Entretien avec le réalisateur palestinien Hany Abu-Assad (« Omar », »Paradise Now ») par Frank Barat

Entretien avec Hany Abu-Assad

(via Skype)

par Frank Barat

pour

Le Mur a Des Oreilles


Frank Barat: Comment un ingénieur aéronautique palestinien devient-il réalisateur?

Hany Abu-Assad: C’est un ensemble de beaucoup de choses dont l’une des principales a été l’amour! J’étais amoureux de quelqu’un qui n’était pas amoureux de moi et j’ai pensé que si je devenais un réalisateur célèbre, cette personne finirait par regretter sa décision.

J’ai besoin d’un média au travers duquel je peux m’exprimer, dans les bonnes comme dans les mauvaise périodes de ma vie. D’une certaine façon, c’est quand même bien plus intéressant que passer ses journées sur des chiffres et des formules mathématiques.

FB: Pourquoi êtes-vous parti de Nazareth en 1980, par amour également?

HAA: Là encore, il y a tant de choses qui nous poussent à faire des choix. Si j’ai quitté Nazareth en 1980, c’est surtout parce que j’en étais arrivé à penser qu’un Palestinien vivant en Israël n’avait pas d’autre alternative que de partir explorer le monde. Toutes les portes étaient fermées pour nous. Il était impossible de faire une carrière dans les sciences, les arts ou les affaires. Toutes les portes sont fermées pour un Palestinien vivant en Israël qui voudrait assouvir sa curiosité et explorer le monde. Quelques portes sont ouvertes mais jusqu’à une certaine limite. Je sentais qu’il fallait que j’aille au-delà des frontières qu’on m’autorisait. À cette époque, l’Europe m’a semblé l’endroit le plus approprié pour découvrir ce qui se passait dans le monde.

FB:Vivez-vous toujours en Hollande ou naviguez-vous entre Nazareth et l’Europe?

HAA: Je n’habite plus en Hollande, non. Je me suis installé à Nazareth il y a trois ans.

FB: Hier, nous nous sommes entretenus avec Saleh Bakri, que vous devez connaître. Son frère, Adam, est un des personnages principaux de votre film, “Omar”. Saleh a insisté sur le fait qu’en tant que Palestinien de 48, vivant en Israël, son rêve le plus cher était de pouvoir revenir en Palestine, que sa famille puisse revenir… Est-ce également votre cas?

HAA: Oui, un de mes plus grands rêves serait que le Moyen Orient se rassemble autour d’un intérêt commun, comme en Europe, sans frontières. Une région où tous les habitants seraient égaux, où il n’y aurait pas d’État pour une religion, une race, ou une certaine famille. Vous savez, certains États sont réservés à des familles ou des tribus, comme Israël, qui est un État tribal. Tous ces États sont, à mon sens, artificiels, aidés par l’Occident pour affaiblir la région. Je rêve de vivre dans une région où l’intérêt pour votre voisin dépasse le conflit qui vous y oppose, où tous puissent vivre avec les mêmes droits et avoir un même accès aux ressources et au pouvoir.

FB: J’imagine que vous essayez d’y parvenir par l’art. À votre avis, l’art est-il politique par nature? Et peut-être encore plus pour un palestinien, né en Israël, qui ne pourra jamais acquérir la nationalité israélienne. Vous savez certainement que la Court Suprême a récemment rejeté la possibilité de créer une nationalité israélienne.

L’art est-il pour vous forcément politique?

HAA: Oui, l’art est politique. La politique, pour moi, rassemble toutes les formes d’intérêt pour l’être humain. Je pense que la part la plus importante de l’art est l’envie de partager des idées, des sentiments et des pensées avec les autres. La politique est une composante importante de notre vie. L’art sans politique serait une forme ridicule d’expression.

FB: Aujourd’hui, vous êtes, avec Elia Suleiman, le réalisateur palestinien le plus célèbre à l’extérieur de la Palestine. Cela engendre-t-il beaucoup de pression?

HAA: Je n’ai pas plus de pression parce que je suis un cinéaste palestinien reconnu, mais parce que quand un cinéaste fait des bons films et que les gens aiment son travail, il est sous pression, qu’il soit Belge ou Français. Tout réalisateur nominé pour un prix à Cannes, un Oscar ou un Golden Globe aura de la pression. Je ne pense pas qu’elle soit plus forte parce que je suis Palestinien.

FB: En 2010, dans un entretien accordé à Electronic Intifada, vous avez dit : “Le Cinéma Palestinien est une cause”. Vous considérez-vous comme un cinéaste en premier lieu, puis comme activiste, ou l’inverse, ou peut-être n’est-ce qu’une seule et même chose?

HAA: C’est une seule et même chose. Tout d’abord, je suis un cinéaste, un raconteur d’histoires. Après, quand on raconte des histoires, on choisit celles qui nous touchent, nous travaillent, nous posent questions. Et pas seulement des histoires palestiniennes, mais toutes sortes d’histoires. On parle d’histoires qui nous intéressent, que l’on peut explorer dans notre relation à la nature humaine.

J’insiste sur ce fait, mon intérêt principal est l’être humain, les êtres humains. Comment ils peuvent communiquer, se créer un meilleur environnement. Voilà ce qui m’intéresse principalement dans la vie. Je suis donc d’abord un cinéaste. Mais cinéaste et activiste ne peuvent pas être séparés. Mais si on doit vraiment faire une distinction, je suis cinéaste en premier lieu.

