Par GAJA PELLEGRIINI-BETTOLI
Bruxelles, le 6 janvier
Sept parlements européens ont voté l’année dernière en faveur de la reconnaissance de l’État de Palestine, tandis que la Suède franchissait réellement le pas.
Ces avancées reflètent la frustration face à l’expansion coloniale israélienne et au meurtre de civils par les Israéliens pendant la guerre de 50 jours sur Gaza l’été dernier.
Mais pour Raji Sourani, le plus important juriste palestinien des droits de l’Homme, les résolutions de l’UE ne réussissent pas à aborder les réels obstacles à la paix et risquent de perpétuer le statu quo.
« Nous saluons l’intérêt de l’Europe, mais pour qu’il ait un impact, il faut qu’il traite de la réalité sur le terrain », a-t-il dit à un observateur de l’UE dans une récente interview.
Sourani est le cofondateur et le directeur de l’ONG basée à Gaza, le Centre Palestinien pour les Droits de l’Homme (PCHR).
Il a vécu dans la Bande ces 37 dernières années, portant témoignage des différentes phases du plus long conflit du Moyen Orient.
Il a aussi été soumis à la détention administrative par les Israéliens et, comme il l’affirme, à la torture, dans une carrière qui l’a vu remporter le Prix 1985 du Mémorial Kennedy pour les Droits de l’Homme et l’a vu nommer Prisonnier de Conscience 1988 d’Amnesty International.
L’observateur de l’ONU l’a d’abord rencontré dans son bureau de Gaza 10 jours avant le début de l’attaque aérienne israélienne et son incursion au sol en juillet, auxquelles il faut attribuer plus de 2.000 morts, dont 80 femmes et enfants.
Parlant à ce site web après que le Parlement européen ait ajouté sa voix en décembre à celle des Etats européens favorables à la reconnaissance, il a listé cinq questions qui, dit-il, doivent être envisagées pour faire avancer la paix.
Reconstruction
Il a remarqué que la motion finale du parlement européen n’ pas fait mention du mot « blocus » en parlant de Gaza.
Il a dit qu’il faut assouplir le « blocus » ou « siège » israélien pour permettre la reconstruction d’après guerre et le redressement économique. Mais cinq mois après la fin de la guerre, la reconstruction n’a pas encore commencé.
« Malheureusement, la reconstruction est un mirage, elle n’arrive pas », a-t-il dit.
Il a décrit le « désastre économique » consécutif comme une création entièrement « politique », faisant remarquer que, dix ans plus tôt, Gaza avait découvert au large des champs de gaz qui pouvaient lui permettre l’auto-suffisance énergétique si Israël lui laissait une chance.
Il a aussi prévenu que l’ONU était en train de devenir un « appui » pour la puissance occupante.
Robert Serry, Coordinateur Spécial de l’ONU pour le Processus de Paix au Moyen-Orient, a marchandé les conditions du mécanisme international de reconstruction de Gaza.
Le soi-disant accord Serry grave dans le marbre le rôle de l’ONU dans « la recherche de ciment » – décidant qui obtient quoi à Gaza en ce qui concerne les matériaux de construction, les articles qualifiés « à double usage », et ceci avec la Cogat, autorité israélienne qui contrôle les mouvements de marchandises à l’entrée et à la sortie du territoire.
« L’institutionnalisation de l’accord ‘Serry’ fera de la reconstruction à Gaza un processus qui pourrait prendre jusqu’à quarante années », a dit Sourani.
Liberté
Il a dit que l’incapacité des Palestiniens à exercer leur droit à la liberté de circulation est aussi un point central du conflit.
« Jusqu’à quand va-t-on attendre de nous que nous soyons de ‘bonnes victimes’ sans dignité ? », a-t-il demandé.
Les premiers jets de la motion du parlement européen mentionnaient la possibilité de « réactiver et d’étendre la portée » de deux missions de l’UE – Eubam Rafah (qui pilote les mouvements de population) et Eupol Copps (les règlements de justice).
Mais, comme pour le « blocus », l’idée était de la faire disparaître du texte final pour permettre un compromis entre les groupes politiques.
Les gens n’ont que deux moyens pour sortir de Gaza : le passage d’Eretz vers Israël et Rafah à la frontière avec l’Egypte.
Mais Sourani a constaté qu’après la guerre, les passages ne fonctionnaient pour ainsi dire jamais.
Eretz n’a de toutes façons jamais vu passer plus qu’un filet de population, tandis que Rafah a réellement été fermé la plupart du temps depuis le cessez-le-feu du mois d’août – période la plus longue recensée.
Gouvernance
La motion finale de l’UE a mentionné « un soutien au gouvernement palestinien de consensus national » et a souligné l’importance qu’il y avait à « affermir son autorité dans la Bande de Gaza ».
