Cette semaine, les autorités ont démoli des maisons dans le village bédouin non reconnu de Saawa – pour la quatrième fois.
Par Gideon Levy et Alex Levac | 28 février 2015 |
Salameh al-Kasasi est revenu dimanche de la Maternelle pour découvrir que sa maison avait été démolie. Il était parti de chez lui le matin et revenu à midi – vers rien. Quand son père est arrivé, après avoir été détenu par la police pendant 40 minutes, il a vu son fils debout sur un tas de décombres dans lequel il fouillait.
« Qu’est-ce que tu cherches ? » demanda-t-il à son petit garçon. « Ma tasse à thé jaune », répondit le garçon. On retrouva sa tasse préférée quelques minutes plus tard dans un amas de pierres qui était auparavant une maison.
Salameh est un garçon israélien de 4 ans, du village bédouin « non reconnu » de Saawa dans le Néguev. En 1952, le gouvernement israélien avait déplacé lels siens de la zone de Beit Kama – pour faire de la place pour un kiboutz – vers l’endroit où il est né. Maintenant, là encore, les autorités cherchent à en expulser sa famille. Israël a déjà démoli quatre fois ce tout petit village de Saawa, qui se trouve à l’est de la ville de Hura, et qui a été quatre fois reconstruit.
Quand nous sommes arrivés cette semaine, le lendemain de la dévastation, les résidents s’activaient déjà à déblayer les gravats et à combler les trous dans les maisons qui avaient été endommagées mais pas complètement détruites. Ici, il y a un tas de ruines à côté de presque chaque maison, comme un monument en souvenir de la maison ou un mémorial pour une pièce qui a été rasée. Certains datent des démolitions de cette semaine, qui sont la continuation d’un processus de dévastation commencé en décembre dernier.
A l’épreuve de l’expérience, les gens d’ici reconstruisent maintenant leurs maisons avec des composants bon marché, des panneaux de fer blanc, et les scellent avec des matériaux isolants. Le destin de leur petite enclave est scellé lui aussi, ils le savent. En conclusion de leur combat – qui est une cause perdue -, leur village deviendra probablement une plantation du Fond National Juif ou un site destiné à des habitations juives.
La piste bourbeuse qui conduit à Saawa est défoncée. Tout le long court une canalisation d’eau improvisée, percée sur toute sa longueur et qui fuit. L’électricité n’est pas fournie, et l’eau est amenée de Hura, sa voisine, au prix fort. Le soleil cogne sur la canalisation et la fait craquer. Un troupeau de chameaux se tient sur la crête ; les femelles s’agitent auprès de leurs nouveaux-nés, vision délicieuse. En fait, la seule vision heureuse que nous ayons eue cette semaine à Saawa.
Les maisons sont généralement bien tenues, autant qu’on peut l’attendre dans ces circonstances. Huit d’entre elles ont été rasées cette semaine. Environ 300 personnes au total vivent ici, 28 familles. Parmi elles, il y a Nawaf et Salam al-Kasasi, qui sont frères. La maison de Nawaf a également été détruite cette semaine.
Il porte une veste molletonnée du bataillon Yanshuf (Hibou) des Forces de Défense d’Israël, qui s’entraîne à la guerre nucléaire/biologique/chimique ; il travaille comme gardien de la sécurité à Jérusalem et sur la « ligne de jonction ». D’où la veste.
La plupart des hommes qui vivent dans cette enclave sont des travailleurs sous contrat dans les usines de brome de la région ou dans l’installation de déchets dangereux de Ne’ot Hovav.
Les problèmes qu’ils ont avec les autorités gouvernementales remontent aux années 1980 lorsque Israël a cessé de leur louer des terres agricoles. Il y a environ dix ans, ils avaient réclamé des titres de propriété sur la terre, jamais accordés. En 1991, tout le village a été rasé, et il a été à nouveau détruit en 1994, en 2004 et à nouveau maintenant.
La bataille judiciaire s’est poursuivie rapidement, jusqu’à la Cour Suprême, mais les habitants bédouins ont presque toujours perdu. Et pendant ce temps, les autorités ont continué sans répit leur harcèlement.
Les villageois disent que, ces derniers mois, des inspecteurs du Ministère de l’Intérieur sont venus dans leur petit hameau, pour prendre des photos, les surveiller et les perturber, presque tous les jours. Ils disent que, dans la dispersion bédouine, il y a en tout environ 1.000 familles qui sont prêtes à partir, mais pas dans les endroits où le gouvernement veut qu’ils aillent.
Les gens de Saawa, par exemple, disent qu’ils sont prêts à aller à Hura, mais pas dans Neighborhood 16 (Quartier 16) de cette ville où le tissu familial, communal et social ne leur est pas habituel. Mais le gouvernement insiste sur le seul Neighborhood 16. Ou vous allez au 16, ou nous démolissons vos maisons, leur disent les inspecteurs.