FB: Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre film « Paradise Now », sortie en 2007, qui vous a fait connaître du grand public? Vous avez été accusé, par les défenseurs d’Israël, d’humaniser les auteurs d’attentats-suicides. Pourquoi avez-vous choisi de traiter ce sujet?

HAA: Je n’ai pas décidé de parler de cela pour humaniser ou déshumaniser qui que ce soit. Tout d’abord, qu’on le veuille ou non, les auteurs d’attentats-suicides sont des êtres humains. Ils peuvent commettre des actes criminels pour certains, héroïques pour d’autres, mais que vous les voyiez comme des héros ou comme des criminels, pour moi ce sont avant tout des êtres humains. Si on veut vraiment comprendre le sujet, il faut, dans un premier temps, les remettre à leur place d’humains et les regarder comme tels. C’est une question éthique.

FB: Personnellement, j’ai trouvé « Paradise Now » fantastique principalement parce que ce film montre que l’on peut comprendre un acte tout en ne l’approuvant pas. Je pense que montrer au grand public que les auteurs d’attentats-suicides sont avant tout des êtres humains était très important.

J’aimerais savoir s’il est particulièrement difficile de faire un film palestinien de nos jours?

HAA: Le cinéma Palestinien se développe, de manière générale. Avant, on faisait un film tous les trois ans, aujourd’hui on en fait trois par an. C’est un progrès. Mais ça ne veut pas dire qu’il est devenu facile de faire des films. En fait, c’est le contraire. C’est parfois plus difficile. Il y a de moins en moins d’argent pour le cinéma Palestinien. Nous essayons de trouver des moyens de financement alternatifs. “Omar”, par exemple, a été entièrement financé par un homme d’affaires palestinien. Il y a de plus en plus de réalisateurs qui émergent, ce qui est une bonne chose, mais comme il y a de moins en moins d’argent ça rend les choses plus difficiles. Mais j’aime à penser, de manière optimiste, que les bonnes histoires survivront et finiront sur les écrans.

FB: “Omar” a été très bien accueilli par la critique et vous avez accordé de nombreux entretiens à des médias grand public du monde entier. Est-ce une opportunité pour vous d’évoquer la Palestine ou est-ce que ces interviews restent en dehors de la sphère politique?

HAA: En général, j’essaie de ne pas parler de politique. Cet entretien avec vous, par exemple, je ne le politise pas vraiment. Pour une bonne raison: ce n’est pas mon travail de faire de la politique. Je fais des films politiques. Mes films condamnent l’oppression. Je n’ai pas besoin de donner des interviews pour cela. En tant que réalisateur, j’essaie de raconter des histoires importantes. Quand j’accorde des entretiens, j’essaie de me concentrer sur le film, pas sur la politique.

FB: Vous avez tourné un film aux États-Unis, comment cela s’est-il passé?

HAA: Ce fut un échec. Le film, “The Courier”, n’est pas sorti en salles mais directement en DVD. Ce n’était pas un bon film. Mais je ne regrette pas. J’ai plus appris de ce film que de mes films qui ont marché. On apprend plus de ses erreurs, vous savez.

Même si le résultat n’était pas bon, le processus était important. J’ai appris beaucoup de choses, au niveau technique notamment. J’ai aussi appris comment faire des mauvais films. Une fois que l’on sait ça, c’est plus facile d’en faire des bons.

FB: L’année dernière, c’est la nomination aux Oscars de “Cinq Caméras Brisées” qui a mis la Palestine sur le devant de la scène internationale. Aujourd’hui, c’est Omar qui va en faire parler. Les films vont-ils aider à libérer la Palestine?

HAA: Bien sûr, ils sont un des éléments. Pas le plus important dans l’ordre des choses mais un des éléments. Je suis conscient de notre rôle. Je sais aussi qu’il n’est pas très grand. Au bout du compte, la clé c’est faire pression sur les États-Unis. Le plus tôt cela sera fait, le plus tôt la Palestine sera libre. Il faut que les gens fassent pression sur leurs gouvernements pour qu’ils arrêtent de soutenir Israël. C’est primordial. Je crois aussi en la résistance. C’est une lutte Arabe. Il ne peut y avoir de victoire sans une lutte commune. Pas de liberté sans ça. C’est l’association de tous ces éléments qui va aider à libérer la Palestine. Ce qui ne veut évidemment pas dire jeter les Juifs à la mer. Libérer la Palestine veut dire vivre avec les Juifs, avec les mêmes droits.

FB: Le combat vise donc à changer la nature de l’État d’Israël, transformer sa politique discriminatoire en une politique d’égalité pour tous les citoyens?

HAA: Oui, Israël mène une politique discriminatoire, c’est un État raciste. Je ne pense pas que ce soit bon ni pour les Juifs ni pour les Arabes. En fait, c’est même pire pour les Juifs. La nature de l’État d’Israël est une honte pour les Juifs. Ce n’est pas bon pour les valeurs juives. Ils devraient en avoir honte. Ils devraient essayer d’en changer par tous les moyens.

FB: Merci encore, Hany.

 



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