Les habitants du camp de réfugiés de Jabalia racontent leurs atroces souffrances lors de la dernière invasion israélienne dans le nord de la bande de Gaza.
Par Noor Alyacoubi, le 9 janvier 2025
Dans le nord de Gaza, où les checkpoints israéliens sont devenus des lieux de de terreur et d’humiliation, chacun craint de se retrouver face à face avec un soldat israélien. Devoir se déshabiller sous le regard d’un sniper est un cauchemar qui est devenue une réalité quotidienne pour les hommes palestiniens. Pour Mahmoud, âgé de 24 ans, et son père Osama, âgé de 50 ans, ce moment est arrivé après avoir enduré plus de 450 jours de famine, de bombardements incessants et de déplacements forcés répétés.
« Lorsque je me suis approché du checkpoint, un soldat israélien m’a crié dessus, a attrapé mon bonnet et l’a jeté par terre. Je suis resté calme. Il fallait que je reste calme, conscient que toute réaction pouvait mettre ma vie en péril. ». Mahmoud a raconté à Mondoweiss le moment déchirant, au mois de novembre, de son déplacement forcé depuis Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza.
Leur calvaire résulte de la stratégie systématique israélienne visant à vider Jabalia, un camp de réfugiés densément peuplé au nord de Gaza. Jadis une communauté animée et vivante, Jabalia est devenue l’épicentre de la dévastation de la guerre israélienne contre Gaza, ses rues réduites à l’état de ruines et ses habitants obligés de fuir. Depuis le 5 octobre 2024, lorsque les forces israéliennes ont opéré une percée de grande ampleur dans le nord de la bande de Gaza, des milliers de familles comme celle de Mahmoud, ont été confrontées à ce choix dramatique : tout laisser derrière elles ou risquer la mort.
Pour Mahmoud, partir n’était pas seulement perdre sa maison, c’était aussi renoncer à sa dignité. Son périple jusqu’au checkpoint a été la conclusion de semaines à survivre sous les bombardements incessants avec des provisions toujours plus rares et nulle part où se cacher. « Ils ont détruit nos vies et nous ont arraché notre humanité », a-t-il déclaré.
« C’est la fin »
Depuis le début de l’attaque de Jabalia, Osama, un habitant du camp depuis des années, pensait que l’objectif ultime de l’armée israélienne était de vider le nord de la bande de Gaza des Palestiniens. « Il savait que nous ne pourrions jamais revenir », raconte son fils Mahmoud. « Et il refusait de leur faciliter la tâche. »
Malgré sa détermination à rester, Oussama a préféré mettre sa famille en sécurité. Le 7 octobre 2024 – un an après le début de la guerre et deux jours seulement après l’intensification de l’attaque israélienne sur Jabalia – il a recommandé à son épouse, ses deux fils cadets, sa fille aînée et ses trois petits-enfants de fuir vers l’ouest de Gaza City.
Mahmoud, son fils aîné, a refusé de partir. « J’ai convenu avec mon petit frère qu’il irait avec ma mère et que je resterais avec mon père », explique-t-il. « Je ne pouvais pas le laisser seul. »
Le duo a quitté leur appartement de quatre étages pour s’installer au rez-de-chaussée abandonné de la grand-mère de Mahmoud, dans l’espoir d’y être davantage protégé contre les bombardements israéliens permanents. La sécurité, cependant, n’y était qu’illusion. Les bombes pleuvaient sans discontinuer, l’artillerie tonnait dans les rues, et sortir signifiait risquer d’être tué par un sniper ou un quadcopter. Les réserves s’amenuisaient. « Nous entendions des blessés appeler à l’aide, mais personne n’osait sortir dans la rue, par crainte des tirs de snipers », se souvient Mahmoud.
