L’exploitation de la main-d’œuvre palestinienne par Israël : Une stratégie d’effacement 

Depuis le début du génocide à Gaza, les ouvriers palestiniens travaillant sur le marché israélien sont devenus une cible privilégiée pour le Cabinet des affaires civiles et économiques d’Israël et la Commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset. Parmi une série de décisions prises par le gouvernement israélien après le 7 octobre 2023, figure la suppression des permis de travail de plus de 140 000 travailleurs palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. En outre, des milliers de ces travailleurs ont été illégalement détenus et transférés dans des centres de détention. Dans le même temps, le gouvernement israélien a entamé des discussions officielles avec divers gouvernements asiatiques en vue de recruter des milliers de travailleurs étrangers pour remplacer la main-d’œuvre palestinienne. 

Par Ihab Maharmeh, le 5 janv. 2025 

La présente note d’analyse politique replace les actions actuelles du gouvernement israélien contre les travailleurs palestiniens dans le contexte historique plus large du rapport entre le projet sioniste de colonisation et la main-d’œuvre palestinienne. Cette note démontre un schéma répétitif par lequel Israël recrute, exploite, expulse ou remplace la main-d’œuvre palestinienne en fonction de ses besoins. Cette approche calculée, comme l’affirme cet article, est conçue pour démanteler de façon systématique les structures politiques, économiques et sociales palestiniennes, pour finalement atteindre l’objectif de l’effacement des Palestiniens. 

L’approche historique d’Israël à l’égard de la main-d’œuvre palestinienne 

Les premières exclusions sionistes 

Dès le début du projet de colonisation en Palestine, les travailleurs palestiniens ont été une préoccupation importante pour les dirigeants sionistes. Si conquête de la terre a toujours été au cœur des efforts sionistes, le régime colonial a intrinsèquement lié le travail à sa stratégie de dépossession. En effet, le contrôle de la main-d’œuvre palestinienne signifiait que les sionistes exerçaient une influence sur les moyens de subsistance, la durabilité et la présence des Palestiniens sur la terre. 

Le sionisme travailliste (Labor Zionism) était l’idéologie dominante dans les premières années du projet sioniste. Ses partisans préconisaient l’exclusion des travailleurs palestiniens afin de créer la main-d’œuvre juive nécessaire à l’établissement d’un État juif. Cherchant à combler le fossé entre le socialisme international et le nationalisme juif, les sionistes travaillistes usaient de slogans tels que « Conquête du travail » et « Travail hébraïque », appelant les Juifs européens à construire une économie exclusivement juive. 

Cette idéologie a culminé avec la création de la fédération syndicale nationale d’Israël, la Histadrout, en 1920. Dès sa première conférence à Haïfa, les fondateurs du syndicat – dont David Ben-Gourion, le premier Premier ministre israélien – n’ont pas caché leur intention d’ exclure les travailleurs palestiniens au nom de la construction d’une société exclusivement juive en Palestine et de la priorité donnée aux intérêts nationaux sur le profit. 

Cependant, avec l’augmentation de la migration juive en Palestine dans les années 1930 et 1940, la croissance de l’économie des colons a nécessité le recrutement d’une main-d’œuvre plus importante. En conséquence, les colons juifs ont commencé à employer des travailleurs palestiniens à des taux plus élevés, détournant ainsi les Palestiniens des industries locales. Au cours de cette période, les sionistes ont tenté d’exclure et de réintégrer les travailleurs palestiniens au besoin, de s’emparer des terres palestiniennes et, par conséquent, de déplacer les agriculteurs palestiniens, les obligeant à chercher des opportunités de travail ailleurs. Le résultat inévitable de cette pratique a été le déclin des secteurs agricoles et industriels palestiniens jusqu’au désastre total de la Nakba de 1948. 

De la Nakba à Oslo 

Les milices sionistes ont expulsé plus de 700 000 Palestiniens pendant la Nakba. Si le régime israélien a accordé la citoyenneté aux quelque 150 000 Palestiniens restés à l’intérieur de ses frontières, il les a dépouillés de leurs terres et les a soumis à une série de lois discriminatoires visant à renforcer leur assujettissement politique et économique. 

Au milieu des années 1960, les Palestiniens des territoires de 1948 représentaient une part importante de la main-d’œuvre israélienne. N’étant plus considérés comme une menace démographique, ils travaillaient principalement dans les secteurs de l’agriculture, de la construction et de l’industrie manufacturière, à des postes moins bien rémunérés. Cette politique de l’emploi a servi la politique israélienne d’endiguement : utiliser la main-d’œuvre palestinienne pour les besoins de la production tout en garantissant leur appauvrissement continu systémique. 

