Maysa Jalbout, Sarah Dryden-Peterson and Kevin Watkins | 4 août 2014
La semaine dernière, selon les Nations Unies, les forces israéliennes ont bombardé l’école élémentaire de filles de Jabaliya dans le nord de Gaza, alors que le Nations Unies en avaient fait un abri. Quinze personnes au moins ont été tuées, dont 4 enfants et bien d’autres blessées. Hier un tir israélien au voisinage immédiat d’une école de l’UNWRA à Rafah a tué au moins neuf personnes et blessé plus de 25, tandis qu’une attaque similaire sur une autre école de l’UNWRA avait eu lieu à Beit Hanoun le 23 juillet et fait 15 morts dont six enfants et plus de 100 blessés.
Les écoles de l’UNWRA ont été atteintes six fois par des tirs au cours du mois écoulé. Pierre Kräkenbühl, le secrétaire général de l’UNWRA a déclaré que l’incident de Jabaliya représente » un affront fait à nous tous, un motif de honte universelle ». L’envoyé spécial des Nations Unies pour l‘éducation, Gordon Brown, a ajouté : les écoles ne devraient jamais être le théâtre de la guerre mais des refuges sûrs pour les garçons et les filles ». De son côté, Leïla Zerougi, représentante spéciale du Secrétariat général pour les enfants dans les conflits armés a carrément déclaré: « après trois semaines de conflit, aucun doute qu’il n’y a aucun lieu où les enfants de Gaza puissent être en sécurité ». La situation des enfants à Gaza est encore aggravée par le fait que des militants stockent des munitions dans des écoles. Comme l’a dit Chris Gunness, porte-parole de l’UNWRA, « cela aussi est une violation flagrante de la neutralité de nos locaux. Nous exigeons de toutes les parties en guerre qu’elles respectent l’inviolabilité des propriétés de l’ONU ».
Ces récents événements ne sont pas des incidents isolés. Des attaques militaires importantes et fréquentes, sept ans de blocus, et les traumatismes collectifs qui en résultent détruisent l’espoir et les moyens éducatifs et ainsi, l’avenir des enfants et des jeunes palestiniens.
Les opérations militaires
Depuis le début de cette offensive militaire israélienne, appelée « Bordure protectrice », le 7 juillet, pas moins de 138 écoles ont été bombardées ou endommagés, dont 89 gérées par l’UNWRA. L’étendue réelle des dégâts n’est pas encore connue, selon le dernier rapport d’OCHA, le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires. Près de 330 enfants ont été tués et au moins 2 000 blessés. Plus de 250 000 Palestiniens déplacés ont cherché refuge dans 90 écoles de l’UNWRA et plus de 15 000 d’entre eux dans 19 écoles publiques et privées et autres équipements, ce qui rend impossible d’imaginer que ces écoles seront prêtes à ouvrir dans quelques brèves semaines pour le début de l’année scolaire.
Les étudiants, les enseignants et les institutions d’éducation se sont souvent trouvés victimes du conflit. La précédente opération « Pilier de défense» qui a duré 8 jours en novembre 2012, a coûté la vie à 11 étudiants et 4 professeurs et 300 étudiants ont été blessés, selon un rapport de OCHA de 2012. Durant l’assaut militaire, près de 300 équipements scolaires (incluant des jardins d’enfants, des écoles et des institutions d’enseignement supérieur) ont été endommagés ou détruits. Les étudiants ont manqué six jours d’école et les examens ont été perturbés. Pendant l’opération « Plomb Durci », 250 étudiants et 15 enseignants ont été tués, tandis que 856 étudiants et 19 enseignants étaient blessés entre décembre 2008 et janvier 2009, comme l’a noté la mission d’enquête de l’ONU sur le conflit à Gaza. 44 écoles de l’ONU ont été utilisées comme abris d’urgence pour plus de 50 000 personnes et au moins 280 écoles et jardins d’enfants ont été détruits ou endommagés. Là encore, les écoles ont été fermées pendant des semaines et les examens semestriels perturbés.
Sept ans de blocus
Avant même l’offensive actuelle, l’état de l’éducation à Gaza était terrible, en grande partie à cause du blocus exercé par Israël. Le blocus étrangle le système éducatif en restreignant les déplacements des personnes et des biens nécessaires à assurer la réponse aux besoins des étudiants de Gaza. Il est périodiquement impossible de faire entrer à Gaza des matériaux de construction, des livres scolaires et autres, des crayons, ce qui empêche la communauté internationale d’exercer sa capacité d’accroître l’accès à l’éducation, en particulier en ce qui concerne la construction de 250 écoles supplémentaires qui sont nécessaires. Le manque de carburant qui s’ajoute à de fréquentes coupures d’électricité a fait qu’en 2012 près de 95% des élèves de primaire et de secondaire ont manqué d’électricité pour faire leurs devoirs la plupart du temps. Il n’est donc pas surprenant que près de la moitié des élèves palestiniens n’aient pas les connaissances de base selon les évaluations internationales.
La pauvreté et le manque d’opportunités résultant du blocus ont aussi des effets dévastateurs sur la vie des enfants et des jeunes et sur leur désir d’apprendre. A Gaza, près de 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Le taux de chômage est voisin de 40%. Selon le Ministère palestinien de la santé, la majorité des élèves souffrent d’anémie. C’est une conséquence directe de l’impossibilité de faire entrer à Gaza des produits alimentaires appropriés à cause des restrictions israéliennes et aussi égyptiennes.