« Nous sommes les plus faibles, c’est évident », dit Nawaf. « La démolition d’une maison est rude, mais ici, nous choisissons le moindre mal. Détruire ma maison est moins terrible que détruire ma vie. Si je vais dans Neighborhood à Hura, ce sera pour la vie, et je détruirai ma vie et celle de mes enfants. Nous sommes prêts à déménager vers l’extension prévue de Hura, ou à Rahat, ou à Tel Sheva – n’importe où sauf à Neighborhood 16.
« Il faut qu’ils comprennent les gens ici », poursuit Nawaf. « Nous avons notre culture. Si je vis à Hura, je vais trouver des gens de ma race, de ma tribu. Ils ne sont pas à Neighborhood 16. Pourquoi ne suggèrent-ils pas que nous allions à Ashkelon ou à Ashdod ? Neighborhood 16 est situé en bordure nord de Hura et là, il n’y a pas de possibilité d’extension pour nos enfants, à cause de la frontière avec la communauté [juive] de Meitar. »
« Nous sommes prêts à accepter une solution. Nous ne voulons pas une solution à cent pour cent, mais nous en voulons vraiment une qui nous permette de vivre. Nous parlons de notre vie, de tout notre avenir. »
En décembre dernier, ils ont accompli, de leurs propres mains, le travail de démolition, une option proposée aux villageois s’ils veulent essayer de sauver quelques uns de leurs biens et des matériaux de construction. Environ la moitié des démolitions accomplies ces dernières années dans la dispersion bédouine l’ont été par eux mêmes. En décembre, quatre familles ont démoli sept structures – et puis ils les ont reconstruites.
« Au milieu de l’hiver, nous n’avons construit que ce qui était urgent, pour que les gens ne dorment pas dehors », nous racontent les frères Kasasi.
Mais dimanche dernier, les autorités ont à nouveau surgi. En réalité, les inspecteurs ont débarqué samedi, pour que les résidents de Saawa sachent que les naufrageurs arriveraient le lendemain. Huit structures résidentielles ont été complètement arasées.
Vers 9 heures du matin, de puissantes forces de police, dont quelques uns à cheval, sont arrivées accompagnées de canons à eau, ainsi que de personnel du Ministère de l’Intérieur et des bulldozers. Les travailleurs sous contrat, entrés pour faire la destruction, déplacèrent quelques biens personnels, mais les placards et les lits ont été écrasés sous les lourds engins, comme nous avons pu le voir de nos propres yeux. Les villageois n’ont pas résisté, ils se sont juste tenus là à regarder leurs maisons écrasées.
Nous avons marché entre les ruines – des tas de pierres et des panneaux de fer blanc. Que peuvent-ils dire à leurs enfants ?
« Ils posent des questions auxquelles nous n’avons pas de réponse », dit Nawaf. « Que pouvons nous leur dire ? Un enfant rentre de l’école et demande : ‘Où est notre maison ?’ Que pouvez-vous lui répondre. »
Et l’atmosphère ici sent la discrimination et le racisme, ambiance intensifiée par l’existence d’anciens kibboutzs dans cette zone, mais surtout par la proximité de fermes pour une seule famille juive, dont certaines construites sans permis, qui ont l’eau et l’électricité – et que personne ne démolit.
Nawaf dit : « Pourquoi n’avons nous pas le droit de construire des coopératives agricoles ? Tout le pays est plein de coopératives agricoles – et il n’y a que nous qui n’avons pas le droit ? N’est-ce pas du racisme ? Ne croyez pas ce qu’ils vous disent : Les Bédouins n »outrepassent’ pas leurs droits et ne ‘s’étendent ‘ pas. Si quelqu’un d’Omer [faubourg de Be’er Sheva] veut s’installer à Tel Aviv, personne ne le lui interdit. Evidemment, on a besoin de loi et d’ordre dans le pays, mais personne ne négocie avec nous. Avec nous n’existe que la coercition. »
D’après le rapport 2013 de la Direction Méridionale pour le Renforcement de la Législation sur la Terre, comme révélé par le Forum de Coexistence dans le Néguev pour l’Egalité Civile, qui documente sur les démolitions et aide les Bédouins dans leur combat : « Au total, 46 jours de démolitions – exécution (dont quatre jours de fumage de terre). Résultats de l’activité : 697 démolitions. » Entre juin 2013 et juin 2014, il y en a même eu davantage : 859 « résultats d’activité ». Dimanche de cette semaine, huit autres « résultats d’activité » ont été fièrement enregistrés.
En réponse aux questions de Haaretz, on a reçu la déclaration suivante du porte-parole du Ministère de l’Intérieur Efrat Orbach : « Huit structures illégales au nord de la route 31 ont été détruites cette semaine, en accord avec à la fois les ordres de démolition administrative et les ordres de démolition judiciaire venant de la Cour Suprême. La zone où se trouvaient les structures illégales n’était pas définie pour la construction résidentielle, mais pour l’agriculture. »
« Selon l’Autorité pour le Règlement de l’Installation des Bédouins, on a offert aux familles qui résident dans des structures illégales un certain nombre d’alternatives ; toutes furent rejetées. Les démolitions ont été menées à bien selon les règlements, par un adjudicataire. »
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source: Haaretz