Après la guerre de 1967, Israël a étendu l’octroi de permis de travail aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Comme pour les citoyens palestiniens d’Israël, le régime israélien a voulu utiliser ces permis comme moyen de contrecarrer la résistance populaire croissante. Cette stratégie a encore accru la dépendance des Palestiniens à l’égard de l’économie israélienne, tandis que les colons israéliens continuaient à s’emparer des terres et des ressources naturelles palestiniennes. 

Ainsi, cette période post-Nakba a marqué une rupture avec la politique sioniste initiale d’exclusion. Ici, un système d’inclusion contrôlée dans le marché du travail israélien a donné à l’État colonial l’occasion d’assujettir et de commander les Palestiniens tout en sapant les secteurs économiques palestiniens locaux et la possibilité d’autosuffisance. Les travailleurs palestiniens se sont retrouvés, comme prévu et contre leur gré, comme une main-d’œuvre de réserve à bas salaire au service du même régime qui avait procédé au nettoyage ethnique de leur patrie historique. Cette politique coloniale du travail s’est poursuivie jusqu’à la première Intifada, lorsqu’Israël a imposé de sévères restrictions à la population indigène et a commencé à remplacer les travailleurs palestiniens par des immigrants de l’ex-Union soviétique. 

Oslo et la seconde Intifada 

Dans le sillage de la première Intifada, les accords d’Oslo promettaient aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza le statut d’État. L’accord n’a cependant pas mis un terme aux politiques de dépossession d’Israël en matière de travail, lesquelles ont continué à entraver la capacité du peuple palestinien à devenir économiquement indépendant. En effet, en maintenant un contrôle de facto sur l’économie et les ressources palestiniennes, le régime israélien a pu continuer à soumettre la main-d’œuvre palestinienne. En 1999, près de 23 % de la main-d’œuvre palestinienne totale de Cisjordanie et de Gaza travaillait dans l’économie israélienne. Ce taux est toutefois tombé à moins de 10 % en 2005, après que l’État israélien a appliqué des mesures de punition collective contre la population autochtone lors de la deuxième Intifada.  

Après la seconde Intifada, Israël a intensifié la « bantoustanisation » de la Cisjordanie, en annexant davantage de terres, en érigeant plus de checkpoints et en construisant le mur d’apartheid. Cette stratégie visait à réduire la présence palestinienne et à démanteler leur capacité à rester sur leurs terres, mais elle s’inscrivait également dans le cadre d’un projet visant à détruire la possibilité pour les Palestiniens de se développer dans les domaines de l’agriculture, de l’industrie et du commerce. Ces mesures ont créé un écart structurel important entre les coûts de production des économies palestinienne et israélienne, au détriment de la première. Cela a également conduit au démantèlement progressif de nombreux secteurs productifs et agricoles palestiniens. 

La minimisation des conflits et la « sécuritisation » 

Au cours de la dernière décennie, les dirigeants israéliens ont souligné que la résistance palestinienne croissante constituait une menace fondamentale pour la stabilité de l’État colonial. En conséquence, ils ont multiplié les opérations sécuritaires et déployé des mesures économiques pour surveiller et pacifier la lutte palestinienne. 

Cette stratégie comprenait, une fois de plus, une augmentation notable des permis de travail délivrés aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. De 2012 à fin 2023, le nombre de travailleurs palestiniens dans l’économie israélienne est passé d’environ 77 000 à environ 178 000, aux côtés d’environ 40 000 travailleurs informels. En 2022, le gouvernement israélien a autorisé les travailleurs de Gaza à réintégrer son économie pour la première fois depuis 2006. Pendant ce temps, en Cisjordanie, un groupe influent au sein de l’élite palestinienne a défendu des politiques néolibérales qui ont eu pour effet de restreindre l’accès de la population aux opportunités économiques. Dans ces circonstances, de nombreux Palestiniens se sont tournés vers le travail dans les colonies israéliennes afin d’améliorer leurs conditions économiques et sociales désastreuses. 