Même des étudiants de haut niveau qui arrivent à vaincre ces obstacles ont peu de choix et sont souvent condamnés à l’immobilisme. Ceux qui veulent poursuivre des études supérieures à l’étranger , par exemple, sont rarement autorisés à quitter Gaza, ne serait-ce que pour aller en Cisjordanie. C’est ainsi que des centaines d’étudiants, chaque année, sont privés de la possibilité d’étudier hors des frontières de Gaza. Ce sont là des facteurs de désespoir pour la jeune génération et plus du quart des étudiants à l’université disent qu’ils ne sont pas du tout optimistes sur l’avenir.
Les effets psychosociaux
Les effets psychosociaux des opérations militaires, du blocus et de l’occupation ne font pas l’objet de recherches appropriées ; pour autant, les informations disponibles laissent penser qu’ils sont graves. Après l’opération « Plomb Durci » de 2008-2009, l’UNESCO a noté que 76,8% des enseignants de primaire et de secondaire remarquaient que les résultats de leurs élèves étaient « la plupart du temps » ou « toujours », inférieurs à ceux d’avant la guerre. Ils disaient aussi qu’ils n’étaient pas capables d’enseigner aussi bien qu’avant les opérations militaires. Nombre d’entre eux ressentaient qu’ils n’étaient pas armés pour supporter les effets à long terme de la guerre sur leurs élèves qui manifestaient une anxiété croissante, de l’agressivité, de la peur et des problèmes d’apprentissage.
Les effets psychosociaux de l’opération « Bordure Protectrice » restent à déterminer, bien que OCHA estime déjà que plus de 320 000 enfants nécessitent un soutien psychosocial spécialisé en direct. La jeunesse palestinienne de Gaza donne déjà un aperçu de l’horreur qu’elle vit. Une de ces jeunes, Farah Baker de 16 ans (@Farah_Gazan) a déjà 138 000 contacts sur Twitter. Au cours de sa courte vie, elle a déjà vécu les opérations plomb durci et pilier de défense. Il y a six jours, elle a tweeté une phot prise de sa fenêtre montrant le ciel illuminé par les bombes : « c’est chez moi, je ne peux pas m’arrêter de pleurer, je vais peut-être mourir ce soir ». Après ce tweet, Farah a dit à la chaîne NBC : « je disais que la guerre de 2008 était la pire mais après la nuit dernière je dirais que c’est celle-ci qui est la pire parce que j’ai vraiment senti que je pouvais mourir à chaque instant ».
Les campagnes militaires massives et fréquentes, le blocus depuis 7 ans et les traumatismes psychologiques collectifs qui en résultent détruisent l’éducation à Gaza et l’avenir des enfants et de la jeunesse de Palestine. La réponse internationale a été totalement inadéquate et sans effet, non seulement au cours du conflit actuel mais depuis des décennies de blocus et d’occupation. Condamner le ciblage des écoles n’est pas suffisant. Une réponse significative et complète doit au minimum inclure cinq actions :
• Arrêt des attaques des écoles. Tous les dirigeants doivent exiger la fin des attaques d’écoles comme l’a fait le secrétaire général de l’ONU. Les écoles doivent être sanctuarisées et ne doivent être utilisées ou visées par aucune partie au conflit pour aucun but militaire ou illicite.
• De nouvelles lignes directrices pour la protection de l’éducation en temps de conflit. La communauté internationale doit oeuvrer d’urgence et avec diligence pour décliner et adopter les lignes directrices de Lucens, ainsi que l’a argumenté l’envoyé spécial pour l’éducation de l’ONU, Gordon Brown. Ces lignes directrices sont un ensemble de règles tirées du droit humanitaire international et de bonnes pratiques, destiné à la protection des écoles, adressé à la fois aux forces gouvernementales et aux groupes armés non étatiques dans les pays en conflit.
• Levée du blocus de Gaza. Toutes les parties, y compris la communauté internationale doivent travailler à mettre fin à sept ans de blocus à Gaza comme point clef vers la paix. Sans la fin du blocus, les enfants et les jeunes palestiniens continueront à vivre en étant privés des droits élémentaires dont celui de l’accès à une éducation de qualité.
• Soutien aux ressources éducatives. La communauté philanthropique doit financer le rattrapage en matière d’éducation et faciliter l’accès aux biens éducatifs et aux matériaux de construction nécessaires à l’augmentation du nombre d’écoles à Gaza.
• Répondre aux besoins psychosociaux. Les partenaires locaux et la communauté internationale doivent fournir un soutien aux organisations locales pour assurer la réponse de l’éducation aux besoins psychosociaux des élèves et des enseignants.
Ce sont les exigences minimales, chacune étant inscrite dans le droit international et dans le droit des personnes.
Ce n’est qu’à travers une approche globale et cohérente que les enfants de Gaza seront en mesure de poursuivre leur éducation et d’avoir la vie qu’ils souhaitent désespérément et qu’ils méritent.
Traduction SF pour l’Agence Media Palestine
Maysa Jalbout
Nonresident Fellow, Global Economy and Development, Center for Universal Education
Maysa Jalbout is a nonresident fellow at the Center for Universal Education at the Brookings Institution. Formerly, the CEO of the Queen Rania Foundation, she advises on devising national government strategies, channeling philanthropic investments and creating partnership opportunities in the education and international development sectors.
Sarah Dryden-Peterson
Nonresident Fellow, Global Economy and Development, Center for Universal Education
Sarah Dryden-Peterson leads a research program focused on connections between education and community development, specifically the role education plays in building peaceful and participatory societies. She is a professor at the Harvard Graduate School of Education.
Kevin Watkins
Nonresident Senior Fellow, Global Economy and Development, Center for Universal Education, Development Assistance and Governance Initiative
Kevin Watkins is a nonresident senior fellow with the Center for Universal Education and the Development Assistance and Governance Initiative. He currently serves as the executive director of the Overseas Development Institute (ODI). His research focuses on education, globalization and human development.
Source: Brookings.edu