Alors que la situation s’aggravait et que les tanks avançaient sous couvert des tirs d’artillerie lourde, Oussama et Mahmoud ont fui leur maison le 15 octobre pour s’abriter dans la maison abandonnée des beaux-parents d’Oussama, dans la localité nommée « Projet Beit Lahia ». « Nous avons déménagé dans un autre quartier de Jabalia, en évitant les tanks et sous les bombardements constants », se souvient Mahmoud. Bien que la zone était légèrement éloignée des attaques immédiates, le danger était omniprésent.
Le père et le fils comptaient sur les rations qu’ils s’étaient procurées avant l’escalade armée pour survivre. Les marchés étaient fermés et l’aide humanitaire était obstruée. Ils n’avaient que des produits de première nécessité : du riz, des haricots et des conserves. Cuisiner la journée et rester silencieux la nuit est devenu leur quotidien. « La nuit, les seuls bruits étaient ceux des explosions », raconte Mahmoud. L’eau représentait un défi encore plus grand. Heureusement, Oussama avait fait des réserves d’eau dans la maison de ses beaux-parents, ce qui les a sauvés, même si chaque goutte était comptée.
Mahmoud et Oussama ont dû à nouveau évacuer et dormir dehors dans la nuit froide, sans couverture, ssans savoir où aller. « Ces jours ont été les plus difficiles de ma vie, je m’endormais en me demandant si j’allais me réveiller ».
Après plus de 45 jours de bombardements israéliens incessants, Mahmoud et Oussama n’ont eu d’autre choix que de quitter Jabalia. La communauté de Jabalia, autrefois très animée, était désormais disloquée, dévastée, anéantie. De nombreux voisins avaient fui ou avaient été tués. Ceux qui étaient restés se cachaient parmi les décombres, partageant le peu qu’ils avaient quand ils le pouvaient.« Nous sommes tous devenus des fantômes dans notre propre quartier », a déclaré Mahmoud.« Chaque bruit, chaque mouvement semblait pouvoir être le dernier. »
« Nos voisins nous ont encouragés. Ils prévoyaient également de partir le lendemain », a déclaré Mahmoud. « Ils avaient des mères et des épouses et nous voulions leur donner nos téléphones et nos vêtements pour qu’ils puissent traverser », car les soldats israéliens étaient moins susceptibles de fouiller les femmes et de voler leurs affaires.
« Nous avons tout laissé derrière nous : notre maison, nos affaires et, le plus triste, c’était les machines à coudre de mon père, qui étaient notre gagne-pain.
Le 20 novembre, Mahmoud et Oussama ont traversé les allées du camp de Jabalia pour se rendre au checkpoint militaire israélien situé le long de la rue Salah al-Din, la principale route reliant le nord et le sud de la bande de Gaza. Le poste de contrôle, gardé par des soldats israéliens, était un lieu de chaos et d’humiliation.
Les soldats ont ordonné aux hommes de se déshabiller pour subir des fouilles corporelles. « J’ai fait la queue, nu, avec 300 hommes, en brandissant ma carte d’identité », raconte Mahmoud.
Pendant six heures, Mahmoud et Osama sont restés dans le froid, encerclés de tanks, la poussière dans leurs yeux et leurs poumons. Les 300 hommes n’avaient que 20 litres d’eau à se partager. Certains détenus ont été arbitrairement battus ou arrêtés, tandis que d’autres n’ont pas été autorisés à emporter quoi que ce soit avec eux lorsqu’ils sont repartis, pas même leurs vêtements.
À ce moment-là, je me suis dit : ‘C’est la fin’ », raconte Mahmoud. Mais son père et lui ont fait partie des rares personnes à avoir pu traverser. « En nous éloignant, j’ai eu l’impression de naître à nouveau », se souvient Mahmoud.
Bien qu’ils aient reçu l’ordre de continuer à marcher, Mahmoud et Oussama ont remis leurs vêtements lorsque les soldats ne les regardaient pas et ont continué à pied pendant 5 kilomètres et demi. Puis, ils ont enfin retrouvé leur famille à l’ouest de Gaza, épuisés et complètement sidérés d’avoir survécu.
