Propos recueillis par Jessica Desvarieux, TRNN (The Real News Network), 30 Juillet 2014
Shir Hever est chercheur en économie à l’Alternative Information Center, organisation israélo-palestinien active à Jérusalem et Beit Sahour. Shir Hever mène des recherches sur l’aspect économique de l’occupation israélienne en territoire palestinien, certains de ses thèmes de recherche incluent l’aide internationale aux Palestiniens et à Israël, les effets de l’occupation israélienne dans les territoires palestiniens sur l’économie israélienne, les campagnes de boycott désinvestissement sanctions contre Israël. Son travail consiste également en conférences et exposés sur l’économie de l’occupation. Il est un étudiant de troisième cycle à la Freie Universität de Berlin, et effectue des recherches sur la privatisation de la sécurité en Israël.
Shir Hever a publié : « The Political Economy of Israel’s Occupation. Repression Beyond Exploitation », Pluto Press, 2010, 240pages. ISBN: 9780745327945
Jessica Desvarieux : La violence continue dans la bande de Gaza, et une question se pose, qui, en fait, profite de cette guerre ?
Shir Hever : Je dois vous dire qu’il me semble très cynique de parler de l’économie et de ses bénéficiaires quand nous parlons d’une telle tragédie humaine et de tant de personnes tuées – assassinés, en fait. Mais je pense qu’il est très important de comprendre l’aspect économique de celle-ci, car cela nous dit aussi un peu pourquoi en est-on arrivé là, et peut-être cela nous donne aussi une idée de ce qu’il faudrait mettre en oeuvre pour l’arrêter.
Nous avons vu dans les deux dernières années, une configuration qui se répète. Tous les deux ans, ou plus, les militaires israéliens attaquent Gaza, attaquent la Bande de Gaza, et provoquent énormément de destructions. Mais, peu de temps après chacune de ces attaques, les entreprises d’armement israéliennes tiennent salon et exhibent leurs marchandises, exposent leurs technologies, et se vantent en expliquant que ce sont bien ces technologies qui ont été utilisées contre les Palestiniens à Gaza. Nous en avons eu l’exemple, après l’attaque de 2008-2009, connue sous le nom de « plomb durci », dont l’objet vedette était le robot qui va dans les maisons fouiller dans les moindres recoins. Puis nous avons pu le constater à nouveau à l’occasion de l’attaque de 2012, appelée « colonne de nuée », dont le dispositif mis en avant était le système « dôme de fer » qui peut intercepter les roquettes palestiniennes. Et avec l’attaque actuelle, les marchants d’armes nous resservent ce système « dôme de Fer ».
L’activité de ces entreprises israéliennes, qui constitue une part de plus en plus importante et très spécifique de l’économie et des exportations israéliennes, dépend de ces guerres. Elle dépend de ces combats périodiques où sont exhibés leurs équipements, leurs technologies. Et l’argument mis en avant pour la vente de n’importe quel objet de leur arsenal est le suivant : « nous avons expérimenté cela sur de véritables êtres humains ». Avec cette précision, elles sont en mesure de rivaliser avec les fabricants d’armes du monde entier.
J.D. : De quelles entreprises parlons-nous ici ? Et certaines d’entres-elles ont-elles un lien avec les États-Unis?
S.H. : L’une des plus grandes entreprises dont nous parlons est « Israeli Aerospace Industries ». Cette société – il y avait un petit article à ce sujet dans le journal il y a deux jours à peine – au beau milieu de cette attaque, a émis des obligations et a essayé de lever des fonds afin de renforcer l’entreprise et d’accroître sa production. Et elle a réussi à rassembler 132 millions de dollars tout juste en une semaine, ce qui équivaut à 132 000 dollars par Palestinien tué alors au cours cette attaque. Aujourd’hui, il y a plus de Palestiniens qui ont été tués, et l’entreprise a émis des obligations supplémentaires. Cette société voit un lien direct entre la violence contre Gaza et sa capacité à trouver de nouveaux marchés pour ses produits.
Une autre entreprise très importante est « Elbit Systems ». Il s’agit d’une société israélienne renommée spécialisée dans les drones. Et, bien sûr, elle est aussi très active dans cette guerre.
Toutes ces sociétés sont intimement liées aux États-Unis. Les Etats-Unis sont le plus grand fournisseur d’aide militaire à Israël. Et cette aide militaire est constituée d’armes. Ainsi, les entreprises militaires israéliennes ont appris à travailler en symbiose avec l’industrie américaine de l’armement afin de développer ensemble leurs technologies, ainsi, des composants produits en Israël entrent dans l’assemblage d’armes de fabrication américaine. Donc, en fait, cette attaque sur Gaza n’est pas seulement un salon pour l’industrie de l’armement israéliens, c’est aussi un salon pour l’industrie de l’armement aux Etats-Unis. Et la demande d’armes augmente toujours chaque fois qu’Israël s’engage dans un autre cycle de violence au Moyen-Orient.
Je pense qu’il y a une analyse qu’il faut faire, parce que, si nous comprenons l’importance du commerce des armes dans ce conflit, nous pouvons aussi comprendre pourquoi le Hamas* avec le Jihad islamique, ont fait une proposition de cessez-le feu, il y a environ deux semaines, dans laquelle ils proposent un cessez-le feu de dix ans. Leur volonté est de résister à l’occupation. Ils ont dit dans leur proposition : « nous sommes prêts à cesser de résister à l’occupation pendant dix ans ». Et je pense qu’ils ne pouvaient faire cette offre que parce qu’ils savaient qu’Israël ne pourrait pas l’accepter. Ils savaient que l’industrie de l’armement israélienne est tellement dépendante de ces cycles d’attaques tous les deux ans et qu’Israël n’accepterait jamais un cessez-le feu de dix ans, parce que ce serait un coup mortel porté à l’industrie de l’armement israélienne (les ventes d’armes israéliennes ont atteint 7 milliards de dollars en 2012).
*Hamas est un acronyme de Harakat al-Muqawamah al-‘Islāmiyyah, ce qui signifie le mouvement de la résistance islamique.
Traduction : JCP pour CCIPPP