Guillaume Weill-Raynal, avocat et essayiste, dénonce le discours de Bernard-Henri Lévy sur le processus de paix israélo-palestinien. Selon lui, « poursuit son inlassable combat en faveur de la solution «deux peuples deux états»… tout en se faisant l’ardent défenseur de ceux qui s’acharnent à tout faire pour que cette solution ne voit jamais le jour».
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«La paix, mais vraiment.» C’est le titre d’un article de paru simultanément, fin septembre, sur le site de La Règle du Jeu et sur le bloc-notes du Point, repris depuis par divers blogs et mis en ligne, la semaine dernière, sur le site du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Un article qui mérite effectivement d’être lu et relu avec attention, tant le «philosophe» s’y fait le relais zélé des arguties les plus usées, mais toujours actuelles, de la communication israélienne. En réalité, autant de faux prétextes pour justifier l’éternel blocage d’un processus de paix que l’on prétend appeler ardemment de ses vœux mais dont on s’empresse de rejeter la responsabilité de l’échec sur les Palestiniens. Une casuistique binaire que BHL résume dès les premières lignes par cette double affirmation: je suis partisan depuis plus de quarante ans de la solution «deux peuples deux états», mais… «je suis hostile à l’étrange demande de reconnaissance unilatérale des Palestiniens à l’ONU».
Suffit-il de clamer de manière incantatoire son attachement indéfectible à la solution «2P2E» pour vouloir vraiment la paix? Encore faudrait-il s’entendre sur le chemin qui y mène, à défaut de quoi cette solution idéale n’apparaît plus que comme le mirage lointain et chimérique d’un horizon qui recule à mesure que l’on avance. Et c’est là que le bât blesse: car la solidité des arguments avancés par BHL pour justifier de son hostilité à l’initiative diplomatique palestinienne laisse quelque peu à désirer. A tel point qu’on en vient presque à imaginer un sous-titre invisible à cet article en forme d’oxymore: La paix? vraiment pas! Mais l’essentiel n’est-il pas de pouvoir continuer à dire, «c’est pas ma faute»?
Car pour BHL les Israéliens seraient irréprochables, et la thèse d’une «prétendue intransigeance» israélienne une «prémisse fausse». A preuve, dit-il, une opinion publique, dont 70% serait «massivement acquise à l’idée du partage de la terre». Certes, mais quel rapport entre des sondages d’opinion -dont la portée est toujours discutable- et la réalité de politiques gouvernementales qui, de toute évidence, et depuis au moins quinze ans, s’orientent non moins massivement vers l’idée contraire? Fables que tout cela! Sans craindre le ridicule, BHL complimente la droite israélienne pour le «chemin parcouru depuis le temps où son chef croyait encore aux dangereuses chimères du Grand Israël». On se frotte les yeux: aux déclarations des années 1990 –«jamais un Etat palestinien ne verra le jour»– ont succédé les professions de foi floues et lénifiantes sur les décisions «douloureuses» que l’on se déclare prêt à assumer… «le moment venu», c’est-à-dire dans un futur aussi lointain qu’improbable. Dans le même temps et alors que la colonisation de la Cisjordanie se poursuit, une nouvelle terminologie a été adoptée: les territoires occupés sont devenus des territoires disputés…
A la suite de quoi, l’ex-nouveau philosophe (mais où est passée la philosophie dans tout ça?), pointe les «signaux inquiétants» de l’intransigeance palestinienne, qui se serait manifestée notamment par l’«hommage appuyé» rendu par Mahmoud Abbas, dans son discours onusien, à… Yasser Arafat! Défense de rire. Quant à la question des implantations, seuls les naïfs croient encore qu’elle constitue le fond essentiel du contentieux. Le «désaccord», selon BHL, ne porterait que sur la forme. Une banale et mesquine question de procédure qui, là encore, révèlerait la vraie nature des Palestiniens:
«Le désaccord, sur cette affaire, oppose ceux qui, derrière Mahmoud Abbas, exigent qu’elles soient gelées avant que l’on revienne à la table des négociations et ceux qui, avec Netanyahou, refusent que l’on pose en préalable ce qui devra être l’un des objets de la négociation.»
Extraordinaire tour de passe-passe! Les termes soigneusement choisis désignent subrepticement le fauteur de trouble et, surtout, inversent complètement l’ordre des responsabilités. Le mauvais joueur, dans une négociation, chacun le sait, c’est celui qui, en posant des «conditions préalables», met la charrue avant les bœufs et la fin des négociations avant leur commencement. Mais quel est ici l’objet de la négociation? Des territoires que les israéliens exigent de pouvoir continuer à coloniser avant même que les négociations aient permis de s’entendre sur celui des deux partenaires à qui ils doivent être attribués. Ce qui équivaut à réclamer le droit de continuer à dévorer le gâteau pendant que l’on négocie sur la part qui revient à chacun. On comprend, dans ces conditions, que celui qui est en train de manger n’aime pas que l’on dérange son appétit, et qu’il regarde comme une initiative «hostile» toute tentative de son partenaire d’accélérer le processus pour parvenir à la paix, c’est-à-dire à un partage honnête et équitable.
Et si les jeux étaient déjà faits? Nombreux sont ceux qui, chaque jour, s’interrogent. Ou ne s’interrogent même plus.
Ainsi, pour le chercheur Julien Salingues interrogé par Libération : «Au sein même de l’OLP, beaucoup disent que c’est fini, plié. Créer un Etat palestinien ne leur semble plus possible car les bases d’un Etat indépendant ne sont plus là». On citera Benjamin Barthe qui fut correspondant du Monde à Ramallah de 2002 à 2011: « Dans l’impensé médiatique, il y a l’idée que, grosso modo, on est face à une région qui peut se diviser en deux : Il y a Israël, et à l’Est, il y a la Cisjordanie. Et ça, c’est le produit d’une production cartographique très courante (…) ça entretient l’idée que… bon, on va y arriver à créer ces deux états. Il suffira, grosso modo, de trancher en suivant cette fameuse ligne verte (… ) Alors que quand on passe du temps sur le terrain, la carte qui me semble la plus pertinente, c’est celle-là : où il n’y a pas la Palestine d’un côté et Israël de l’autre… mais il y a Israël partout et puis… quelques enclaves Palestiniennes au milieu». On citera enfin Eric Zemmour qui, avec une lucidité même pas cynique, reconnaissait benoitement il y a quelques jours sur Paris Première : «il n’y aura pas d’Etat palestinien, parce que tout simplement, il n’y a plus de base territoriale pour un Etat palestinien, parce que les Israéliens, depuis 20 ans, les ont privés de base territoriale en coupant leur territoire, en mettant des colonies partout… et que les Israéliens, en vérité, ne veulent pas d’Etat palestinien. Ils ne le disent pas, mais ils n’en veulent pas».
Et pendant ce temps –«depuis plus de quarante ans»– BHL poursuit son inlassable combat en faveur de la solution «deux peuples deux états»… tout en se faisant l’ardent défenseur de ceux qui s’acharnent à tout faire pour que cette solution ne voit jamais le jour.
Source: Médiapart