La stratégie des colons accélère la dépossession des Palestiniens

En établissant des dizaines de nouveaux avant-postes pastoraux, les colons israéliens accélèrent la saisie des terres dans la vallée du Jourdain.

Par Dalia Hatuqa, le 3 février 2025

Les ruines d’une maison palestinienne dans le village d’Ein Samiya en Cisjordanie occupée, jeudi 10 août 2023 (Maya Alleruzzo/AP Photo)



Le 12 octobre 2023, cinq jours seulement après les attaques menées par le Hamas contre le sud d’Israël et le début de la guerre d’Israël contre Gaza – qualifiée de génocide par les experts – un groupe de colons israéliens armés est arrivé au village palestinien d’éleveurs de Wadi al-Seeq dans la zone C, cette partie de la Cisjordanie occupée sous contrôle israélien total. Protégés par l’armée israélienne, les colons ont battu les 200 habitants du village en plein jour. Selon le journal Haaretz, certains d’entre eux ont été « déshabillés jusqu’aux sous-vêtements », « photographiés menottés », « urinés dessus », brûlés avec des cigarettes et soumis à des violences sexuelles. S’adressant à Jewish Currents, Abderrahman Kaabneh, le mukhtar (maire) de Wadi al-Seeq, a rappelé que les colons ont ensuite donné aux habitants une heure pour quitter la zone. Toute la communauté d’éleveurs a rapidement pris ses troupeaux et s’est enfuie à pied jusqu’à ce qu’elle atteigne une bande de terre à l’ouest du village, près de la ville de Ramallah. Quinze mois plus tard, les habitants de Wadi al-Seeq sont toujours déplacés, vivant dans de petites tentes à quelques kilomètres seulement de chez eux, mais avec peu d’espoir d’y retourner.

Pour déplacer les éleveurs de Wadi al-Seeq, les colons israéliens ont eu recours à une tactique d’expropriation de plus en plus répandue : l’avant-poste rural. Contrairement aux colonies bâties, dont l’établissement peut prendre des années, les colonies rurales se développent souvent rapidement, à partir d’une caravane de colons ou d’un hangar agricole, pour finalement s’étendre sur une grande partie des terres environnantes. Kaabneh se souvient que les colons israéliens ont utilisé une telle implantation pour préparer leur attaque d’octobre contre son village, arrivant en février 2023 avec une tente et plusieurs voitures pour établir un avant-poste agricole. « Nous avons été surpris car la terre est uniquement agricole et pastorale », dit-il. Mais les colons ont continué à venir malgré tout, et « bientôt l’avant-poste s’est développé pour compter dix tentes, du bétail et environ 400 moutons ». Les colons ont commencé à faire paître leur bétail dans le village et à utiliser la route que les Palestiniens avaient pavée grâce à des fonds européens, alors qu’ils disposaient de leur propre infrastructure. Ils ont en outre commencé à attaquer les habitants de Wadi al-Seeq, ce qui a contribué à accélérer le dépeuplement du village le 12 octobre, plaçant ainsi 9 000 dounams (3,5 miles carrés) de terres sous contrôle israélien.

Les colonies rurales, également appelées avant-postes agricoles, de pâturage ou de bergers, ne sont pas nouvelles : les Israéliens les utilisent depuis longtemps pour s’emparer des terres palestiniennes. Mais si cette tactique a été déployée par intermittence dans les années 1980 et 1990, son utilisation s’est multipliée au cours des dernières décennies. Entre 2012 et 2022, 66 avant-postes pastoraux ont été mis en place dans la zone C. Selon Kerem Navot, un groupe qui surveille la politique israélienne d’utilisation des terres en Cisjordanie, ces avant-postes ont permis de placer sous le contrôle des colons environ 247 kilomètres carrés de terres, soit près de 7 % de la zone C. Suhail Khalilieh, responsable du département de surveillance des colonies de l’Institut de recherche appliquée de Jérusalem (ARIJ), a expliqué que ce vaste transfert de terres a eu lieu parce que « les colonies pastorales sont construites avec l’idée qu’elles peuvent s’étendre partout où le berger va. C’est ainsi qu’elles ont proliféré, et qu’elles occupent maintenant des milliers de dunams ». (Un millier de dunams équivaut à environ 0,4 mile carré). Ces saisies de terres se sont accélérées depuis octobre 2023. Entre ce mois et juillet 2024, au moins 25 nouvelles colonies, pour la plupart agricoles, ont été établies dans la zone C. Selon Khalilieh, ces avant-postes ont déjà conduit à la dépossession de « pas moins de 40 communautés bédouines palestiniennes », ce qui montre qu’ils constituent un moyen très efficace pour Israël d’atteindre son véritable objectif en Cisjordanie : « Contrôler davantage de terres en expulsant les agriculteurs et les éleveurs palestiniens ».

Alors que les exactions des colons se multiplient dans le cadre de la récente « opération Mur de fer » d’Israël, au cours de laquelle l’armée a assiégé le camp de réfugiés de Jénine, attaqué Tulkarem et tué au moins 20 Palestiniens en Cisjordanie occupée, cet objectif d’expulsion devient de plus en plus clair. En effet, Kaabneh a noté que les colons qui ont dépossédé sa communauté avaient été explicites à ce sujet : « Les colons nous ont dit qu’il n’y avait pas de place pour nous à Wadi al-Seeq, et même pas dans la zone B de la Cisjordanie [qui est soumise à la sécurité israélienne mais sous contrôle administratif palestinien] », a-t-il déclaré. « Ils nous ont dit d’aller en Jordanie, et ils nous ont même proposé de l’argent pour y déménager. » Kaabneh a souligné que ce qui s’était passé à Wadi al-Seeq n’était donc pas une aberration, mais « faisait partie d’un plan à long terme visant à nous chasser et à prendre possession de nos terres ».

Près de 65 000 Palestiniens vivent dans la vallée du Jourdain, dont beaucoup sont des descendants de communautés bédouines expulsées de leurs terres en 1948 lors du déplacement de masse que l’on appelle la Nakba (la « catastrophe »). Connue comme le grenier de la Cisjordanie, la vallée du Jourdain est une bande de terre fertile et peu peuplée qui pourrait jouer un rôle important dans le développement économique et agricole futur de la Palestine. Cependant, dans la pratique, les politiques israéliennes ont rendu l’accès à 85 % de la zone interdite aux Palestiniens. Près de 50 % de la vallée sont désignés comme « terres d’État » israéliennes, tandis que d’autres parcelles sont classées comme « zones militaires fermées » et réserves naturelles. D’autres zones encore ont été attribuées aux Conseils d’administration des colonies, qui sont les autorités municipales qui administrent les petites colonies avec des fonds publics. Ces affectations de terres ont régulièrement permis aux autorités israéliennes de restreindre l’accès des Palestiniens aux ressources en eau et aux infrastructures de la région, et de démolir leurs maisons au motif qu’elles sont construites « illégalement ». Conjointement à la montée de la violence des colons, ces mesures ont déplacé un nombre croissant de Palestiniens de la vallée : entre janvier 2022 et septembre 2023, 28 communautés d’éleveurs palestiniens, soit 1 105 personnes, ont quitté leurs maisons dans la région, un nombre en croissance exponentielle depuis lors.

Les colonies d’éleveurs ont alimenté ce processus en offrant aux colons une base d’où ils peuvent étendre la parcelle de terre qu’ils occupent, faire subir des violences aux communautés palestiniennes qui y vivent et restreindre leur accès à la terre et à l’eau, mettant ainsi en péril leurs moyens de subsistance. Selon Kerem Navot, « chacun des avant-postes ruraux fait partie d’un système régional […] agissant de manière synchronisée depuis différentes directions pour s’emparer du maximum de territoire possible ». Dans certains cas, les conseils de colons pastoraux ont procédé à la confiscation de centaines de têtes de bétail appartenant à des Palestiniens, en prétendant qu’il s’agissait d’« animaux errants » ou en invoquant les règlements municipaux sur le pâturage. « Tout animal qui s’éloigne des limites du village doit payer une lourde amende pour être rendu à [son propriétaire] », a déclaré Hassan Mleihat, qui supervise l’organisation non gouvernementale Al-Baidar pour la défense des droits des Bédouins. « Cela fait partie d’un plan plus vaste visant à appauvrir ces communautés et à les pousser à l’exil. »

Bien que les avant-postes pastoraux soient des constructions non autorisées et non officiellement reconnues par le gouvernement israélien, leurs activités sont souvent soutenues par l’État. Certaines agences gouvernementales et certains politiciens soutiennent depuis longtemps ces avant-postes, de sorte que nombre d’entre eux ont été légalisés rétroactivement. Alors qu’Israël cherchait à utiliser la guerre contre Gaza comme prétexte pour expulser les Palestiniens de la zone C, ce soutien s’est accru sous la forme d’une proclamation par Israël de milliers de dunams de territoire de Cisjordanie comme « terres d’État » pouvant alors être colonisées, de la construction de nouvelles routes pour les colonies et de l’octroi d’un budget et d’infrastructures, y compris aux avant-postes illégaux. En mai 2024, les médias israéliens locaux ont rapporté que le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, lui-même colon, avait ordonné aux ministères et autres autorités gouvernementales de commencer à financer 70 avant-postes illégaux, à y construire des bâtiments publics et à les raccorder aux réseaux d’eau et d’électricité ainsi qu’à d’autres infrastructures. En outre, Amana, une organisation de colons soutenue par l’État et qui dispose d’environ 160 millions de dollars d’actifs, a soutenu les avant-postes pastoraux en leur fournissant des travailleurs et des équipements pour qu’ils s’installent et prospèrent. Plus précisément, Amana a raccordé les avant-postes à l’eau et à l’électricité, accordé des prêts à des Israéliens pour établir de nouvelles colonies d’éleveurs et même embauché une personne à temps plein dont le rôle est d’être un « coordinateur agricole ». Le secrétaire général d’Amana, Ze’ev Hever, membre reconnu coupable d’appartenance à l’organisation terroriste israélienne Jewish Underground, s’est vanté l’année dernière lors d’une conférence en ligne que « grâce aux fermes pastorales, nous avons atteint les régions les plus reculées au cours des trois dernières années. Aujourd’hui, les pâturages couvrent près de deux fois plus de terres que les communautés bâties ».

Cette tendance devrait se poursuivre, voire s’aggraver, avec le début de la nouvelle administration Trump à Washington, DC. L’administration a déjà exprimé son intérêt pour l’extension de la souveraineté israélienne à des blocs de colonies importants tels que Ma’ale Adumim, Ariel et Gush Etzion, comme le souligne le plan « Peace to Prosperity » de Trump. Elle a également fait part de son ouverture à l’idée d’intégrer la vallée du Jourdain à Israël proprement dit et de faire pression sur d’autres pays pour qu’ils reconnaissent la souveraineté israélienne sur les zones annexées, comme cela a été le cas pour le plateau du Golan en 2019. Le retour de Trump devrait en outre libérer les organisations de colons israéliens du maigre contrôle américain auquel elles ont récemment été soumises. Par exemple, en novembre 2024, Amana a été sanctionnée par les États-Unis pour avoir été « un élément clé du mouvement extrémiste israélien de colonisation ». Mais même ces sanctions, qui étaient avant tout symboliques, sont maintenant en train d’être annulées, donnant aux colons encore plus de liberté pour expulser les Palestiniens.

Pour les Palestiniens de la vallée du Jourdain, cela signifie la poursuite d’une longue histoire de dépossession. Les familles de Wadi al-Seeq sont les descendants de réfugiés de Tel al-Sabe, dans le désert du Naqab (Néguev), qui ont été expulsés en 1948 et déplacés à plusieurs reprises avant de trouver un foyer dans le village dans les années 1980. Aujourd’hui, même ce foyer leur a été enlevé. « Ce qui nous est arrivé [le 12 octobre 2023] est un déplacement forcé. Nous vivons une nouvelle Nakba », a déclaré Kaabneh. Une semaine après l’expulsion, l’armée israélienne a brièvement autorisé les habitants de Wadi al-Seeq à revenir pour récupérer leurs biens. Mais à leur retour, a déclaré Kaabneh, tout avait été détruit ou volé : « Les maisons ont été saccagées, les tentes ont été emportées, les vêtements déchirés, les affaires des enfants cassées, la nourriture pour les animaux jetée par terre et les réservoirs d’eau volés. Nous n’avons rien pu emporter. Nous sommes repartis les mains vides. » Aujourd’hui, les habitants du village déserté vivent dans un exil de plus en plus intenable. Avant son dépeuplement, Wadi al-Seeq dépendait fortement de l’élevage, avec environ 98 % des familles qui élevaient des animaux ou travaillaient la terre ; aujourd’hui, ils voient leur bétail mourir de malnutrition en raison du manque de pâturages. Le village avait accès à 50 ou 60 puits et n’avait pas à payer l’eau, mais aujourd’hui, ils paient 50 shekels (environ 14 dollars) pour chaque mètre cube d’eau qu’ils achètent. « Nous sommes au bord du gouffre », a déclaré Kaabneh à propos de ces conditions de vie, « et si les choses restent telles qu’elles sont, si elles ne s’améliorent pas, nous coulerons ».



Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine
Source : Jewish Currents

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