Double déplacement : les Palestiniens fuient les violences de Syrie, puis celles du Liban

Patrick Strickland – The Electronic Intifada – 3 septembre 2015

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Des combattants du Fatah prennent position durant les affrontements dans le camp de réfugiés d’Ein al-Hilweh, dans le sud du Liban, le 22 août 2015. (EPA)

Riad Najem et sa famille ont enduré un double déplacement ces dernières années.

Après avoir fui Yarmouk, un camp assiégé pour réfugiés palestiniens en Syrie, en 2013, ils ont trouvé refuge dans le camp d’Ein al-Hilweh au Liban. La semaine dernière, ils ont été à nouveau déracinés à cause des combats entre les groupes armés à l’intérieur de ce camp.

Dans la mosquée Musalli – juste à la sortie du camp – Najem, son épouse et leurs quatre filles ont dormi sur le parquet à côté de centaines d’autres qui fuyaient la violence.

« Nous n’avions nulle part où aller » dit-il. « Beaucoup de gens sont venus dans les mosquées pour s’abriter mais d’autres ont dû dormir dans les rues ».

Situé à proximité de la ville de Sidon, Ein al-Hilweh abrite environ 80 000 réfugiés palestiniens, dont environ 10 000 fuient la guerre civile en Syrie, d’après les responsables du camp.

La municipalité de Sidon – qui a fourni des abris pour plus de 200 résidents d’Ein al-Hilwey au cours de la dernière semaine – estime que 90 % de ceux qui fuient à nouveau hors de ce camp sont des réfugiés palestiniens qui venaient de Syrie.

La crise récente des hostilités à Ein al-Hilweh – où se sont opposés des membres du parti Fatah et des factions de gauche à différents groupes islamistes – a éclaté le 21 août, et s’est terminée jeudi dernier par un cessez-le-feu.

Six personnes ont été tuées dans les combats ; plus de 70 résidents ont été blessés, et 3000 déplacés.

À toutes les entrées d’Ein al-Hilweh, les soldats libanais sur les check-poinnts contrôlent qui entre et qui sort, 24 h sur 24. À l’intérieur du camp surpeuplé, de nombreux bâtiments portent les marques des combats. Les murs sont couverts de suie après les incendies et endommagés par les impacts de balles, tandis que des jouets, des tapis pour la prière et d’autres affaires personnelles jonchent le sol sous le béton mutilé et l’acier torsadé.

Après les deux cessez-le-feu antérieurs qui ont été rompus, les habitants espèrent que l’accord de jeudi sera maintenu.

« Nous avons assez souffert »

« Je ne veux pas revenir chez moi ici » dit Muhammad Issa, un père de 57 ans qui a fui la Syrie lui aussi avec ses trois enfants pour venir à Ein al-Hilweh, en 2013. « J’ai déjà perdu mon fils quand Yarmouk a été bombardé. Je ne veux pas perdre plus d’enfants ».

« Je veux adresser un message à la communauté internationale et au monde : « les Palestiniens ont assez souffert » », ajoute-t-il. « Trouvez une solution pour nous. Nous avons traversé plus de six décennies de souffrances et de déplacements ».

Issa fait ainsi allusion à la façon dont 750 000 Palestiniens ont été expulsés de leurs maisons durant la Nakba, la purification ethnique de 1948 pratiquée par les forces sionistes. Beaucoup de ces réfugiés sont venus au Liban et en Syrie.

La famille d’Issa fait partie des 45 000 Palestiniens estimés qui n’ont fui l’effusion de sang en Syrie que pour endurer des conditions humiliantes dans les 12 camps de réfugiés du Liban, où le taux de chômage est monté en flèche. Pendant des décennies, les Palestiniens enregistrés comme réfugiés ont eu l’interdiction de pratiquer des dizaines de professions qualifiées. Même si ces restrictions ont été officiellement atténuées ces dernières années, il persiste de sévères limites à la participation des réfugiés palestiniens dans la main-d’œuvre libanaise.

