Par Ben White, mercredi 15 juillet 2015
Dimanche, des policiers en civil de la police des frontières israélienne ont fait une perquisition dans le camp de réfugiés de Shuafat, une zone de Jérusalem-Est occupée bloquée par le Mur de séparation, pour arrêter un individu.
Face à la résistance de certains habitants, les forces de l’ordre en civil ont appelé du renfort et un grand nombre d’agents israéliens en uniforme sont entrés dans le camp. Pour « extraire les policiers en civil et le détenu », la police a utilisé « du gaz lacrymogène, des balles en caoutchouc et des grenades assourdissantes ».
Nafaz Damiri faisait ses courses à Shuafat quand la perquisition a eu lieu. Alors qu’il avait pris refuge dans un supermarché, il a reçu au visage une balle en caoutchouc tirée par les forces israéliennes. Le père de famille de 55 ans, né sourd et muet, a maintenant perdu son œil droit.
Après la perquisition, la police israélienne a tweeté le message ci-dessous (remerciements à Sol Salbe pour la traduction) :
Pendant l’arrestation d’un suspect à Shuafat, des dizaines de résidents ont commencé à jeter des pierres sur les agents de la police des frontières. La police a fait l’usage de moyens [non précisés] et sont partis avec le détenu. Plus tard, un manifestant a été évacué pour être soigné.
L’article ci-dessous a été également publié sur le site internet de la police israélienne à 18 heures.
Pendant l’arrestation d’un suspect au camp de réfugiés de Shuafat, des dizaines de résidents ont commencé à jeter des pierres sur les agents de la police des frontières pour tenter de les empêcher de conduire le détenu au poste. Les troupes ont utilisé des moyens [non précisés] et sont parties avec le détenu sans faire de victimes. Plus tard, un manifestant disant avoir été blessé pendant le transfert a été évacué.
Des preuves en vidéo
Dans la version des faits des autorités israéliennes, alors que des « dizaines » de Palestiniens jetaient des pierres sur les forces de sécurité, un « manifestant » a été blessé. The Jewish Press, site d’informations de droite basé aux Etats-Unis, a dit de Damiri qu’il était « l’un des émeutiers ».
Les déclarations de la police ont vite été contredites puisque l’enregistrement d’une caméra de surveillance montre que Damiri a en fait été touché alors qu’il se trouvait simplement dans le magasin. C’est la deuxième fois en moins de 24 heures qu’une histoire montée de toute pièce par les forces israéliennes suite à des blessures infligées à des Palestiniens a été révélée.
Dimanche, B’Tselem a diffusé une vidéo des instants précédant le meurtre de Muhammad Kasbeh, un Palestinien de 17 ans, par le colonel de l’armée israélienne, Yisrael Shomer. Kasbeh a été tué le 3 juillet à Al Ram, près du checkpoint de Qalandiya.
A l’époque, le porte-parole des FDI a affirmé que le Colonel Shomer s’était « senti en danger de mort et avait appliqué la procédure pour arrêter les suspects. Des responsables anonymes ont dit à la presse que les jets de pierre n’étaient rien de moins qu’une embuscade organisée par « plusieurs Palestiniens » qui jetaient des « pierres et des cailloux ».
Cette vidéo, cependant, confirme ce qu’ont déclaré les témoins et le certificat médical indique que le commandant est sorti de la jeep et a tiré intentionnellement sur l’adolescent en fuite trois fois par derrière. L’incident dure environ 30 secondes, à partir du moment où Kasbeh jette une pierre sur la jeep jusqu’à ce que les soldats reviennent à leur véhicule et reprennent la route.
Des balles en caoutchouc « non meurtrières »
Dans un article sur la perquisition dans le camp de Shuafat de dimanche, The Times of Israel a qualifié les balles en caoutchouc d’« armes moins meurtrières ». En fait, à la fin du mois d’août dernier, Mohammad Sunugrut, un jeune Palestinien de 16 ans, a été tué par une balle en caoutchouc à la tête dans le quartier de Wadi Joz à Jérusalem-Est – les résultats de l’autopsie contredisent les déclarations de la police selon lesquelles il était tombé et s’était cogné la tête.
La police a utilisé ces balles pendant des mois « sans émettre de règlement quant à leur utilisation ». Une association des droits de l’homme a recensé 17 cas de Palestiniens à Jérusalem-Est qui ont été blessés par des balles en caoutchouc l’année passée (avant l’agression de dimanche à Shuafat), 12 d’entre eux ont été victimes de fractures et/ou d’une perte de la vue causés par un tir à la tête. La plus jeune des victimes avait seulement 6 ans.
