En dépit de ses vœux, l’UE ne fait que renforcer l’occupation

Par Noam Sheizaf, 16 juillet 2015

L’Union Européenne substitue le dialogue à la pression sur Israël. Comment pourra-t-elle autrement continuer à construire des écoles et des panneaux solaires dans les territoires occupés ?

Benjamin Netanyahu, on the right, and Federica Mogherini

Federica Mogherini, chef de la Politique Etrangère de l’UE, avec le Premier Ministre d’Israël, Benjamin Netanyahu, à Jérusalem, le 11 juillet 2014 (photo UE).

L’Union Européenne est actuellement l’une des institutions les plus diabolisées en Israël, et cette haine ne vient plus seulement de l’extrême droite. La présomption qui se développe dans le courant principal israélien est que l’UE développe une prévention contre Israël, qu’elle soutient différentes formes de sanctions et de boycotts et qu’elle essaie d’isoler Israël et de l’obliger à se retirer des territoires occupés.

La vérité est entièrement différente. Alors que l’UE pourrait soutenir la solution à deux Etats et que les chefs de ses Etats membres sont bien plus engagés vers deux Etats que l’administration Obama, elle est en même temps l’une des institutions qui aide le plus Israël à maintenir le statu quo en Cisjordanie et à Gaza.

Le but de la politique d’Israël est de maintenir dans les territoires occupés la réalité actuelle, par laquelle Israël dirige effectivement la Cisjordanie, continue de soutenir la croissance coloniale, jouit de la tranquillité grâce à la coopération sécuritaire de l’Autorité Palestinienne qui permet aux FDI d’agir librement. Et tout ceci sans avoir à supporter le coût réel de l’occupation, surtout depuis que des institutions étrangères financent l’Autorité Palestinienne, entraînent ses officiers de police, préviennent le chaos dans les camps de réfugiés et maintiennent les infrastructures civiles.

L’UE est l’un des soutiens du statu quo. En réalité, l’UE a construit deux fois l’AP – d’abord après Oslo, et à nouveau après qu’Israël ait détruit les infrastructures civiles des territoires occupés pendant la seconde Intifada. Depuis lors, Israël a assumé de moins en moins de responsabilités envers la population civile sous sa juridiction (sauf dans la zone C de Cisjordanie, où une annexion rampante est devenue la norme). Le vide est rempli par des organisations d’aide et des ONG – agences de développement de l’ONU, projets de l’UE et de l’USAID, etc.. Leur influence va au-delà du maintien de l’occupation et alimente tous les aspects de la responsabilité israélienne envers des millions de civils palestiniens sous leur autorité.

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Des policiers palestiniens retiennent des manifestants lors d’une démonstration contre la visite du président américain Barak Obama en Cisjordanie, à Ramallah, le 21 mars 2013 (photo Keren Manor/Activestills.org).

La volonté d’Israël est de laisser ces organisations travailler librement, tant qu’elles font la différence entre leurs activités humanitaires/civiles et les aspects politiques de leur travail. Si elles s’écartent de leur mandat, l’État les attaquera violemment, déclarant les membres de ces organisations « persona non grata » et rendant leur fonctionnement difficile.

Les diverses ONG et agences de soutien dressent beaucoup de restrictions envers les Palestiniens avec lesquels elles travaillent – ils ne peuvent appartenir à certains partis politiques, ni avoir des convictions, etc.. Il en résulte un « environnement stérile » qui ne menace pas l’occupation. La structure traditionnelle de la société palestinienne en Cisjordanie (qui a mené la révolte populaire de la Première Intifada) est peu à peu remplacée -du moins en certains endroits- par une société qui dépend largement des ONG, ce qui sert les intérêts du régime militaire.

Ainsi, l’UE et les Nations Unies maintiennent la réalité sur le terrain et, ce faisant, subvertissent leur but déclaré : l’établissement d’un Etat palestinien. A Bruxelles, beaucoup de gens le comprennent très bien. J’ai entendu un jour Christian Berger, directeur du Bureau de l’UE de Cisjordanie et de la Bande Gaza (et l’un des principaux soutiens de la politique étrangère de l’UE envers Israël et les Palestiniens) se plaindre du rôle de l’Europe dans le financement du statu quo dans les territoires occupés. Mais le mécanisme du consensus européen, ajouté à une répugnance profonde, fondamentale à entrer en conflit avec Israël (et parfois avec les USA) aide au maintien de cette réalité.