La stratégie israélienne mise à nu 

Ce rappel historique révèle les quatre principales tactiques utilisées par Israël pour créer et conserver une main-d’œuvre palestinienne dépendante : 

  • – Premièrement, employer des travailleurs palestiniens en fonction des besoins pour combler ses propres lacunes en matière de main-d’œuvre, en les reléguant principalement à des postes peu rémunérés. 
  • – Deuxièmement, limiter l’emploi de Palestiniens aux secteurs de l’agriculture, la fabrication et la construction afin de garantir un déficit de main-d’œuvre dans les secteurs palestiniens correspondants, vitaux pour l’autosuffisance économique. 
  • – Troisièmement, poursuivre l’expansion des colonies illégales en Cisjordanie, avec comme effet le développement de l’économie israélienne tout en détruisant l’industrie palestinienne du fait des spoliations de terres. 
  • – Quatrièmement, révoquer les permis de travail lorsque le régime israélien n’a plus besoin de la main-d’œuvre palestinienne ou comme moyen de punition collective, en renvoyant les travailleurs dans les secteurs palestiniens que le gouvernement colonial a déjà épuisés par les tactiques ci-dessus et en les remplaçant par de la main-d’œuvre étrangère. 

À court terme, la stratégie d’Israël se traduit par une main-d’œuvre palestinienne sacrifiable, remplaçable et déshumanisée, largement dépendante du marché israélien, ainsi que par une économie palestinienne en déclin. À long terme, elle repose sur un objectif principal qui a un impact sur presque toutes les composantes de la vie palestinienne : rendre la vie quotidienne si insupportable que les Palestiniens sont obligés de quitter leur terre natale. Le but est, comme toujours : l’effacement des Palestiniens et l’expansion juive

Le génocide de Gaza : Le retour d’Israël à une stratégie familière 

Avec le début du génocide israélien à Gaza, le régime colonial est revenu à sa tactique bien connue de punition collective contre les travailleurs palestiniens, à une échelle bien plus importante. 

Outre la suppression des permis de travail des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, le régime israélien a arrêté arbitrairement environ 10 300 ouvriers de Gaza immédiatement après le 7 octobre, les transférant dans des prisons et des centres de détention israéliens tout en refusant de divulguer leurs noms ou leur localisation. Parmi ces travailleurs, le gouvernement israélien en a libéré 3 200 en l’espace d’un mois et en a déporté 6 441 en Cisjordanie, tandis qu’environ 1 000 d’entre eux sont toujours portés disparus. Au début du mois de novembre 2023, les soldats israéliens ont renvoyé de force des milliers de ces travailleurs à Gaza après les avoir dépouillés de leurs biens. Comme pour les travailleurs de Gaza, les autorités israéliennes ont également arrêté et torturé des ouvriers palestiniens de Cisjordanie pendant cette période. Beaucoup d’autres ont vu leurs salaires impayés retenus. 

Le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, et le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir ont lancé une bataille contre les travailleurs palestiniens à la suite de l’opération du 7 octobre. Ensemble, ils ont dépeint les ouvriers palestiniens comme des ennemis de l’intérieur et des menaces pour la stabilité d’Israël. Le ministre israélien de l’économie, Nir Barkat, a également appelé à réduire la dépendance d’Israël à l’égard de la main-d’œuvre palestinienne. Il a donc plaidé pour une augmentation de la main-d’œuvre étrangère en remplacement des Palestiniens, en relançant des projets pour faire venir des dizaines de milliers d’ouvriers d’autres pays, notamment du Sri Lanka, de Chine, d’Inde et de Thaïlande.  

La proposition de Barkat révèle une stratégie plus large visant à mettre les Palestiniens à l’écart sur le plan économique, intensifiant ainsi leur marginalisation. Cette stratégie de l’exclusion économique est renforcée par les tentatives continues d’Israël pour aggraver la situation financière désastreuse à laquelle sont confrontés les Palestiniens. Partant, nombre d’entre eux doivent choisir entre les dangereux itinéraires de contrebande pour du travail clandestin en Israël ou des opportunités d’emploi à l’étranger. 

Les effets de ces politiques sur les travailleurs palestiniens sont considérables. L’emploi en Israël est depuis longtemps un pilier essentiel de l’économie palestinienne. Les travailleurs palestiniens de l’économie israélienne contribuent à hauteur de plus de 380 millions de dollars par mois aux marchés locaux, leurs salaires représentant souvent une bouée de sauvetage pour les familles. Les travailleurs palestiniens gagnent environ 81 dollars par jour sur le marché israélien, soit plus du double du salaire journalier moyen de 31 dollars en Cisjordanie. La perte de ces salaires est plus qu’une épreuve personnelle pour les individus et les familles : elle menace de déstabiliser l’ensemble de l’économie palestinienne en mettant en péril plus de 20 % du PIB annuel

L’impact économique plus large est déjà visible : la révocation massive des permis de travail et l’expulsion des travailleurs ont perturbé les secteurs essentiels et les services commerciaux. Le chômage a augmenté de façon dramatique, avec plus de 306 000 emplois perdus, ce qui équivaut à plus d’un tiers de l’emploi total en Cisjordanie. Le taux de chômage parmi les personnes activement à la recherche d’un emploi a grimpé en flèche pour atteindre 32 %, contre 13 % au troisième trimestre 2023. Les niveaux de pauvreté ont presque doublé, passant de 12 % à 28 %, ce qui exacerbe la crise socio-économique. 

L’Autorité palestinienne a été particulièrement inefficace pour répondre à cette urgence. En décembre 2023, l’ancien Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh a exhorté les travailleurs à retourner à l’agriculture comme source alternative de revenus – une suggestion accueillie avec moquerie et stupéfaction par beaucoup. Ce conseil sonne creux dans un contexte où les colons continuent de s’emparer des terres palestiniennes, limitant encore plus les opportunités pour les agriculteurs palestiniens. En outre, le programme « Bader », une initiative conjointe de l’Autorité palestinienne et d’autres organismes, vise à fournir des prêts sans intérêt aux travailleurs déplacés qui souhaitent créer de petites entreprises. Toutefois, le pouvoir d’achat limité des Palestiniens et le déclin du secteur privé, qui a connu une délocalisation de 42 % des installations et une réduction de la main-d’œuvre, nuisent gravement à l’efficacité du programme. Ces initiatives sont loin de répondre à la crise économique structurelle plus large et l’absence d’alternatives pertinentes ne fait qu’accentuer le sentiment d’abandon ressenti par le peuple palestinien. 

La campagne d’Israël contre les travailleurs palestiniens, en particulier au lendemain du 7 octobre, fait partie d’une stratégie plus large de guerre économique conçue pour affaiblir la résistance palestinienne en plongeant les gens dans la pauvreté et dans un état de totale privation de leurs droits. Le gouvernement israélien cherche à contrôler la vie des Palestiniens en sapant leur capacité à subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leurs familles, en utilisant la vulnérabilité économique comme outil de coercition. Cette instrumentalisation de la pauvreté n’affecte pas seulement les Palestiniens, elle a aussi de profondes conséquences sur l’économie israélienne. 

Avec l’expulsion et la restriction de la main-d’œuvre palestinienne, l’économie israélienne a déjà commencé à en ressentir les effets. On estime que l’économie israélienne perd plus de 800 millions de dollars chaque mois en raison de la pénurie de main-d’œuvre dans les secteurs de la construction, de l’industrie et de l’agriculture. La perte soudaine d’ouvriers palestiniens a entraîné des retards dans des dizaines de projets de construction, en particulier dans le secteur du logement, ce qui a fait grimper les coûts et contribué à l’inflation. Plusieurs entreprises de construction israéliennes, qui ont perdu une grande partie de leur main-d’œuvre, se sont alarmées de l’impact à long terme de ces pénuries, en particulier à la lumière des tentatives infructueuses de remplacer les travailleurs palestiniens par de la main-d’œuvre israélienne ou étrangère. Le gel des projets de construction entraînera probablement une forte augmentation des prix des logements dans les années à venir. 

Pour autant, le gouvernement israélien continue de créer un environnement hautement militarisé pour les travailleurs palestiniens. Fin octobre 2023, il n’a autorisé qu’un petit nombre de travailleurs à reprendre leur emploi dans les colonies israéliennes de Cisjordanie, mais les conditions auxquelles ils étaient confrontés étaient encore plus désastreuses qu’auparavant. Ces ouvriers subissent désormais de plus grandes humiliations aux checkpoints militaires, où les soldats israéliens les soumettent à des menaces et à des violences verbales. Les lieux de travail sont devenus des zones fortement militarisées, caractérisées par une surveillance accrue et la présence d’employeurs armés. De nombreux travailleurs déclarent être victimes d’un harcèlement systématique, notamment de fouilles au détecteur de métaux dans les usines et les fermes. Les incidents violents sont également de plus en plus fréquents, les colons vandalisant souvent les voitures des ouvriers dans des zones industrielles comme Mishor Adumim. 

Pour ne rien arranger, Netanyahu a approuvé un programme pilote en mars 2024 pour permettre à un nombre limité de travailleurs de Cisjordanie de revenir dans le secteur de la construction en Israël. Toutefois, ce plan comprend diverses nouvelles mesures de sécurité : vérifications complètes des antécédents des travailleurs et de leurs familles, contrôles intensifs aux checkpoints et bracelets électroniques pour suivre leurs mouvements. Les travailleurs doivent également s’enregistrer électroniquement chaque jour à l’entrée et à la sortie tandis qu’une sécurité armée surveille lourdement leur lieu de travail. Ces mesures renforcent l’idée que les Palestiniens ne sont pas dignes de confiance et que leur présence doit être surveillée et contrôlée en permanence. 

