Précaire et dangereuse : une journée dans la vie d’un pêcheur de Gaza

Mohammed Omer – Middle East Eye – 16 février 2015

Malgré l’accord de cessez-le-feu, la marine de guerre israélienne poursuit ses attaques contre les bateaux de Gaza dans la zone de pêche étendue, provoquant peur et privations.

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Des pêcheurs reviennent avec seulement une petite pêche et cela parce qu’ils ont été forcés de pêcher à proximité de la plage. (MEE/Mohammed Asad)

Après l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le gouvernement Hamas à Gaza, commencé en août, les Palestiniens étaient, au moins, censés être autorisés à naviguer jusqu’à six miles nautiques pour pêcher, au lieu de trois auparavant.

Mais la réalité pour les pêcheurs de Gaza, c’est qu’ils jouent à la roulette russe, un jeu effrayant et potentiellement meurtrier, car leurs tentatives pour joindre les deux bouts sont sabotées par les attaques de la marine de guerre israélienne contre leurs bateaux.

Décrivant un cauchemar qui a failli lui coûter la vie, le pêcheur Rami Al-Habbel déclare : « Nous avons été forcés de nous déshabiller complètement et de nager pour nous rapprocher du navire israélien ».

Ce père de 37 ans raconte comment la marine israélienne a fait feu sur son bateau de pêche le 26 janvier alors qu’il essayait de prendre du poisson. « Nous sommes heureux d’être encore en vie aujourd’hui, après cette expérience terrifiante. »

L’un des collègues pêcheurs de Rami raconte comment ce sont autour de cinquante personnes qui comptent régulièrement sur le bateau pour leur obtenir une nourriture dont elles ont impérieusement besoin. Les autres bateaux de pêche se sont regroupés pour tenter de porter secours à l’équipage du bateau en train de sombrer, après l’attaque d’Israël.

À l’achat, son bateau lui a coûté 500 000 $ (environ 476 000 €). Aujourd’hui, le coût des réparations est estimé à 40 000 $. Mais Habeel sait qu’il n’a pas les moyens d’acheter l’équipement nécessaire pour le reconstruire.

Le moteur du bateau, qui lui a coûté 13 000 $, est l’une des plus grosses pertes car il a gravement été endommagé par les tirs du navire israélien, dit-il.

Habeel n’est pas le seul à souffrir. Son ami, lui aussi pêcheur, a enduré les mêmes attaques israéliennes et a subi également de gros dégâts dans son équipement et son moyen de subsistance.

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La coque de ce bateau de pêche a été criblée de balles qui le mettent totalement hors d’état de naviguer. (MEE/Mohammed Asad)

Sufian Abu-Owda s’est trouvé confronté aux mêmes problèmes le 24 septembre, quand son bateau a coulé, attaqué par la marine israélienne. « Ils ont tiré sur nous, avec l’intention de couler le bateau, » dit-il.

Avec son travail et son moyen de subsistance anéantis par Israël, et sa famille contrainte à la pauvreté, il a le sentiment de n’avoir nulle part où aller et que personne ne le soutient après ses pertes.

Mais en dépit de la frustration et de la colère de Habeel, il est toujours content d’être en vie, avec son fils de 13 ans et ses quatre autres amis pêcheurs. « Pour survivre, nous n’avons que la mer comme option pour nos ressources, » dit-il tout en montrant la centaine de trous de sortie et d’entrée dans son bateau laissés par les balles d’Israël.

Après l’accord de cessez-le-feu en août, les Palestiniens sont, au moins, censés être autorisés à naviguer jusqu’à six miles nautiques pour la pêche, au lieu de trois auparavant.

« Nous n’avions rien fait pour provoquer la sécurité israélienne. Nous avons été pris par surprise et notre système GPS prouve que nous n’avions pas dépassé les 5,5 miles nautiques, » dit-il, avant l’arrêt du moteur du bateau et qu’ils soient forcés d’attendre du secours pour rentrer, après que le navire de la marine israélienne eut tiré à l’avant du bateau et sur ses bords.

