« Les arrestations, les expulsions, les démolitions de maisons, les saisies de terres et le harcèlement des Palestiniens par les colons continuent : depuis le début des combats au sud le 8 juillet, les soldats et la police ont blessé 2 139 Palestiniens en Cisjordanie. »
Par Amira Hass 24 août 2014
Vus de dos, des Palestiniens protestent auprès de soldats israéliens lors d’affrontements entre Palestiniens et colons juifs en Cisjordanie. Photo AP
Mercredi dernier, vers 1h30 du matin, dans la ville de Ramallah en Cisjordanie, un groupe d’hommes armés en uniforme a fait irruption dans la maison de Khalida Jarrar qui représente le Front Populaire de Libération de la Palestine au Conseil Législatif Palestinien. Un des membres du groupe a voulu lui remettre en document en hébreu. Elle l’a refusé. Une femme soldat, a-t-elle rapporté, lui en a lu le contenu. Un policier l’a traduit en arabe.
Jarrar n’a pas porté attention aux détails mais au fond : les Forces de Défense Israéliennes l’expulsaient vers la ville de Jéricho en Cisjordanie, dans un délai de 24h. Elle a refusé de signer le document ; celui-ci est toujours chez elle.
Portant la signature du commandant des FDI pour la Cisjordanie, le Général de Division Nitzan Alon, l’ordonnance est datée du 15 août et a pour titre : « Ordonnance Relative aux Directives de Sécurité (version finale), Judée et Samarie (N°1651) », avec en sous-titre : « Ordonnance Spéciale de Surveillance ».
Le texte de l’ordonnance est le suivant : « Vu la qualité et la crédibilité des informations accumulées concernant Khalida Kana’an Muhammed Jarrar (ci-après le « sujet »), et après que j’aie été convaincu que des préoccupations sérieuses de sécurité l’exigent et que cela soit nécessaire et exigé pour des raisons décisives de sécurité, afin de maintenir la sécurité dans la région, j’ordonne par la présente que le sujet soit placé sous surveillance spéciale. Aussi longtemps que cette ordonnance demeure en vigueur, le sujet ne devra pas quitter le district de Jéricho sans permis de ma part ou de quelqu’un qui en ait mon autorisation. Cette ordonnance prendra effet une fois signée et demeurera en vigueur jusqu’au 29 février 2015 à 23h59. »
Jarrar a déclaré qu’elle n’obéirait pas à l’ordonnance de transfert.
Comparée aux meurtres et aux destructions que cette même armée perpétue à Gaza, la publication d’une ordonnance de transfert d’un militant politique est une broutille. La violence, dans le cas de Jarrar, est plus bureaucratique, moins physique (si l’on ne tient pas compte de l’intrusion dans un domicile privé). C’est vrai aussi si on la compare à la violence quotidienne des forces de défense sur des citoyens palestiniens de Cisjordanie. Cette violence est tellement entrée dans les habitudes et quotidienne qu’il est tenu pour acquis que ni la Chancelière allemande Angela Merkel ni le Président des Etats Unis Barack Obama ne se préoccupent de faire la moindre déclaration sur le droit du peuple palestinien à l’auto-défense.
Vendredi dernier, comme tous les vendredis, des soldats des FDI ont tenté d’arrêter des manifestations contre le vol des terres et les meurtres de masse à Gaza. À Kafr Qaddum, un jeune homme a été blessé à la tête par une grenade lacrymogène. Dans les autres villages selon des rapports, des manifestants ont été sous le choc des gaz lacrymogènes. Entre le 12 et le 18 août, les troupes de l’IFD ont blessé 139 Palestiniens dans des manifestations en Cisjordanie. Selon le bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires, 37 d’entre eux, soit 27%, ont été touchés par des tirs à vue. Les autres ont été blessés par des balles métalliques enrobées de caoutchouc ou par des gaz lacrymogènes.
Depuis le début de l’attaque dans le Sud le 8 juillet, les soldats et la police ont blessé 2139 Palestiniens en Cisjordanie. Depuis le début de l’année, les troupes de l’IFD ont blessé au total 3 995 Palestiniens dans cette partie du territoire occupé. Au total, l’année dernière, les soldats ont blessé 3 736 Palestiniens. Depuis le 8 juillet, les soldats de l’IDF ont tué deux enfants en Cisjordanie et quinze adultes, la plupart du temps dans des manifestations de soutien à Gaza. Une broutille.
L’ordonnance de transfert peut ne pas être de routine, mais les descentes de l’armée dans les maisons le sont. Comment ils sont ! Des enfants réveillés en panique dans leurs maisons par les coups frappés sur les portes, des tirs de carabine et des soldats masqués ou dont le visage est peint en noir. Entre le 12 et le 18 août, 91 descentes de ce genre ont été menées dans divers villages et quartiers. Cela fait en moyenne 13 descentes par nuit et, selon l’association des prisonniers palestiniens, les soldats de l’IFD et la police ont arrêté 111 Palestiniens la semaine dernière en Cisjordanie, dont 20 à Jérusalem. Depuis le début du mois d’août, les FDI et la police ont arrêté 477 Palestiniens en Cisjordanie.
Et cela, sans même mentionner les démolitions de maisons, le vol de terres et le harcèlement de la part des colons israéliens. OCHA rapporte six cas de harcèlement de Palestiniens par des colons avec y compris un tir à vue dans un village palestinien, du vandalisme, des jets de pierre et l’empêchement d’accéder aux terres. Les Israéliens ont également pris le contrôle des terres dans deux villages, probablement pour y ouvrir bientôt une cave à vins ou une laiterie produisant du lait de chèvre bio gourmet.
C’est vrai, les Palestiniens lancent des pierres et des bombes incendiaires sur les voitures des colons. On a entendu parler de fouilles et d’arrestations dans un village d’où une bombe incendiaire avait été lancée et blessé un colon. En revanche, on n’a pas entendu parler d’arrestations de colons qui ont tiré des coups de feu sur le village palestinien de Burin. Nous avons entendu parler du couvre-feu imposé au village de Hawara après une bombe incendiaire palestinienne lancée sur un colon.
Mardi dernier, Abou Fakher, de l’ancien village de Khirbet A-Twayel au sud-est de Naplouse, m’a appelé et a raconté comment des bulldozers de l’Administration civile des FDI avaient démoli deux très anciennes maisons de pierre. On peut en déduire que les autorités n’ont pas vraiment apprécié le fait que les propriétaires avaient rénové des structures qui témoignent des racines profondes de la présence palestinienne dans la zone. J’ai présenté des excuses à Abou Fakher en expliquant que les événements de Gaza m’avaient empêchée de creuser ce sujet et il a compris.
Il y a un grand nombre d’Israéliens qui pratiquent ces broutilles, dont ceux qui sont visibles (les soldats et la police) et les invisibles. Songez à tout ce que nous aurions comme chômeurs si ce n’était l’occupation : les avocats qui apportent la couverture légale, les rédacteurs de documents et les dessinateurs de cartes, les correcteurs et ceux qui tapent les ordonnances militaires et ceux dont le travail est de s’assurer qu’il y a assez d’encre et de papier dans les fax et les imprimantes. Et puis il y a les commandants, les chefs de bureau, les gens de la sécurité du Shin Bet, les chauffeurs, les inspecteurs et les membres du comité de l’Administration civile. Et songez aux pères, aux épouses et aux enfants qui attendent ces non-chômeurs pour le dîner du vendredi soir à la maison.
Traduction SF pour l’Agence Media Palestine
Source: Haaretz