Par Ben White, mardi 13 janvier 2015
Samedi dernier, immédiatement après les attaques de Paris, le premier ministre israélien Netanyahu a répondu aux événements sanglants en exhortant les Juifs de France à partir en Israël. « Je souhaite dire à tous les Juifs français et européens », a-t-il dit, « qu’Israël est votre pays. »
Un tweet de Netanyahu a repris cette idée : « A tous les Juifs de France, à tous les Juifs d’Europe… l’État d’Israël est votre pays. » Le ministre des Finances Yair Lapid a repris en écho cette opinion : « Les Juifs européens doivent comprendre qu’il n’y a qu’un endroit pour les Juifs, et cet endroit c’est l’État d’Israël. »
On comprendra mieux ces observations de trois façons. Premièrement, elles reflètent l’idée centrale du Sionisme politique – que les Juifs ne peuvent vivre en sécurité que dans l’État d’Israël. Le père fondateur du sionisme, Théodore Herzl, croyait que la seule solution à l’antisémitisme des sociétés européennes était que les Juifs quittent leurs pays pour un qui leur serait propre. Pourtant, comme l’a fait remarquer Brian Klug :
« Il y a là quelque chose d’ironique : c’est une matière première du discours antisémite que les Juifs sont un peuple à part, qui constitue ‘un Etat dans l’État’. C’est en partie la raison pour laquelle certains antisémites européens ont pensé que la solution à ‘la question juive’ pouvait être que les Juifs aient leur propre Etat. »
Et donc, Klug ajoute, « Herzl a certainement pensé qu’il pouvait compter sur le soutien des antisémites » pour son projet sioniste. (Notez bien qu’il n’y a eu aucune condamnation de ces déclarations de Lapid de la part de ces moniteurs de l’antisémitisme qui se replient dans la défense d’Israël.)
Deuxièmement, l’appel de Netanyahu à l’émigration massive reflète aussi la nature coloniale du sionisme politique tel qu’il s’est manifesté en Palestine. Créer un Etat pour un groupe de personnes sur une terre où vivait déjà un autre peuple n’a pas seulement entraîné des expulsions massives : cela a aussi traduit une obsession, passée et présente, pour la ‘bataille démographique’.
Un exemple frappant en 2013 : le gouvernement israélien approuva l’arrivée, selon la Loi du Retour dans son pays, de « Péruviens métis convertis ». Les nouveaux arrivés furent logés à Ramla – ville presque entièrement vidée des Palestiniens par le nettoyage ethnique de 1948.
Troisièmement, les déclarations de Netanyahu et d’autres dirigeants israéliens ces quelques derniers jours font partie d’un schéma plus large de grossier comptage de points de propagande. Aujourd’hui justement, un éminent éditorialiste israélien a écrit un article intitulé ‘La propagande anti-israélienne de l’Occident encourage la terreur.’
Comme l’a écrit Orly Noy dans +972, le premier ministre israélien cherche à « promouvoir un regard mondial selon lequel il n’y a pas de conflit national, pas d’occupation, pas de peuple palestinien et pas de mépris criant des droits de l’Homme » – simplement « des juifs et des Musulmans ».
Au mois d’août, l’ancien président du Congrès Juif Européen, Pierre Besnainou, a affirmé que « le rôle de l’antisémitisme dans la dernière vague d’immigration [juive] [de France en Israël] a été grandement exagéré. Cette donnée dépeint certainement une image complexe et peu claire.
Mais, selon les mots de l’écrivain Chemi Shalev dans Haaretz, en encourageant l’émigration massive des Juifs français, les dirigeants israéliens « pourraient fort bien aider les fanatiques terroristes à terminer le travail entamé par les Nazis et leurs collaborateurs de Vichy : rendre la France Judenrein ».
Comme l’a déclaré ce week-end le chef de l’Association Juive Européenne, le rabbin Menachem Margolin, Israël devrait « reconnaître que ce genre de déclarations… délivre un message qui encourage ces antisémites qui n’aimeraient rien de mieux que de voir la France libre de Juifs ».
Les efforts de Netanyahu pour exploiter les événements de Paris sont suffisamment maladroits pour être complètement contre-productifs, créant ce que la presse israélienne a appelé rien moins qu’un ‘désastre prépayé ». Un microcosme alors, de la recherche de traces par le gouvernement israélien ces dernières années – et une preuve supplémentaire du fait que la tactique qui consiste à répéter « ISIS » (l’Etat Islamique) encore et encore en se bouchant les oreilles est d’un intérêt plutôt limité.
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source: Middle East Monitor