Son ami d’ajouter : « À ce stade, nous avons reçu l’ordre de nous mettre nus et de monter sur le pont du bateau israélien » alors que celui-ci continuait à tirer sur le bateau de pêche jusqu’à ce qu’il commence à sombrer.

« En arrivant sur le bateau israélien, nous avons été questionnés sur nos noms et ceux des membres de nos familles, y compris de nos enfants – le lendemain, nous étions relâchés et nous avons dû revenir à pied chez nous. »

L’activité de la pêche rapporte à peine de quoi soutenir sa famille après avoir dépensé 1250 $ en équipement, et souvent il ne reste que 250 $ à diviser entre lui et les quinze autres pêcheurs. « Au mieux, un pêcheur arrive à gagner 6 $ par jour – ce qui est trop peu, mais nous ne nous plaignons jamais – c’est mieux que rien, » dit-il.

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Souvent les dégâts causés aux bateaux sont tels qu’ils ne sont pas réparables et laissent les pêcheurs sans moyens de subsistance. (MEE/Mohammed Asad)

Janvier, pour Habeel, n’a pas été un bon mois. Le 26, leur bateau a été criblé de balles par les Israéliens et le 3 janvier, ses cousins Khalid et Omar, trois et quatre ans, sont morts dans l’incendie d’une maison dans le camp de réfugiés d’Al-Shati dans le nord de la bande de Gaza, incendie provoqué par une panne d’électricité.

Le centre Al-Mezan pour les droits de l’homme a déclaré avoir ouvert une enquête sur les attaques sur la plage et le bateau par Israël, et il a exhorté la communauté internationale à protéger les pêcheurs et à leur permettre de se rendre dans les eaux palestiniennes.

« Ce sont des violations organisées contre les principes du droit humanitaire international et des droits de l’homme internationaux, » a déclaré Al-Mezan dans un communiqué de presse.

En attendant, Habeel sait que les dégâts causés à son bateau P00394 vont priver 50 membres de la famille d’un revenu de base, faisant d’eux un nouveau fardeau pour les groupes d’aides humanitaires. Habeel dit que c’est le seul métier qu’il connaît, qu’il a hérité de ses parents et grands-parents. Mais malgré les risques, il va le transmettre à ses enfants, parce qu’il n’y a pas d’autres choix à Gaza.

« Je souhaite qu’Israël nous laisse juste tranquilles pour vivre nos vies et nous assumer – nous laissons la politique à ceux qui veulent se battre, » dit-il.

Selon Nizar Ayesh, dirigeant du syndicat des pêcheurs palestiniens, ils sont 3500 pêcheurs à survivre grâce à l’industrie de la pêche dans l’enclave côtière de Gaza. En comptant les membres de la famille et les clients, c’est une population estimée à 30 000 personnes qui dépend de l’industrie de la pêche.

Pour Ayesh, les pêcheurs de Gaza, en moyenne, ne sont en mesure de pêcher qu’une demi-tonne de poissons chaque jour. Mais il y a beaucoup plus de poissons à pêcher en dehors de la zone de pêche limitée par Israël à six miles nautiques – une zone dont Ayesh dit qu’elle « aujourd’hui pratiquement épuisée », ou devenue très pauvre en poissons.

Les pêcheurs peuvent seulement prendre des sardines et les quelques autres sortes de poissons qui pénètrent à l’intérieur des miles limités. « Tous les autres poissons se trouvent au-delà des six miles, » dit Ayesh.

En attendant, Habeel a reconnu que lorsque l’ancien Président égyptien, Mohamed Morsi, était au pouvoir, le carburant parvenait à Gaza via les tunnels de contrebande et pour la moitié de son prix actuel, ce qui rendait le travail plus abordable.

Les pêcheurs pouvaient alors pêcher dans les eaux égyptiennes au-delà de la limite de six miles. Pour Habeel, c’était – relativement – des « jours dorés », auxquels les pêcheurs de Gaza voudraient bien revenir.

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Les pêcheurs prennent soin de leurs filets sachant qu’un matériel endommagé nuira à leur capacité de soutenir leurs familles. (MEE/Mohammed Asad)

Source: Middle East Eye

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

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