Le boycott : une approche juridique

Né en 1970 à Paris, Ghislain Poissonnier, magistrat, a occupé différentes fonctions tant au sein du ministère de la justice qu’au ministère de la défense et a été délégué du CICR en Cisjordanie en 2008 et 2009, puis en République démocratique du Congo (RDC) en 2009 et 2010. Il est l’auteur de nombreux articles parus dans différentes revues en droit international, droit pénal, procédure pénale, droit du travail et droit de la consommation.

Depuis 2010, près d’une cen­taine de mili­tants asso­ciatifs appelant les consom­ma­teurs à boy­cotter les pro­duits israé­liens fait l’objet de pour­suites pénales en France. Ghislain Pois­sonnier, magistrat et auteur de plu­sieurs articles publiés dans des revues juri­diques sur le sujet et d’un ouvrage sur le conflit israélo-palestinien (Les chemins d’Hébron – Un an avec le CICR en Cis­jor­danie, L’Harmattan, 2010),répond à nos questions.

Quand ces poursuites pénales ont-elles commencé ?

Le 9 juillet 2005, une cam­pagne inter­na­tionale civique et non vio­lente Boycott, dés­in­ves­tis­sement et sanc­tions (BDS) a été lancée par la société civile pales­ti­nienne afin de faire pression sur l’État d’Israël pour qu’il modifie sa poli­tique et res­pecte le droit inter­na­tional. Cet appel a été lancé le premier jour anni­ver­saire de l’Avis sur les consé­quences juri­diques de l’édification d’un mur dans le ter­ri­toire pales­tinien occupé rendu par la Cour inter­na­tionale de justice de La Haye le 9 juillet 2004. S’inspirant direc­tement de l’exemple de la mobi­li­sation inter­na­tionale contre l’apartheid sud-africain, il est relayé par des ONG dans le monde entier, alors que la construction du mur et la colo­ni­sation israé­lienne se pour­suivent bien qu’elles aient été déclarés contraires au droit inter­na­tional.
Avec l’opération mili­taire Plomb Durci à Gaza (décembre 2008-janvier 2009) qui a heurté l’opinion publique mon­diale, la cam­pagne BDS a ren­contré une ampleur inédite, y compris en France. C’est dans ce contexte que le ministre de la Justice de l’époque, Michèle Alliot-Marie, a adopté le 12 février 2010 une directive, c’est-à-dire un texte interne à l’administration, ordonnant à tous les pro­cu­reurs de la Répu­blique d’engager des pour­suites pénales contre toute per­sonne qui appelle les consom­ma­teurs à ne pas acheter de pro­duits israé­liens.

Cette directive propose une inter­pré­tation de la loi pénale, qui per­met­trait de sanc­tionner non seulement le fait d’entraver une activité écono­mique, mais aussi le fait d’inciter, par des dis­cours ou des écrits, à le faire. Elle en déduit qu’un appel à ne pas consommer des pro­duits israé­liens constitue une infraction d’incitation publique à la dis­cri­mi­nation nationale, punie d’un an d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende et pouvant donner lieu à une condam­nation par un tri­bunal cor­rec­tionnel. La directive a été appliquée par les pro­cu­reurs de la Répu­blique, qui sont soumis au principe hié­rar­chique, bien que beaucoup d’entre eux y soient hos­tiles. Elle a, d’ailleurs, été très cri­tiquée lors de son adoption par de nom­breux juristes : magis­trats, avocats, uni­ver­si­taires, par­le­men­taires etc. Mme Eli­sabeth Guigou, ancienne garde des sceaux et dont les com­pé­tences juri­diques sont reconnues par tous, a même indiqué qu’elle était tota­lement opposée à ce texte. Les pro­cu­reurs de la Répu­blique, soit spon­ta­nément, soit à la demande d’associations pro-israéliennes, ont du demander aux ser­vices de police de réa­liser des enquêtes sur les appels lancés par les mili­tants asso­ciatifs concernés et ont engagé des pour­suites pénales. Les per­sonnes qui com­pa­raissent devant les tri­bunaux depuis la fin de l’année 2010 le sont en appli­cation de cette directive.

Pourquoi cette directive du ministère de la Justice de 2010 a-t-elle été adoptée ?