Des familles séparées
Cependant, le destin de Mahmoud et d’Oussama n’était pas celui de tous. Parmi les personnes détenues au checkpoint se trouvait l’un de leurs voisins, le tailleur Abu Mohammed, âgé de 60 ans.
Pendant des semaines, sa femme, Umm Mohammed, et leur famille sont restées dans leur maison près de l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahia, refusant de partir. « Où pourrions-nous aller ? demande Umm Mohammed. « Partout à Gaza, c’est dangereux »
Mais, face à l’intensification des attaques, leur survie l’a emporté sur leurs craintes. Le matin glacial du 2 décembre, Abu et Umm Mohammed, leurs deux fils cadets, Mahmoud et Ahmed, leur fille Malak, leur belle-fille Aya et leur petit-fils en bas âge ont fui leur maison, tandis que leur fils aîné, Mohammed, est resté sur place. Technicien à l’hôpital Kamal Adwan, Mohammed s’est senti obligé de rester pour s’occuper des blessés. « Je ne peux pas partir », a-t-il dit à sa famille.
Ils se sont séparés en larmes, se demandant s’ils se reverraient un jour.
Au poste de contrôle, Oum Mohammed a assisté, impuissante, à la séparation des hommes et des femmes. Elle, Malak, Aya et le bébé sont passés, mais elle a passé des heures d’angoisse à attendre son époux et ses fils. Finalement, Mahmoud et Ahmed sont arrivés dans leur abri temporaire à Gaza City des heures plus hard – mais Abu Mohammed n’était pas avec eux.
« Je ne savais pas si je devais sourire parce que mes fils étaient sains et saufs ou pleurer parce que mon mari avait été enlevé. Mes fils ne savaient même pas où leur père avait été emmené ni ce qu’ils lui avaient fait ».
Le 27 décembre, son fils aîné Mohammed a heureusement rejoint sa famille à Gaza City, après avoir vécu l’horreur à l’hôpital Kamal Adwan, de nouveau attaqué par l’armée israélienne à la fin de l’année.
L’armée israélienne a assiégé l’hôpital pendant près d’une semaine, empêchant quiconque d’entrer ou de sortir et bloquant l’entrée d’eau ou de nourriture. Le 26 décembre, les soldats israéliens ont évacué l’hôpital par la force, traînant dehors tous les médecins, employés et patients pour les déplacer dans une école assiégée à proximité. Après des heures de détention et d’humiliation, Mohammed et d’autres ont été libérés.
« J’ai eu l’impression que nous aurions aussi pu perdre Mohammed aussi », a déclaré Umm Mohammed. « Mais grâce à Dieu, il est ici à la maison.
Plus d’un mois s’est écoulé depuis que les soldats israéliens ont arrêté Abu Mohammed. « Nous avons contacté des organisations humanitaires et le Croissant-Rouge pour avoir des informations sur mon mari, mais aucune nouvelle n’est parvenue jusqu’à présent », a déclaré Oum Mohammed. « Nous avons également essayé de contacter les personnes récemment libérées des prisons israéliennes au cas où quelqu’un aurait vu mon mari, mais tous nos efforts ont été vains.
« Il n’a aucun lien politique », a insisté Oum Mohammed. « Il a passé sa vie à coudre pour nous soutenir. »
Abu Mohammed fait partie des dizaines – voire des centaines ou des milliers – d’hommes palestiniens détenus arbitrairement depuis le début de la guerre. Bien qu’il n’y ait pas de confirmation officielle du nombre précis de Palestiniens détenus et enlevés par les forces israéliennes à Gaza depuis octobre 2024, l’organisation de défense des droits des prisonniers palestiniens Addameer estime qu’au moins 10 400 Palestiniens sont actuellement détenus dans les prisons israéliennes, la majorité d’entre eux incommunicado dans des conditions qualifiées de « terrifiantes » par les organisation des droits humains.
Malgré l’incertitude, Umm Mohammed s’accroche à l’espoir. « Je continue malgré tout de prier pour que demain, je me réveille et l’entende toquer à la porte ».
Traduction : DD pour l’Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss