tournent vers la poésie, non seulement pour mesurer l’ampleur de la souffrance, mais aussi pour réfléchir à son impact singulier, que ce soit avec tristesse ou résilence. « La poésie soigne », a déclaré la poétesse américano-palestinienne Naomi Shihab Nye. « La poésie essaie de chanter les histoires silencieuses et discrètes. La poésie chérit et protège les détails. La poésie écoute ceux qui ne font pas les gros titres ».
Aujourd’hui, les écrivains de Gaza, menacés par des bombardements et des déplacements incessants, et contraints de se concentrer sur les petits détails de la survie, s’appuient sur le langage pour documenter, communiquer et chercher un refuge contre la guerre brutale qui est entrée dans sa deuxième année.
Peu après le début de la cinquième et de loin la plus meurtrière des guerres israéliennes contre Gaza, des poèmes écrits par des écrivains de Gaza et de Cisjordanie, ainsi que par des écrivains de la diaspora, ont commencé à apparaître sur les réseaux sociaux et dans des revues littéraires à travers le monde. Des recueils entiers de poèmes ont été publiés en quelques mois seulement, produits à une vitesse sans précédent dans l’histoire tumultueuse de la Palestine ou du Moyen-Orient.
Pourtant, la poésie palestinienne, comme l’affirme à plusieurs reprises la traductrice et universitaire libano-américaine Huda Fakhreddine, n’est pas réservée aux périodes de crise. « Il est honteux que nous n’accordions aux Palestiniens un espace sur la page que lorsqu’ils sont morts ou massacrés », a-t-elle déclaré lors d’une interview au début de l’année.
Il est indéniable que l’année passée a vu une amplification des voix des écrivains palestiniens dans le monde entier, ainsi qu’une pléthore de nouvelles œuvres littéraires palestiniennes disponibles en traduction. « Out of Gaza » (« Hors de Gaza »), édité par Atef Alshaer et Alan Morrison, rassemble de nouveaux poèmes urgents de 15 écrivains palestiniens, la plupart écrits dans la diaspora. Un recueil du poète Nasser Rabah, originaire de Gaza, paraîtra l’année prochaine chez City Light Books. Un collectif récemment formé, Publishers for Palestine, a publié une brochure de poésie palestinienne, « Poems for Palestine », et le poète palestino-américain Fady Joudah a produit un recueil entier de poèmes, écrits pour la plupart en dix semaines l’année dernière, entre octobre et décembre. Son titre muet, « […] » – une ellipse entre parenthèses – nous invite à se concentrer uniquement sur les mots du poème et sur les voix des Palestiniens qu’ils évoquent.
« Pour beaucoup, la Palestine a toujours été un sujet important, et la littérature qui se produit autour de ce sujet reflète l’urgence de la situation pour une grande partie de la population », m’a dit l’éditeur de Joudah, Anthony Anaxagorou, d’Out-Spoken Press. « Si les livres publiés aident à donner aux gens un cadre solide pour conceptualiser la lutte du peuple palestinien, cela ne peut être qu’une bonne chose.
De nombreuses revues ont lancé des éditions spéciales ou du contenu réagissant à la crise dans la bande de Gaza, notamment la Massachusetts Review, Lit Hub, Asymptote, ArabLit Quarterly, Jadaliyya, Protean, Mizna, The Markaz Review et beaucoup d’autres.
Ces publications s’ajoutent aux journaux de guerre écrits, traduits et diffusés en temps réel, comme « Don’t Look Left : A Diary of Genocide » (« Ne regardez pas à gauche : un journal de génocide ») par Atef Abu Saif. Ces journaux ont d’abord été publiés en série dans le New York Times, le Guardian, Le Monde et le Washington Post, avant d’être édités par Comma Press. Plus de 70 personnes – non seulement des écrivains, mais aussi des médecins, des commerçants, des agriculteurs et des employés de bureau – ont contribué à « Daybreak in Gaza » (« L’aube à Gaza »), un nouveau recueil de mémoires, d’essais et de poèmes publié par Saqi Books et rassemblé par les éditeurs Mahmoud Muna et Matthew Teller.
Un certain nombre de ces éditeurs ont été confrontés à des obstacles considérables, surtout lorsque certains acteurs puissants de l’industrie ont refusé de dénoncer les attaques aveugles d’Israël contre des citoyens à Gaza et en Cisjordanie. « Nous nous sommes sentis abandonnés par l’establishment de l’édition dans ce pays », m’a dit Lynn Gaspard, éditrice et directrice administrative de la maison d’édition à Londres Saqi Books.
« La réaction de nos organisations professionnelles et de ceux qui représentent les voix les plus puissantes au Royaume-Uni a été très décevante », a-t-elle poursuivi. « La Société des Auteurs a voté contre la publication d’une déclaration de soutien aux écrivains et traducteurs palestiniens. La Frankfurt Book Fair a annulé la cérémonie de remise de prix de l’écrivaine palestinienne Adania Shibli. »
Les poèmes et les journaux de guerre provenant de Gaza sont traduits dans des dizaines de langues, rejoignant ainsi les demandes mondiales de plus en plus nombreuses appelant à un cessez-le-feu. Pour le poète Muhammad al-Zaqzouq, l’espace narratif offre plus de possibilités qu’une expression poétique sophistiquée, lui permettant ainsi de se concentrer et d’élaborer sur les détails importants et les formes de la souffrance extrême dont il est témoin.
Al-Zaqzouq, 34 ans, père de trois enfants et originaire de Hamad City, un quartier situé au nord-ouest de Khan Younis, a été déplacé plus de 11 fois depuis le début de la guerre l’année dernière. Il lui a fallu cinq mois avant de pouvoir écrire. Il raconte qu’au début, la guerre l’a « paralysé », qu’il était saisi par la terreur, en fuite et perpétuellement angoissé. C’est en apercevant un jour son « visage agonisant » dans un miroir accroché dans l’allée du camp de réfugiés où il était hébergé qu’il s’est remis à écrire.
« L’image reflétée dans le miroir m’a fait prendre conscience de l’ampleur de la mort et de la tragédie que je vivais, et dont je n’avais pas écrit un mot », m’a-t-il dit lors d’un appel Zoom instable. « J’ai compris à ce moment-là qu’il était important de parler au moins de mon visage, qui était en train de mourir, et des visages des autres qui étaient en train de mourir aussi. Et de tout cet période de douleur intense ».
À partir de ce moment-là, vers le 160e jour de la guerre, al-Zaqzouq a commencé à se souvenir de la nuit du 6 octobre 2023 – de comment le calme régnait sans aucun signe de ce qui allait arriver ; de comment tout a basculé à 6 heures du matin et de comment ses enfants se sont réveillés. Le fait de revivre les détails de la guerre depuis a été à la fois traumatisant et thérapeutique mais aussi accablant, puisque la guerre continue toujours autour de lui. Ce qui a commencé comme une sorte de documentation s’est rapidement transformé en obligation : Après avoir appris qu’il était écrivain, des amis et des inconnus le sollicitent pour enregistrer leurs histoires dans l’evolution de son travail.
En 2007, lorsqu’ils ont commencé leur propre voyage littéraire à l’âge de 17 ans, Al-Zaqzouq s’est engagé avec le poète Mahmoud Al-Shaer dans la création d’une communauté d’écrivains – l’année où Israël imposait un blocus sur Gaza, interdisant tout accès à la bande par voie terrestre, maritime et aérienne. Ils voulaient découvrir et explorer l’art de l’écriture et créer une large communauté d’écrivains de même sensibilité, mais les divisions politiques à l’époque ont conduit à la fermeture des associations soutenant les jeunes écrivains. Le besoin de communiquer avec un réseau local, de réciter un poème ou d’organiser une lecture est devenu essentiel pour eux. En 2013, ils ont donc lancé une publication, Majalla 28, pour leur donner l’occasion, ainsi qu’à d’autres jeunes écrivains, de s’engager auprès d’une communauté, au niveau local et plus largement à l’échelle arabe et internationale.
À travers Majalla 28, ils ont remarqué des différences significatives entre les œuvres produites aujourd’hui et celles des générations précédentes. Le langage de ces poètes, a déclaré M. al-Zaqzouq, est très différent de celui des poètes palestiniens qui écrivaient à l’époque de la Nakba de 1948. Les poètes tels que Mahmoud Darwish, Tawfiq Zayyad et Muin Bseiso écrivaient dans un style discursif et documentaire, se concentrant sur des questions liées à la loyauté et à la résistance. Leur forme pouvait être assez combative, un style qui correspondait mieux à l’époque.
Les jeunes poètes d’aujourd’hui, selon al-Zaqzouq, s’engagent toujours dans la cause nationale palestinienne, parfois dans le doute, parfois dans la foi, parfois en s’interrogeant. Mais la plupart du temps, ces nouveaux écrits « se concentrent sur l’individu, sur les préoccupations individuelles, sur leurs propres obsessions personnelles ».
Un tel poème est celui de Batool Abu Akleen, 19 ans, nommée Poète en Résidence 2024 par le magazine Modern Poetry in Translation. Ses premiers vers révèlent une préoccupation de la mort qui prévaut dans une guerre où des milliers de cadavres, entiers ou en morceaux, sont enterrés sans être identifiés dans des fosses communes :
Je veux être enterré avec une pierre tombale en marbre
que mes proches arroseront
où ils déposeront des fleurs,
pleurant quand la nostalgie leur lacère les yeux.
Avant les attaques du 7 octobre 2023 et le début de la guerre à Gaza, Abu Akleen écrivait sur « les caractéristiques d’une ville “, qui était déjà une ” prison ». Aujourd’hui, elle me dit, que presque tous ses poèmes dialoguent avec la mort. « Quand le génocide a commencé, j’ai refusé d’écrire. Je me disais : « Qu’est-ce que mes mots vont changer ? Qui se soucie de cette petite fille de Gaza ? J’avais peur d’écrire, surtout de la poésie. Je ne voulais pas affronter la réalité ».
Les choses ont changé après que son professeur, l’écrivain et militant Refaat Alareer, a été tué lors d’une frappe aérienne israélienne le 6 décembre 2023, un mois après avoir partagé un de ses anciens poèmes, « Si je dois mourir », sur les réseaux sociaux : « Si je dois mourir / tu dois vivre / pour raconter mon histoire ». Abu Akleen a répondu à cet appel à l’action. « J’écris pour raconter son histoire », a-t-elle déclaré. J’écris parce que lorsque j’ai perdu le contact avec mon père, qui se trouve toujours dans le nord de Gaza depuis plus d’un mois, sa première question était : « Est-ce que tu écris toujours ? N’arrête jamais d’écrire nos souffrances ».
Les poètes qui avaient l’habitude d’écrire sur la vie et l’amour se tournent aujourd’hui vers la violence persistante qui imprègne leurs journées. Husam Maarouf, qui a publié deux recueils de poésie et un roman, explique que pendant les quatre guerres précédentes , il écrivait sur la nature, l’amour, la beauté, les femmes, l’âme, les yeux et le désir. « Pour nous, la guerre n’est pas une nouveauté ; elle fait partie de notre tissu, de notre mémoire, de notre formation. Mais elle nous arrivait par intermittence et de manière plus légère que cette guerre d’extermination actuelle », a-t-il déclaré.
La poésie de Maarouf est désormais remplie de « violence, d’autoflagellation, de regret, de défaite, de lamentation, de peur » :
Qui nous apportera l’odeur de la viande grillée ?
Nos ventres sont vides
Qui nous façonnera une clé pour nous délivrer d’autres histoires de morts
Nos ventres sont pleins
« J’écris sur les meurtres, les déceptions, les fins, sur la mort, sur l’impuissance, le siège, le fait d’être coupé du monde, la vie, ma nostalgie de la vie passée, sur les parties de corps démembrées, sur les victimes, les morts, les enfants avec des corps déchiquetés, sur un cadavre qu’il faut enterrer, sur un peuple exterminé, exilé de sa maison, sur ma nostalgie de ma maison ancienne, de ses recoins, de ma bibliothèque ancienne. J’ai perdu tout cela ».
L’art, insiste-t-il, offre une vie parallèle à une personne, un sanctuaire dans lequel elle peut momentanément oublier sa douleur, ce qui est essentiel : « Les gens ont besoin de fenêtres avec des taches de lumière au milieu de l’obscurité, d’un espace vers lequel nous nous dirigeons pour nous rappeler nos vieux souvenirs, qui sont pleins de passion pour la vie. Je ne pense pas que l’on puisse supporter la douleur longtemps ; on aura toujours besoin d’une sorte de cessez-le-feu avec la vie elle-même, avec toute sa douleur et sa tristesse. Je pense que la poésie représente cet espace dans les circonstances les plus sombres ».
C’est tellement important, dit-il, qu’il incite son entourage à lire, autant de la poésie que des romans, comme une forme de survie, un antidote à la « machine de mort ». Il encourage également tout le monde à écrire, que l’on soit à l’aise ou non avec la langue écrite.
« Pour un poète, la poésie est un besoin humain fondamental. Son importance réside dans la réponse qu’elle apporte à un appel intérieur ». La poésie, dit-il, est son moyen de faire face à la tragédie ; c’est le seul moyen de contrôler une tempête intérieure.
