Nadim Nashifi – Dalal Hillou – The Huffington Post
Au cours des 60 dernières années, les populations arabes bédouines palestiniennes du désert du Néguev, dans le sud d’Israël, ont lutté pour simplement rester sur leur terre, confrontées à une discrimination et à la menace d’être déplacées. Pour les habitants d’Umm al-Hiran dans le sud du Naqab – le terme arabe pour Néguev -, se rapproche le moment de l’issue d’une bataille juridique longue de 12 années contre la démolition.
Le sort d’Umm al-Hiran nous importe, à nous l’Association Baladna de la Jeunesse arabe, comme il importe à tous les autres citoyens palestiniens d’Israël. Nous représentons 20 % de la population d’Israël, et pourtant notre capacité à construire et à vivre sur notre terre est précisément un, parmi tant d’autres, des droits qui sont violés par tous les gouvernements israéliens successifs, comme l’ont documenté de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme, telle Adalah – le Centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël.
Les habitants de l’actuel Umm al-Hiran ont déjà été déplacés ici par l’armée israélienne en 1956, huit ans après la Nakba (Catastrophe) de 1948, durant laquelle 700 000 Palestiniens ont été chassés de leurs terres. Vers la fin des années soixante, Israël a adopté une politique pour délocaliser les Bédouins à l’intérieur de sept villes établies par le gouvernement israélien et onze villages reconnus, afin de dégager la voie pour le développement des seules communautés juives et de l’infrastructure pour les soutenir. Plusieurs communautés bédouines, comme Umm al-Hiran, ont refusé les offres israéliennes pour des terrains dans ces ghettos conçus pour elles. Le bail de la terre publié par l’administration d’Umm al-Hiran a constitué une base pour contester juridiquement les ordonnances d’expulsion et de démolitions rendues en 2003 et 2004. Le seul déplacement que les villageois sont disposés à faire est le retour sur leurs terres ancestrales, quitte à vivre à côté du kibboutz qui y a été installé depuis.
Umm al-Hiran n’est pas seul dans sa lutte. Des dizaines de villages bédouins du Néguev ne sont pas reconnus par l’État d’Israël. Pendant des décennies, ces villages non reconnus se sont battus, jour après jour et au sein du système judiciaire, pour leurs droits fondamentaux comme l’électricité, l’eau, l’inscription dans les écoles avoisinantes, et pour la construction d’installations comme des terrains de jeu, des parcs et des cimetières. Collectivement, les villages arabes bédouins sont les communautés les plus pauvres d’Israël. Les écoles primaires y sont rares et il n’existe aucune école secondaire dans les villages, l’accès aux services de santé y est très difficile, et la plupart des villages ne sont pas accessibles par des routes bitumées. Bien que l’un des plus importants villages, Wadi al-Na’am ne dispose d’aucun moyen de transport public, aucun service d’urgence, aucune école secondaire, alors qu’il compte plus de 10 000 habitants.
Le 5 mai 2015, Umm al-Hiran est arrivé au terme de la procédure d’appel après que le système judiciaire israélien eut condamné le village à la destruction. Une colonie juive israélienne, appelée Hiran, doit être construite à sa place, et les familles religieuses-nationales qui souhaitent y vivre recevront des subventions du gouvernement.
À proximité du village d’Al-Araqib s’est engagée une autre forme de résistance non violente, reconstruire après la démolition. Umm al-Hiran a un statut juridique unique parmi les villages bédouins du Néguev, mais pour des villages comme Al-Araqib, reconstruire est le seul moyen qu’ils ont de rester sur leur terre : les villageois d’Al-Araqib ont fait face à la destruction délibérée de leur maigre infrastructure et de l’ensemble de leurs habitations à environ 83 reprises en cinq ans. Et pourtant, à chaque fois, ils ont reconstruit. Puis, début mai, l’État israélien a intenté un procès à Al-Araqib, exigeant de lui 500 000 dollars pour couvrir le coût des démolitions pour Israël. La persécution est impitoyable.
Ce qui se passe à Umm al-Hiran et à Al-Araqib se passe aussi à Jérusalem, en Cisjordanie, et dans les villes arabes d’Israël, comme Dahmash et Kafr Kana. Dans un parallèle saisissant, le village cisjordanien de Khirbet Susiya, en Zone C, peut être détruit à tout moment, faisant alors de ses habitants des sans-abri, et ouvrant la voie à une colonie juive. Comme pour beaucoup d’autres villages non reconnus en Zone C, en Cisjordanie, ses structures ont déjà été démolies à plusieurs reprises.
Les politiques méthodiques de l’État d’Israël ont, pendant des décennies, perpétué un modèle de déplacements et de discriminations qui parque la population palestinienne à l’intérieur de limites de plus en plus réduites de terre. En d’autres termes, le nettoyage ethnique de la Nakba se poursuit encore à ce jour.
La stratégie de recolonisation de peuplement du Néguev a subi un revers en 2013, quand l’infamant Plan Prawer a dû être suspendu, en partie à cause des manifestations généralisées et de la critique internationale. Le projet de loi déposé envisageait d’expulser de force des dizaines de milliers de Bédouins et de démolir des dizaines de leurs villages. Les jeunes ont organisé des manifestations à travers tous les territoires palestiniens et des groupes de défense des droits de l’homme ont coordonné des actions de solidarité internationale pour mettre un terme au projet. Cependant, et alors qu’il est mis de côté, les objectifs du Plan sont en cours de réalisation, à une échelle plus petite et plus discrète, avec les démolitions de maisons.
Alors que les voies judiciaires de résistance sont maintenant épuisées pour Umm al-Hiran, les marches de protestations ont déjà commencé. Si elles ont du succès, leurs exigences trouveront un écho dans les capitales du monde, dans les gouvernements et dans le mouvement de la solidarité internationale. Les démolitions de maisons, les déplacements forcés et les dépossessions sont des formes d’un nettoyage ethnique qui se poursuit. Ils continuent d’être parmi les problèmes palestiniens les plus urgents aujourd’hui, et ils doivent être arrêtés.
Nadim Nashifi est un militant politique d’Al-Shabaka : le Réseau politique palestinien, et il est directeur de Baladna : l’association pour la Jeunesse arabe.
Dalal Hilloul est un américano-palestinien qui a la passion du droit et de la justice sociale, et il est actuellement en stage à Baladna.
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Source: Huffington Post