Charlotte Silver, Electronic Intifada, Rafah le 18 juin 2015
Des Palestiniens faisant la queue au poste frontière de Rafah le 14 juin. Ashraf Amra APA images
Fahad était debout sur ses béquilles au terminal de Rafah, le poste frontière entre Gaza et l’Egypte, son pied droit enveloppé de bandages. Il attendait l’appel de son nom.
Fahad, un jeune homme de 27 ans, habitant la cité du nord de Beit-Hanoun, est l’un des plus de 3000 Palestiniens espérant passer en Egypte pour recevoir des soins médicaux indisponibles à Gaza.
La jambe droite de Fahad a été sérieusement blessée quand il a été atteint par un éclat d’obus pendant l’offensive israélienne l’été dernier. A l’époque, il avait été expédié par Rafah pour recevoir des soins en Egypte. Mais une fois revenu à Gaza, il a été incapable d’obtenir le nécessaire traitement de suivi.
Maintenant Fahad, qui ne veut pas que son nom apparaisse, a été informé par ses médecins à Gaza que la seule option qu’ils puissent lui fournir est d’amputer sa jambe.
L’Egypte a laissé le poste frontière de Rafah – le seul passage de la frontière pour la vaste majorité des 1.8 millions d’habitants de Gaza – presque complétement fermée pendant plus de sept mois. Le président égyptien Abdulfattah al-Sisi a fermé Rafah en octobre dernier à la suite d’attaques contre des militaires égyptiens dans le Sinaï.
La frontière a été ouverte, dans les deux directions, seulement pour cinq jours pendant cette période. Quand l’Egypte a récemment annoncé qu’elle ouvrirait ses portes pour seulement trois jours, la liste de Palestiniens attendant de passer a atteint les 15000.
Le système de soins de Gaza a subi de sévères restrictions depuis qu’Israël et l’Egypte ont fermé les accès à Gaza après que le Hamas ait obtenu le pouvoir par la voie électorale en 2006, puis pris le contrôle des affaires intérieures en 2007. Même avant le siège, les Palestiniens de Gaza comptaient sur le passage de la frontière pour recevoir des traitements spécialisés.
Mais durant les huit dernières années, les patients de Gaza ont trouvé de plus en plus difficile, voire impossible, de recevoir un permis médical de sortie.
Des tickets d’entrée pour passer les premiers
Les étudiants, les personnes sous certaines conditions médicales et les Palestiniens de nationalité étrangère peuvent demander au ministère de l’intérieur de Gaza un permis de sortie. Quand l’Egypte ouvre la frontière, le ministère publie sur son site web les noms de ceux qui sont autorisés à sortir.
Selon Gisha, un groupe israélien qui surveille les mouvements de population à Gaza, un comité spécial interne au ministère de l’intérieur détermine et priorise les besoins – qui ne sont pas tous médicaux – et place ceux qui sont jugés les plus urgents dans les premiers départs.
Mais la foule de personnes assises au poste de Rafah ce dernier lundi après-midi disaient que c’était ceux qui avaient payé une jolie somme aux autorités égyptiennes qui pouvaient passer les premiers.
« Je n’ai pas les moyens de payer les les autorités égyptiennes », disait Fahad. Il était supposé passer dimanche.
Fahad estimait que ceux qui avaient été autorisés à traverser les premiers avaient payé plus de 4000$.
Il y a seulement deux ans, selon Gisha, il en coûtait aux Palestiniens autour de 100$ pour s’arranger avec les autorités égyptiennes. Mais avec un climat politique de plus en plus dangereux pour les Palestiniens en Egypte et la fréquence fortement réduite des ouvertures de la frontière, le coût a explosé.
Depuis que al-Sisi est devenu président de l’Egypte, les gens payent maintenant jusqu’à 1000$, selon Isra al-Modallal, un journaliste et ancien porte-parole du gouvernement conduit par le Hamas. Mais al-Modallal affirme que cette valeur peut encore augmenter.
« Les gens ne veulent pas attendre et rater leur chance de sortir maintenant que la frontière n’est jamais ouverte » explique al-Modallal à l’Electronic Intifada. « Les gens ne savent pas quand elle va être ouverte de nouveau ».
Brutale répression
Al-Sisi a depuis ajouté quatre jours d’ouverture supplémentaires de la frontière. Des 15000 personnes essayant de la franchir cette semaine, seules 1850 ont pu le faire les trois premiers jours.
Selon les statistiques recueillies par Gisha, après que Muhammad Morsi, le président de l’Egypte élu démocratiquement, ait été renversé à l’été 2013, le nombre de personnes autorisées à transiter par Rafah a dramatiquement baissé.
Pour la première moitié de 2013, une moyenne de 20 348 personnes a quitté Gaza par Rafah chaque mois. En 2014, la moyenne mensuelle a chuté à 3120 – une réduction de 85%.
L’ouverture de la frontière cette semaine a conduit certains observateurs à entrevoir un réchauffement des relatios entre Hamas, un mouvement nationaliste qui possède des racines historiques parmi les Frères Musulmans d’Egypte et al-Sisi, dont le gouvernement a ordonné une répression brutale contre ce parti depuis son arrivée au pouvoir.
Le poste de Rafah affiche les dommages qu’il a subi lors de la guerre de l’été dernier. Les chaises en plastique sont fissurées, le s panneaux du plafond sont percés de trous dont pendent des fils et des cordons. Les vendeurs de nourriture et de boissons fourmillent autour des gens qui attendent assis, stoïquement, des emballages de nourriture éparpillés autour de leurs pieds.
Les familles possédant de grandes valises remplies de façon optimiste, les citoyens égyptiens piégés à Gaza et les groupes d’hommes et de femmes qui s’ennuient attendent tous dans la chaleur que leur nom soit appelé.
Une annonce par haut-parleur dit que le prochain bus transportera ceux qui se sont « coordonnés avec l’Egypte ». La plupart des gens qui attendent restent assis.
Ahmed Ismail al-Hajouj traversait avec sa femme, Camila, qui avait attendu des mois pour une transplantation de rein. Il y a huit mois, les médecins affirmaient que l’opération était urgente.
Maintenant, elle gît sur le sol et apparaît dormir. Mais son mari explique qu’elle ne dort pas. Pour se préparer à sa journée de traversée, elle a arrêté de prendre ses médicaments parce qu’ils l’obligent à utiliser les toilettes toutes les cinq minutes. Et lorsque Camila arrête ses médicaments, elle tombe dans un état proche du coma.
« Les personnes qui se sont arrangées avec l’Egypte partent les premiers », dit Ismail, en colère. « Nous nous sommes coordonnés avec le ministère de la santé mais tout ce qu’ils nous ont donné est un morceau de papier ».
Charlotte Silver est une journaliste de San Francisco.
Traduction: Roger M. pour l’Agence Média Palestine
Source : Electronic Intifada