En novembre dernier, les forces israéliennes ont tiré sur Muhammad Abu Al Hummus, 11 ans, au visage et à bout portant, le rendant aveugle de l’œil gauche. A l’œil droit, sa vue a été aussi « gravement endommagée ». L’agression a eu lieu à Issawiya, zone de Jérusalem-Est occupée, pendant des manifestations d’habitants contre « la fermeture de trois des quatre entrées du village par les forces israéliennes ».
Dans un incident encore plus dramatique le 31 mars de cette année, Zakariya Julani, un adolescent de 13 ans du camp de réfugiés de Shuafat, a perdu un œil après avoir été victime du tir d’un officier de la police des frontières. D’après la famille et les amis de l’adolescent, Zakariya s’est fait tirer dessus alors qu’il rentrait de l’école. Il n’y avait aucun trouble dans le secteur à l’époque.
Viser des civils à balles réelles
Pendant ce temps, en Cisjordanie, l’utilisation de balles réelles du Colonel Shomer pour tuer un civil palestinien non armé est terriblement fréquent. Par exemple, le 18 mars, les forces d’occupation israéliennes ont tiré sur Ali Mahmoud Safi, 20 ans, à la poitrine pendant les manifestations dans le camp de réfugiés de Jalazun, près de Ramallah. Il est décédé plus tard à l’hôpital.
Entre-temps, le 27 avril, dans le village d’Al Araqa près de Jénine, Muhammad Murad Muhammad Mustafa Yahiya, 18 ans, s’est fait tirer dessus dans le bas du ventre et est mort à l’hôpital. L’adolescent s’est fait tirer dessus pendant les affrontements avec les forces d’occupation israéliennes près du Mur de séparation.
Il y a deux semaines, l’ONG israélienne pour les droits de l’homme B’Tselem a révélé qu’elle a recensé au cours de ces derniers mois des « dizaines » de cas de « Palestiniens blessés, certains gravement, par des balles réelles des forces de sécurité israéliennes », parmi eux Muhammad Hamad, 11 ans, blessé au ventre pendant une manifestation le 13 mars dans le village de Silwad.
Selon la Commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, dont le rapport a été publié récemment, entre le 12 juin et le 26 août 2014, les forces israéliennes ont tué 27 Palestiniens, dont 5 enfants, et en ont blessé 3100 autres, dont 460 enfants. Près d’un quart des blessures des Palestiniens étaient dues à l’utilisation par les forces israéliennes de balles réelles.
Impunité et justice internationale
Les soldats israéliens qui ont la gâchette facile savent qu’il n’y a pratiquement aucun risque d’être tenu de rendre des comptes pour les meurtres et les mutilations de civils palestiniens. Rien que le mois dernier, l’armée israélienne a décidé de n’engager aucune poursuite dans l’affaire d’un jeune de 14 ans tué par balles dans une embuscade devant le Mur de séparation et a aussi classé sans suite l’enquête sur le meurtre de deux adolescents palestiniens par les FDI à Iraq Burin en 2010.
Il n’est donc pas étonnant que dans l’affaire du meurtre de Mohammad Kasbeh il y ait peu d’espoir de voir la police militaire mener « une enquête efficace et impartiale ». En effet, l’impunité dont jouissent les forces armées israéliennes dans les affaires de meurtres de civils palestiniens en Cisjordanie est considérable à la lumière de l’examen préliminaire réalisé actuellement par la Cour pénale internationale (CPI).
Comme l’a expliqué récemment Fatou Bensouda, procureur de la CPI, l’un des « principes fondamentaux du Statut de Rome » est « la complémentarité ». Ce qui signifie que c’est seulement quand les autorités nationales n’ont « ni la volonté ni la capacité de mener réellement des enquêtes et d’engager des poursuites » que « le Statut de Rome autorise la CPI à intervenir ».
Dans le but de prouver l’intégrité de ses propres procédures d’enquête, Israël s’est penché principalement sur des incidents qui sont survenus dans un contexte d’hostilités dans la bande de Gaza. Cependant, l’impunité dont jouissent ceux qui ont commis des crimes de guerre n’est que tout autant prouvée – sinon plus – par les atrocités d’Israël en Cisjordanie.
Du colonel à l’appelé, il y a une absence systématique de responsabilité pour ce qui ressemble à des meurtres intentionnels – des crimes de guerre. Comme l’a dit Amnesty International l’année dernière, la fréquence des tirs et « l’impunité dont jouissent leurs auteurs » montre la violence meurtrière qui est utilisée « comme stratégie ».
Si la CPI ouvre une enquête approfondie sur les éventuelles violations du droit international dans les territoires palestiniens occupés, les responsables israéliens ne seront pas seulement impliqués dans les dégâts matériels de Gaza ; mais également dans le deuil des familles des villes, villages, camps de réfugiés de Cisjordanie dont les proches ont été abattus par une armée d’occupation qui tire, ment, puis classe le dossier sans suite.
Traduction: EC pour l’Agence
Source: Middle East Monitor