On peut effec­ti­vement s’interroger sur les raisons pour les­quelles le ministère de la Justice a sou­dai­nement considéré que les appels au boycott des pro­duits israé­liens étaient péna­lement répré­hen­sibles. Dif­fé­rentes expli­ca­tions sont parfois fournies : envie de donner des gages de sym­pathie à l’Etat d’Israël ? souhait d’obtenir des voix sup­plé­men­taires dans la fraction de l’électorat français qui sou­tient l’Etat d’Israël ? peur devant le succès de la cam­pagne BDS que la société civile fran­çaise dicte aux pou­voirs publics français les orien­ta­tions de la poli­tique étrangère ? pression des milieux d’affaires franco-israéliens ? Ce qui est certain, c’est que per­sonne parmi le per­sonnel poli­tique n’a jamais vraiment pu expliquer ce soudain intérêt pour les « boy­cot­teurs » issus de la société civile. Il était légal d’appeler à boy­cotter les pro­duits sud-africains au temps de l’apartheid. Il ne l’est plus de le faire vis-à-vis des pro­duits israé­liens, alors que l’Etat d’Israël viole le droit inter­na­tional.

Com­prenne qui pourra. Le caractère « com­mandé » de ce texte est d’ailleurs établi par le fait qu’il ne demande des pour­suites que contre ceux qui appellent à ne pas consommer de pro­duits israé­liens. Rien pour les autres « boy­cot­teurs ». En réalité, il y a tou­jours eu en France des mili­tants asso­ciatifs qui se sont mobi­lisés pour dif­fé­rentes causes et ont appelé à ne pas acheter des pro­duits sud-africains au moment de l’apartheid, russes en raison de l’invasion de l’Afghanistan ou de la guerre en Tchét­chénie, chinois à cause de la situation au Tibet, amé­ri­cains au moment de la guerre en Irak, birmans à cause du sort réservé aux mino­rités eth­niques, saou­diens en raison de la situation des femmes. Ils n’ont jamais été inquiétés péna­lement.

En France, comme ailleurs, l’appel lancé par des citoyens à ne pas consommer des pro­duits ori­gi­naires d’un Etat n’a jamais été considéré comme une infraction pénale. Ce type d’appel fait même partie des tra­di­tions fran­çaises : il est associé à la vie démo­cra­tique, à la liberté des asso­cia­tions, au débat d’idées, à notre tra­dition d’intellectuels engagés, à l’intérêt que les citoyens français ont tou­jours attaché aux sujets d’actualité inter­na­tionale. D’ailleurs, régu­liè­rement, notre per­sonnel poli­tique, de droite comme de gauche, ne se prive pas d’exercer ce droit légitime, en exprimant son souhait de voir boy­cotter telle mani­fes­tation sportive, tel événement culturel ou tel type de produit en pro­ve­nance d’un Etat.
L’actualité récente permet d’observer à quel point l’appel au boycott fait partie de notre tra­dition d’action poli­tique, qu’il s’agisse de l’Euro 2012 de football organisé en Ukraine et boy­cotté par les ministres français eu égard à l’emprisonnement de l’opposante Ioulia Timo­chenko ou de l’appel lancé par Martine Aubry à boy­cotter le Mexique à la suite de l’affaire Flo­rence Cassez. Per­sonne n’y trouve rien à dire dès lors que l’appel est motivé par une cause poli­tique consi­dérée comme noble : pousser un Etat à res­pecter les droits de l’homme, le droit inter­na­tional ou des normes envi­ron­ne­men­tales ou sociales. Cette directive est donc en com­plète contra­diction avec nos traditions.

En quoi ce texte interne à la Chan­cel­lerie de 2010 est-elle cri­ti­quable au regard du droit français ?

Il faut bien com­prendre qu’aucun texte pénal n’incrimine spé­ci­fi­quement en France l’appel lancé par un citoyen aux consom­ma­teurs à ne pas acheter des pro­duits ori­gi­naires d’un Etat. Et pour cause : le légis­lateur a estimé sage de ne pas interdire de tels appels qui font partie de la vie démo­cra­tique. C’est la raison pour laquelle la directive de 2010 n’a pu que pro­poser une péna­li­sation basée sur une inter­pré­tation de la loi pénale. Cette inter­pré­tation est fondée sur la com­bi­naison de deux textes : l’article 225-2 du code pénal qui interdit d’entraver l’exercice normal d’une activité écono­mique et l’article 24 alinéa 8 de la loi de 1881 qui interdit toute forme d’appel à la dis­cri­mi­nation fondée sur l’originale nationale. S’en déduirait que l’appel lancé par un citoyen à ne pas consommer des pro­duits israé­liens serait un appel à l’entrave de l’activité écono­mique des pro­duc­teurs israé­liens et donc une infraction pénale.

Cette inter­pré­tation des textes paraît mal fondée en droit. L’article 24 alinéa 9 de la loi de 1881 sanc­tionne les pro­vo­ca­tions à la dis­cri­mi­nation, à la haine ou à la vio­lence, à l’égard d’une per­sonne ou d’un groupe de per­sonnes à raison de leur sexe, de leur orien­tation sexuelle, ou de leur han­dicap, en se référant expres­sément à l’article 225-2 du code pénal. L’article 24 alinéa 9 de la loi de 1881 est issu d’une loi du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte contre les dis­cri­mi­na­tions et pour l’égalité. Or, en 2004, le légis­lateur n’a pas entendu étendre le champ d’application de l’article 225-2 du code pénal à d’autres cas de dis­cri­mi­na­tions. Et l’article 24 alinéa 8 de la loi de 1881, issu d’une loi du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme, ne renvoie pas à cette dis­po­sition lorsqu’il incrimine la pro­vo­cation à la dis­cri­mi­nation, à la haine ou à la vio­lence à l’égard d’une per­sonne ou d’un groupe de per­sonnes à raison de leur origine ou de leur appar­te­nance ou de leur non appar­te­nance à une ethnie, à une nation, à une race ou une religion déter­minée. La lecture de l’article 24 alinéa 8 de la loi de 1881, issu d’une loi de 1972, doit se faire à la lumière de l’article 24 alinéa 9 de la loi de 1881, issu d’une loi pos­té­rieure, à savoir celle de 2004.

Le rai­son­nement retenu par la cir­cu­laire revient ainsi à élargir le champ d’application de la loi pénale à une situation non prévue par les textes, ce qui est contraire au principe tant national que conven­tionnel de la légalité des délits et des peines ainsi qu’à la règle de l’interprétation stricte des règles de droit pénal. L’interprétation pro­posée par la cir­cu­laire est aussi contraire à l’esprit des deux textes qu’elle se propose de com­biner. L’article 225-2 du code pénal qui interdit l’entrave de l’exercice normal d’une activité écono­mique est issu d’une loi du 7 juin 1977 adoptée pour lutter contre le boycott par cer­tains pays des entre­prises fran­çaises ayant des rela­tions com­mer­ciales avec Israël. Il avait pour objet de réserver aux pou­voirs publics le monopole de la décision de boycott et d’interdire aux entre­prises et aux col­lec­ti­vités publiques de le pra­tiquer hors de toute décision gou­ver­ne­mentale. Pas celui d’interdire les inci­ta­tions au boycott émanant de la société civile, a for­tiori lorsque ces inci­ta­tions sont adressées à la com­mu­nauté des consom­ma­teurs français sans contrainte aucune et dans le cadre d’un débat d’intérêt général. L’article 24 alinéa 8 de la loi de 1881 est, quant à lui, une trans­po­sition en droit français de la Convention inter­na­tionale sur l’élimination de toutes les formes de dis­cri­mi­nation raciale de 1965.

Cet article a donc pour objet d’empêcher les appels à la dis­cri­mi­nation contre les per­sonnes phy­siques en fonction notamment de leur origine raciale ou nationale. Il n’a pas vocation à pro­téger des per­sonnes morales comme les entre­prises des appels lancés par des citoyens à ne pas acheter les pro­duits qu’elles commercialisent.

La directive de 2010 présente-elle d’autres fai­blesses ?

Oui. En droit pénal, pour qu’une infraction soit constituée, il faut un élément légal (qui comme on vient de le voir n’est pas constitué), un élément matériel et un élément moral. Ici, l’élément matériel réside dans des propos, des slogans, des écrits, des ras­sem­ble­ments paci­fiques, des vidéos dif­fusées sur internet, des T-shirts portés par des mili­tants etc. Les modes d’action sont ceux d’une cam­pagne paci­fique de déso­béis­sance civile. Aucun moyen frau­duleux n’est utilisé et les mili­tants n’appellent pas à com­mettre d’infraction. Ils agissent en toute trans­pa­rence, en s’adressant à la conscience des consom­ma­teurs. On est clai­rement au cœur des libertés d’opinion, d’expression, d’information et de consom­mation sur un sujet d’intérêt général. La directive n’en tient pas compte.

Quant à l’élément moral, les mili­tants asso­ciatifs visent à faire pression sur l’Etat d’Israël afin d’obtenir qu’il res­pecte le droit inter­na­tional. La cam­pagne BDS ne demande rien d’autre que le respect du droit inter­na­tional : fin de l’occupation, fin de la colo­ni­sation, retour des réfugiés, le tout étant contenus dans les réso­lu­tions du Conseil de sécurité. Or, la directive n’en tient pas compte non plus, alors que pour cri­mi­na­liser un com­por­tement ou des propos, il faut aussi se référer aux raisons qui les ins­pirent. L’évaluation du caractère dis­cri­mi­na­toire d’un appel au boycott ne peut pas se faire sans prendre plei­nement en compte les objectifs poursuivis.

Cette directive de 2010 est-elle conforme au droit international ?

Non. Elle est contraire à la liberté d’expression, telle que reconnue et pro­tégée dans toutes grandes conven­tions inter­na­tio­nales. L’interprétation des textes pro­posée par la directive de 2010 revient en défi­nitive à rendre plus dif­ficile la dif­fusion de cer­taines infor­ma­tions et le débat d’idées sur le conflit israélo-palestinien et réduit les libertés d’information et expression garanties par le droit inter­na­tional. D’ailleurs, avec cette poli­tique de pour­suites judi­ciaires, la France se sin­gu­larise par rapport à tous les autres Etats euro­péens et occi­dentaux (Etats-Unis, Canada, Aus­tralie, Nouvelle-Zélande) et aussi par rapport autres pays démo­cra­tiques où la cam­pagne BDS est relayée : Corée du Sud, Japon, Mexique, Brésil, Afrique du Sud, Inde etc. La res­triction de la liberté d’expression qui résulte de cette poli­tique judi­ciaire fran­çaise est un cas unique dans les pays démo­cra­tiques res­pec­tueux des droits de l’homme.

C’est tout de même sur­prenant dans un pays qui se veut un Etat de droit exem­plaire et le berceau des droits de l’homme, un pays où la liberté d’expression est une valeur essen­tielle. Force est pourtant de constater l’ancienneté (depuis l’Espagne fran­quiste et l’Inde de Gandhi jusqu’à la cam­pagne anti-française au Mexique en 2011) de la tra­dition de l’appel citoyen au boycott, sa diversité de formes (boycott de tous les pro­duits, de cer­tains types de pro­duits ou de cer­tains pro­duits, contre des sommets inter­na­tionaux, des évène­ments culturels ou des mani­fes­ta­tions spor­tives) et la variété des États ciblés (des plus dic­ta­to­riaux aux plus démo­cra­tiques), sans que ces appels aient été jamais incri­minés dans l’ordre des abus de la liberté d’expression. Les autres Etats ne veulent pas, à juste titre, péna­liser les appels au boycott des pro­duits israé­liens, car ils savent aussi que cela risque de créer un pré­cédent fâcheux : l’admettre dans un cas reviendra à devoir l’admettre dans tous les autres cas. Mais la directive de 2010 est aussi contraire au droit inter­na­tional en ce qu’elle rend cette branche du droit inopé­rante.

Les pou­voirs publics français ne peuvent pas à la fois dire que le respect du droit inter­na­tional (comme par exemple au Conseil de sécurité avant la guerre en Irak ou dans le rappel régulier de l’illégalité des colonies israé­liennes en Cis­jor­danie) est la pierre angu­laire de leur poli­tique étrangère et engager des pour­suites pénales contre leurs propres citoyens qui se mobi­lisent pour que le droit inter­na­tional soit res­pecté.

D’ailleurs, mali­cieu­sement, les mili­tants pour­suivis font souvent remarquer devant les tri­bunaux où ils com­pa­raissent que la cam­pagne BDS à laquelle ils par­ti­cipent est d’autant plus jus­tifiée que la France n’a jamais exercé de réelles pres­sions (poli­tiques et écono­miques) sur l’Etat d’Israël pour qu’il res­pecte ses obli­ga­tions rap­pelées par la Cour inter­na­tionale de Justice et le Conseil de sécurité. Ils font aussi observer que la France, en vio­lation du droit européen, ne met pas en œuvre un étiquetage infor­matif et per­formant per­mettant de dis­tinguer parmi les pro­duits israé­liens ceux qui sont issus des colonies de peu­plement en Cis­jor­danie et ceux qui ne le sont pas. L’interprétation des textes pro­posée par la directive de 2010 revient en défi­nitive à rendre impos­sible de faire avancer le droit inter­na­tional en France et dans cette région du monde.

Quelle est la position des tri­bunaux cor­rec­tionnels face aux pour­suites pénales ?

Glo­ba­lement, les tri­bunaux cor­rec­tionnels font preuve de sagesse. Ils ont pra­ti­quement tous relaxés les mili­tants asso­ciatifs pour­suivis. Cela a été le cas à Bobigny, Pon­toise, Mul­house, ou encore Paris. Cela cor­respond à une ten­dance générale ras­su­rante, car elle montre bien que la justice indé­pen­dante ne sou­haite pas être ins­tru­men­ta­lisée. Il n’y a qu’à Bor­deaux que le tri­bunal cor­rec­tionnel puis la Cour d’appel ont condamné une mili­tante. La pro­cédure a fina­lement été validée par la Cour de cas­sation le 22 mai 2012. Aux yeux de nom­breux juristes, le rai­son­nement des juges bor­delais n’est pas conforme au droit. Tou­tefois, cette affaire est un peu par­ti­cu­lière en ce sens que la per­sonne concernée avait collé un auto­collant sur des pro­duits d’origine israé­lienne. Il est assez pro­bable que les juges ont voulu sanc­tionner cette pra­tique, alors que, d’une part, l’étiquetage fait l’objet d’une régle­men­tation très précise en France (et qu’il n’appartient pas aux citoyens de s’en affranchir d’une manière ou d’autre) et, que, d’autre part, coller un auto­collant sur un produit équivaut à une dégra­dation du produit (même si celle-ci est très légère). Dans tous les autres cas, les juges relaxent en indi­quant que l’appel citoyen au boycott des pro­duits israé­liens ne constitue pas une infraction. Les rai­son­ne­ments sont parfois dif­fé­rents mais ils montrent l’attachement du juge pénal français tant au principe de l’interprétation stricte du droit pénal qu’à la liberté d’expression.

Cet atta­chement est tout à fait logique s’agissant d’actions menées par des citoyens ou des ONG. Comme le dit très jus­tement la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 24 mai 2012 par­fai­tement motivé, l’appel d’un citoyen au boycott des pro­duits d’un Etat constitue une forme de « cri­tique paci­fique de la poli­tique d’un Etat relevant du libre jeu du débat poli­tique, qui se trouve, aux termes de la juris­pru­dence de la Cour euro­péenne des droits de l’homme, au cœur même de la notion de société démo­cra­tique ». Il s’inscrit plei­nement dans la juris­pru­dence euro­péenne qui accorde aux citoyens et à « l’expression poli­tique y compris sur des sujets d’intérêt général un niveau élevé de pro­tection ». De tels appels au boycott entrent dans le cadre normal d’une liberté essen­tielle dans une société démo­cra­tique, à savoir le droit de s’exprimer librement dans un débat public d’intérêt général, droit qui com­porte celui de sol­li­citer la mobi­li­sation des autres citoyens et consommateurs.

Quelles sont les perspectives ?

Juste avant la nomi­nation comme garde des sceaux de Chris­tiane Taubira, une cir­cu­laire prise par la direction des affaires cri­mi­nelles et des grâces le 15 mai 2012 a confirmé celle du 12 février 2010.

Il s’agit très cer­tai­nement d’une ultime ini­tiative du pré­cédent ministre. On peut rai­son­na­blement croire que l’alternance poli­tique changera la donne. Dif­fé­rentes asso­cia­tions ont saisi de ce pro­blème le cabinet du nouveau garde des sceaux : il faut donc espérer que la ministre abrogera ce texte et donnera des ins­truc­tions aux pro­cu­reurs de la Répu­blique afin qu’ils aban­donnent toutes les pour­suites pénales engagées. Il est rai­son­nable d’estimer que les juges du fond (tri­bunaux cor­rec­tionnels et cours d’appel), gar­diens du droit et de la liberté indi­vi­duelle, vont continuer à relaxer les mili­tants asso­ciatifs.

La Cour de cas­sation sera sans doute amenée à trancher laquestion, dans un arrêt de principe. Elle fera, elle aussi, une inter­pré­tation stricte de la loi pénale et garantira la liberté d’expression. Il reste enfin, si néces­saire, l’ultime recours à la Cour euro­péenne des droits de l’homme. En 2009, elle avait jugé valable la condam­nation pénale d’un maire qui avait annoncé son intention de donner des ins­truc­tions de boycott des pro­duits israé­liens aux admi­nis­tra­tions placées sous son autorité. On peut rai­son­na­blement estimer que son appré­ciation serait toute autre concernant un simple citoyen, appelant les consom­ma­teurs à ne pas acheter des pro­duits israé­liens. Car, au-delà du conflit israélo-palestinien, l’enjeu est important : il est celui de la liberté qui est donnée ou pas aux citoyens à se mobi­liser en faveur d’une cause et du droit international.

Source

Retour haut de page