Le langage témoigne du fait que les deux principales factions politiques de Palestine – le Hamas, qui gouverne Gaza, et le Fatah, qui contrôle la Cisjordanie – ont fait de vrais efforts pour que leur gouvernement d’union fonctionne depuis son lancement en avril.
Mais pour Sourani, le langage prudent de l’UE montre peu de compréhension devant l’effondrement politique sur le terrain.
Là où les députés parlaient de « consolider… l’autorité », Sourani parle de « fawda » – ce qui veut dire « chaos absolu » en arabe.
Il a remarqué que la dernière attaque d’Israël a aggravé la situation en accélérant le soutien populaire aux groupes radicaux.
Il a ajouté que le « chaos » sert les faucons israéliens en affaiblissant le Hamas et le Fatah, chez eux et sur la scène internationale.
« Alors que beaucoup de Palestiniens se sont déjà sentis abandonnés par les deux factions politiques, le conflit a redonné vie aux partis et groupes les plus radicaux » a-t-il constaté.
Frontières
« Dites moi, où sont vos frontières ? », demanda-t-il dans une question qu’il adressait à la fois à l’UE et à Israël.
La motion du parlement européen parle des « frontières de 1967, avec Jérusalem pour capitale des deux Etats, un Etat d’Israël en sécurité et un Etat palestinien indépendant, démocratique, mitoyen et viable, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité ».
Pour Sourani, cette déclaration aurait eu un sens en 1967 ou, au plus tard, en 1994, lorsque les soi-disant accords d’Oslo essayèrent de mettre en marche le processus de paix.
Mais il a constaté que le train actuel de l’expansion de la colonisation signifie qu’Israël retrace de facto les frontières « plus vite que l’encre ne peut sécher sur les rapports internationaux ».
Il a dit que les communiqués de l’UE qui ne parviennent pas à établir des limites spécifiques et réalistes font plus de mal que de bien en créant une ossature fictionnelle à la résolution du conflit.
« L’Europe a des responsabilités : Personne ne veut un Etat [palestinien] virtuel. »
Droits de l’Homme
Le juriste de 60 ans a réservé ses critiques les plus vigoureuses à ce qu’il appelle l’inobservation par Israël des règles juridiques.
Il a dit que, si le conflit devait enfin finir, il fallait le contrôler par « les règles de la loi, pas par la loi de la jungle ».
L’ONG de Sourani, le PCHR, a déposé 225 plaintes auprès du procureur général militaire d’Israël pour des crimes de guerre présumés pendant le conflit à Gaza de l’année dernière. Elle a déposé 1.060 autres plaintes pour indemnités de réparation auprès du ministère de la défense israélien.
Mais à regarder l’enregistrement fait par Israël, Sourani est très peu optimiste sur l’issue.
En observant à nouveau les précédentes incursions d’Israël sur le terrain – l’opération Plomb Durci en 2008/2009, qui a causé 1.400 morts – seules cinq des 492 plaintes déposées ont eu une issue positive.
Les cinq jugements ont vu les soldats des Forces de Défense Israéliennes – qui ont tué une Palestinienne non armée et sa fille qui agitaient un drapeau blanc – suspendus pour six mois seulement.
Processus illégitime
Sourani a remarqué que le processus israélien à venir est construit pour dénier toute justice aux Palestiniens.
Il a rappelé le fait que les Palestiniens, peuple parmi les plus pauvres du Moyen-Orient, doivent payer des « frais de garantie » aux tribunaux israéliens pour déposer plainte.
Dans une affaire de Plomb Durci, l’affaire « Soumani », dans laquelle les forces israéliennes avaient tué 27 membres d’une même famille, Israël a exigé 27 plaintes séparées, élevant ainsi les frais de garantie à plus de 100.000 $.
Souvent, les juristes du PCHR, les plaignants et les témoins ne peuvent pas aller au tribunal pour participer aux procès à cause des restrictions israéliennes sur la liberté de circulation, tandis que les délais pour déposer plainte font que 95 pour cent des plaignants ne peuvent arriver à temps.
Sourani a aussi prévenu qu’un récent amendement législatif israélien, connu comme l’ »amendement huit », va créer un nouvel obstacle.
Il a dit que ceci « valide le fait que, si Israël déclare un état de guerre, personne n’aura le pouvoir de tenir son armée et ses politiques pour responsables de leurs actions ».
Le juriste a aussi noté que, alors que l’UE critique régulièrement le meurtre de civils par les Israéliens, elle ferme les yeux sur leur mépris quotidien des droits de la population.
« C’est aussi une invitation à l’extrémisme. Les gens sont désespérés. Ils ne voient pas de justice. Ils ne voient pas d’espoir. On n’a pas besoin de tricher avec les règles judiciaires pour assurer la sécurité [d’Israël] », a-t-il dit.
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source: Eu Observer