Basman Dirawi, qui a récemment vu ses poèmes traduits et publiés sur de multiples plateformes, m’a confié qu’il s’interrogeait constamment sur la « valeur » de la poésie. Mais chaque fois qu’il lit un post d’un habitant de Gaza, il découvre que sa plus grande peur est d’être enregistré comme un chiffre dans les actualités, ou de terminer en morceaux plutôt qu’en cadavre entier.
Le 7 octobre 2023, Dirawi était en Égypte pour une formation en kinésithérapie et il y est toujours. Cette dernière année, il a perdu sa sœur Eman, son mari et leurs quatre enfants, qui ont été « laissés sous les décombres pendant des semaines ». Il a aussi perdu deux de ses meilleurs amis, Issa et Ouda. Son poème « Has Ouda Arrived » (« Ouda, est-il arrivé ? ») fait référence aux morts par leurs noms, mais aussi par leur amour pour la vie, leur donnant ainsi l’occasion de répondre à leur tour :
Mes amis se rencontreront au paradis
Je lèverai les yeux vers le ciel et je demanderai à Issa :
Dis-moi, Ouda est-il arrivé ?
Il plaisante : N’as-tu pas entendu sa voix ?
Dans le même poème, Dirawi fait appel à la poétesse et romancière Hiba Abu Nada, qui a été tuée lors d’une frappe aérienne israélienne sur sa maison le 20 octobre 2023 :
Ils travaillent là-haut, dans le nouveau Gaza
Dans un hôpital qui n’est pas menacé par la destruction
Puis ils chantent, rigolent et plaisantent
Hiba est assise dans un coin, elle écrit un nouveau poème.
Dirawi m’a dit que ses poèmes avaient toujours semblé refléter la vie qu’il avait vécue et son rapport avec elle. « C’est toujours de l’expression “, ajoute-t-il, ” mais maintenant je considère la poésie plus comme une documentation, comme un devoir de raconter les noms et les vies de mon peuple et de faire entendre notre voix ».
Après la mort d’Abu Nada, dans les premières semaines des bombardements sur Gaza, le nombre de poèmes traduits et partagés dans le monde entier a multiplié. Fakhreddine, qui enseigne et traduit la poésie arabe depuis des années, est responsable de dizaines de nouvelles traductions de poèmes palestiniens. Le premier poème qu’elle a traduit après le début de la guerre contre Gaza était « I grant you refuge » par Abu Nada, pour le magazine Protean. Le magazine a émergé d’un état de « panique et d’horreur absolue ». Fakhreddine n’avait aucune idée d’où cela l’amènerait: « Je n’avais pas de projet », elle m’a dit, « Rien n’était prévu.
Ses autres traductions sont des poèmes écrits par ses amis. « Nous sommes tous horrifiés. Ils ont partagé les poèmes qu’ils écrivaient pendant que le génocide se déroulait sous nos yeux et je me retrouve à traduire en lisant. La traduction est souvent ma façon de lire. C’est ma tentative de dire ce que le poème dit, un moyen, une tentative de m’insérer dans ce monde, surtout quand je sens que le poème communique quelque chose que je ressens et que j’ai envie de communiquer aussi.
L’impact de la traduction dans l’opposition mondiale à la guerre actuelle a été souligné par l’écrivain palestinien Ibrahim Nasrallah lors d’une conversation avec Fakhreddine (qui a traduit quatre de ses poèmes pour une brochure illustrée publiée cet automne par World Poetry). « Je n’ai jamais vu la traduction de la littérature écrite pour et sur la Palestine aussi active et percutante que dans ces derniers mois ».
Ces poèmes ont été traduits en plusieurs langues et présentés lors des événements anti-guerre organisés en solidarité avec Gaza dans des universités, des musées et d’autres espaces similaires à travers le monde. Cela signifie que dans ce monde, au-delà du mur, il y a encore des gens qui veulent entendre nos voix avec courage, avec des consciences vives et avec bravoure ».
Et dans une guerre où le contrôle est rapidement perdu, la langue, selon la poétesse Doha Kahlout, est un pouvoir, et les mots deviennent une arme importante. Kahlout m’a écrit depuis son lieu de résidence près du point de passage de Rafah, à Gaza, où elle attend de pouvoir se rendre en Égypte. Elle m’a expliqué qu’avant le 7 octobre, ses poèmes se concentraient sur son expérience personnelle, sur la recherche de soi et sur les différents moyens de la définir. Sa voix fluctuait et sa vision d’elle-même était « confuse ». Mais aujourd’hui, alors que la guerre transforme tout le langage, toutes les significations et tous les mots, son objectif s’est orienté vers l’extérieur : « Je me préoccupe désormais de ce que cela signifie d’être humain, et de rechercher un sens, qui a été en grande partie perdu ». Cette recherche, dit-elle, est difficile en temps de guerre. « Ni le lieu ni le temps ne nous permet de rassembler la force de notre esprit et de notre langue. Tout se produit avec difficulté.