La militarisation du lieu de travail est une stratégie délibérée visant à rendre la vie insupportable aux Palestiniens. Les autorités israéliennes transforment effectivement le travail quotidien en une forme de guerre psychologique, avec l’intention de forcer les travailleurs à abandonner leurs terres et leurs ressources et à partir. En d’autres termes, les mesures de sécurité appliquées aux ouvriers créent une atmosphère de peur constante, conçue non seulement pour humilier et contrôler, mais aussi pour contraindre les travailleurs palestiniens à chercher des alternatives en dehors de la Palestine. Le ciblage des travailleurs palestiniens, en particulier dans le contexte du génocide en cours, fait donc partie d’une stratégie coloniale plus large et mise en place depuis le début du 20e siècle, lorsque les colons sionistes ont cherché à marginaliser et à exclure les Palestiniens de la main-d’œuvre. Aujourd’hui, l’attaque d’Israël contre la main-d’œuvre palestinienne n’est pas seulement une question économique. Elle est une question existentielle et un élément central des stratégies du régime pour effacer les Palestiniens. 

L’expulsion et la marginalisation des travailleurs palestiniens, l’érosion de leur indépendance économique et les traitements dégradants qu’ils subissent sur leur lieu de travail sont au cœur de l’objectif plus large de faire avancer le projet colonial israélien. Le régime israélien a conçu cette stratégie pour créer des conditions dans lesquelles les Palestiniens, rendus incapables de subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille, sont amenés à fuir leur patrie à la recherche d’une vie meilleure. Dans ce contexte, s’en prendre à la main-d’œuvre palestinienne représente plus qu’une simple tactique économique : il s’agit d’un projet délibéré pour briser la capacité de résistance des Palestiniens et pour les expulser de leur terre. 

Recommandations 

Pour combattre efficacement la réalité actuelle – où la main-d’œuvre palestinienne est au cœur de la stratégie d’effacement des autochtones – et pour remettre au premier plan la question de la libération face à la domination coloniale, plusieurs mesures doivent être suivies : 

  • Les discussions politiques et universitaires sur le rôle de la main-d’œuvre palestinienne dans l’économie israélienne doivent s’éloigner des analyses à court terme pour se concentrer sur l’objectif global du nettoyage ethnique des Palestiniens par Israël. Tout en reconnaissant que le régime israélien exploite systématiquement la main-d’œuvre palestinienne dans le cadre de la stratégie de colonisation de peuplement, ces discussions doivent interroger les profits tirés de cette exploitation et son rôle dans le maintien du projet colonial. En outre, les analystes devraient examiner de manière critique l’intersection entre le néolibéralisme et le colonialisme de peuplement qui, ensemble, soumettent les travailleurs palestiniens à un double régime d’oppression et d’exploitation. 
  • L’organisation de la solidarité devrait s’appuyer sur les importants travaux du mouvement ouvrier international depuis le début du génocide. Des déclarations, des manifestations et des actions en justice peuvent jeter les bases d’une prise en compte des droits des travailleurs palestiniens et de la recherche de solutions politiques, économiques, sociales et juridiques qui protègent ces droits, maintiennent leur présence sur la terre et offrent des alternatives économiques en l’absence d’action de la part des dirigeants palestiniens, régionaux et internationaux. 
  • La société palestinienne, en lien avec les organisations et mouvements syndicaux internationaux, devrait donner aux travailleurs palestiniens les moyens de résister et de se libérer de la domination économique, politique, coloniale et néolibérale par le biais de stratégies innovantes et non conventionnelles. Ces efforts pourraient inclure le renforcement des coopératives, le lancement d’initiatives locales, la promotion de pratiques agricoles durables et innovantes, l’expansion d’économies sociales fondées sur la solidarité et le recours à la technologie pour développer des plateformes économiques génératrices de revenus pour le peuple palestinien.  

Ihab Maharmeh est chercheur au Centre arabe de recherche et d’études politiques de Doha et secrétaire de rédaction de Siyasat Arabiya. Il a travaillé à l’université de Birzeit, où il a obtenu une licence en administration publique et une maîtrise en études internationales au centre d’études internationales Ibrahim Abu-Lughod. Il est également titulaire d’une maîtrise en politique publique et coopération internationale de l’Institut de Doha pour les études supérieures. Il a publié plusieurs articles de recherche dans des revues à comité de lecture sur le colonialisme de peuplement, les déplacements forcés, les travailleurs palestiniens en Israël et dans les colonies, et la résistance palestinienne au quotidien. 

Traduction : DD pour l’Agence Média Palestine

Source : Al-Shabaka

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