Le nouveau forum de dialogue israélo-européen, dont Barak David a parlé plus tôt la semaine dernière dans Haaretz, est un exemple parfait de cette dynamique. A priori, l’intention première qui se cache derrière ce dialogue est compréhensible. Comme les Etats-Unis, personne en Europe ne croit qu’un accord sur un Etat palestinien n’est proche, et donc le but de la politique actuelle est le maintien de la réalité actuelle tout en empêchant l’effacement de la Ligne Verte ou le renforcement de la politique coloniale. C’était le point de départ du dialogue minimum avec Israël. Mais, selon Ravid, le souhait du gouvernement israélien se limite à parler des projets civils de l’UE, plutôt que des questions politiques telles que la construction de colonies ou l’expropriation de terres.

Désormais, l’utilité de ce dialogue sera d’une part de remplacer la pression sur Israël et d’autre part de fournir un moyen de négociation au service des intérêts politiques d’Israël. Israël peut profiter des fruits de ces projets européens en Cisjordanie, mais il les utilisera comme des éléments de négociation contre des démarches diamétralement opposées aux intérêts de l’occupation. L’UE veut construire une école ou un site de panneaux solaires ? Pour obtenir l’accord des autorités, l’UE devra se tenir aux côtés d’Israël sur les sujets qui lui importent, tels que les rapports de l’ONU ou de la CPI. Pour le dire simplement : le droit de financer l’occupation contre un accord sur le fait que l’UE n’agira pas contre lui.

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Des Palestiniens passent le checkpoint de Qualandiya entre la ville cisjordanienne de Ramallah et Jérusalem pour aller prier à la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, le troisième vendredi du saint mois du Ramadan, le 3 juillet 2015 (photo : Yotam Ronen/Activestills.org).

Cela peut durer encore de nombreuses années. Chaque nouvelle génération de politiques européens se persuadera qu’investir économiquement dans les territoires occupés fait partie du projet d’ « établissement d’un Etat » ou constitue un « soutien à la société civile palestinienne », et se substitue donc légitimement à l’investissement de leur capital politique dans la tentative de mettre fin à l’occupation. Les leçons de ces 20 dernières années, qui nous apprennent qu’on ne peut pas construire un Etat sous occupation militaire, joueront toujours un rôle secondaire dans les besoins politiques du leadership européen.

Ironiquement, c’est la paranoïa de la Droite israélienne, qui cherche à se défaire de la présence de l’Europe en Israël et dans les territoires occupés, qui dresse des obstacles aux arrangements actuels. Si la Droite réussit à obliger les Européens à perdre leurs projets et à cesser de financer l’Autorité Palestinienne, la dépendance de l’UE au bon vouloir du gouvernement israélien diminuera de façon significative. Cela ne ferait qu’accroître la probabilité d’un affrontement. Je soupçonne Netanyahu de le comprendre et donc de laisser ses ministres de droite s’exprimer contre l’Europe, tandis que, de son côté, il renforce la coopération et le dialogue avec l’Union Européenne.

C’est une des raisons pour lesquelles, contrairement aux prédictions de la presse israélienne, je ne crois pas que le monde va nous obliger à mettre fin à l’occupation dans un futur proche (personne ne peut préjuger de l’avenir à long terme). Netanyahu a pu reformuler les relations avec l’Occident selon un arrangement fondé sur une coopération utile au premier chef à Israël. Le prix politique qu’il paie est supportable, surtout si on le compare au prix qui consiste à mettre fin à l’occupation. Bibi est aidé par le tumulte régional, qui a renforcé le désir de stabilité chez les acteurs locaux et internationaux. Même le Hamas et le Fatah travaillent au maintien du statu quo. Aujourd’hui, il est plus difficile que jamais d’imaginer un chemin qui mènerait à la fin de l’occupation.

Cet article a d’abord été publié en hébreu sur Local Call.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source: +972

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