Elle m’a envoyé un nouveau poème qu’elle a écrit, « After we became 504 » (« Après que nous sommes devenus 504 »), en référence au numéro que l’Agence internationale de secours a attribué à sa famille dans la salle de déplacement où elle vit avec 20 autres personnes.
Les rêves coulaient avec nos larmes, et nous consacrions nos journées à courir,
dans l’éveil, le cœur est piqué par l’amertume, et le sommeil se noie
dans le sucre des souvenirs et de la nostalgie, le soleil des tâches immédiates
se lève au-dessus de votre rêve, vous gémissez, vous pleurez, vous vous battez
pour rester une personne que l’on reconnaît
En rassemblant toute la nouvelle poésie provenant de et à propos de Gaza cette dernière année, certains schémas se dessinent. On trouve de la poésie de témoignage, de documentation, de manifestation, des poèmes qui font référence aux actualités ou qui décrivent des pertes tragiques. De nombreux poèmes, comme celui d’Abu Akleen, détaillent les procédures d’enterrement, afin de maintenir un certain contrôle. D’autres, comme « We are in the heights now » (« Nous sommes dans le ciel maintenant ») de Hiba Abu Nada, envisagent une vie paisible après la mort, située dans « une nouvelle Gaza au paradis ». Il y a des poèmes de nostalgie, des poèmes qui présentent le contexte politique et historique, de patrie et de l’apatride, de l’exil, de l’extermination. Il y a des poèmes qui pointent du doigt, mais il y en a d’autres qui invoquent l’humour et la musique, qui sont ludiques, qui honorent une culture riche et ancienne, qui confrontent ceux qui la menacent d’effacement.
« Il viendra un temps », a déclaré Fady Joudah en 2013 lors d’un podcast avec le poète et romancier palestinien Ghassan Zaqtan, « où la scène mondiale commencera à comprendre pas seulement la poésie palestinienne, mais la littérature palestinienne au sens large, comme quelque chose qui a existé, existe encore et continuera à exister tant que la situation tragique persistera … La condition palestinienne n’aborde pas seulement le concept de l’apatride, mais aussi de la fragilité et la quasi-fabrication du concept de l’identité humaine dans l’ère de l’État-nation. »
Mais le rôle de la poésie et de la littérature palestiniennes en ce moment, alors que la guerre entre dans sa deuxième année et fait des dizaines de milliers de morts, ne peut détourner l’attention des appels au cessez-le-feu. « Publier des poètes de Gaza ne suffit pas. Cela n’arrêtera pas les massacres », a déclaré M. Fakhreddine. « La seule position morale et acceptable en ce moment est de dire sans équivoque que ceci est un génocide et de faire tout ce qu’on peut pour l’arrêter. »
Pour ceux d’entre nous qui sont à l’extérieur, il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire. Pour les habitants de Gaza, la poésie est parfois le seul outil à leur disposition.
« Me voici maintenant », écrit Mahmoud Al-Shaer dans un nouveau poème qu’il m’a envoyé, à peine quelques semaines avant que lui et sa femme ne soient blessés lors d’une frappe aérienne. « Me voici maintenant / Piégé dans le champ de bataille / Le sol autour de moi est une fosse potentielle pour les ceintures de feu qui surgissent ».
« L’écriture est une occasion de survivre et de créer du sens », ont écrit al-Zaqzouq et Al-Shaer dans leur introduction à une édition du magazine ArabLit Quarterly, consacrée à Gaza et publiée ce printemps. « Lorsque tous les horizons nous sont interdits et que nos questions se trouvent sans réponse, nous découvrons dans l’écriture la possibilité de créer une valeur qui s’oppose à la dévastation de masse ; c’est notre chance de vivre et de donner un sens à notre vie, de comprendre ce que nous vivons et de briser l’isolement, avec des voix qui souhaitent résonner parmi d’autres dans le monde entier ».
Abu Akleen partageait ce sentiment lors de notre conversation : « Nous écrivons parce que nous sommes incapables faire autre chose », a-t-elle déclaré. « C’est notre façon de dire : « Nous sommes là ». Cela nous aide à sentir que nous faisons autre chose que de laisser le chagrin dévorer notre âme ».
Nashwa Nasreldin est une écrivaine, éditrice et traductrice de littérature arabe.
Source : New Lines Magazine
Traduction : SP pour l’Agence Média Palestine