Le gouvernement libanais impose ces mesures sévères à l’ensemble des réfugiés palestiniens dans le pays, mais ceux qui viennent de Syrie sont particulièrement vulnérables. Pour aggraver la situation, l’UNRWA, l’agence des Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens, a récemment suspendu une allocation loyer d’un montant de 100 dollars à cause d’une pénurie chronique des financements.

Peu de garanties

Presque rien ne garantit que les combats ne vont pas reprendre dans un proche avenir.

Abu Ahmed Fadel, un dirigeant du Hamas dans le camp, dit que les combats ont été déclenchés parce que Jund al-Sham – un groupe salafiste composé de combattants libanais et syriens qui a des liens avec les groupes islamistes en Syrie – a tenté de tuer un membre du Fatah il y a deux semaines.

Le Hamas et d’autres groupes islamistes, comme le Mouvement islamiste des Moudjahidines, ont passé ces derniers mois avec le Fatah et les groupes de gauche à sévir contre Jund al-Sham et les autres factions salafistes armées dans le camp.

La coopération entre le Fatah et les groupes islamistes a opéré dans le cadre d’une coalition connue sous le nom de Forces communes palestiniennes de sécurité, une coalition formée en mars de cette année.

Pourtant, selon des sources dans le camp, cette coopération a été interrompue à la suite de la tentative d’assassinat sur Abu Ashraf al-Armoushi, responsable militaire du Fatah, le 22 août. La tentative a eu lieu durant les funérailles d’un autre membre du Fatah, tué lors d’un différend local.

Il s’en est suivi une série de fusillades entre Fatah et Jund al-Sham. En juillet, par exemple, un membre éminent du Fatah, Talal al-Urdini, a été tué.

Le Fatah a réagi en accusant toutes les factions islamistes du camp, y compris le Hamas, de complicité dans cet assassinat, selon Jamal Khattab, dirigeant du Mouvement islamiste des Moudjahidines, et d’autres responsables du camp.

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Des Palestiniens fuient les affrontements dans le camp de réfugiés d’Ein al-Hilweh, le 22 août. (Ali Hashisho – Reuters)

Les membres du Fatah et des organisations de gauche comme le Front démocratique pour la Libération de la Palestine ont combattu les groupes islamistes du camp, affirment des sources. Les civils ont été pris entre deux feux quand les combats de rues se sont propagés dans Ein al-Hilweh.

Parlant du cessez-le-feu, Fadel estime : « Je ne peux pas dire que les choses sont résolues parce que la situation est encore très délicate et on n’est pas encore parvenu à une solution définitive ».

Pour le moment cependant, le cessez-le-feu a fait que les Forces communes palestiniennes de sécurité sont restées intactes. Elles ont convenu de continuer leur action contre l’activité de Jund al-Sham et des groupes similaires.

Le dirigeant local du Fatah, Munir Maqdah, qui a en charge la Force commune palestinienne de sécurité à Ein al-Hilweh, estime que Jund al-Sham contrôle plus d’un tiers du camp.

Maqdah indique que les groupes humanitaires locaux ont commencé à réparer les bâtiments et maisons endommagés. « Il y a eu beaucoup de dégâts dans le camp » dit-il.

Portant leurs affaires, de nombreux résidents ont repassé à pied les checkpoints de l’armée libanaise pour revenir dans le camp et dans leurs maisons. Dans un parc en face de l’une des grandes entrées du camp, des dizaines de familles déplacées se sont assises sur l’herbe, attendant d’être sûres que la violence n’éclatera pas de nouveau.

Un civil déplacé, Abu Muhammad, dont la maison a été démolie durant les combats, est venu du camp de réfugiés de Daraa, dans le sud de la Syrie, avec son épouse et ses six enfants en début 2014.

« Je n’ai pas d’argent pour réparer ma maison » dit-il. « Nous sommes retournés la voir aujourd’hui – elle est démolie. Mon épouse a commencé à trembler et à pleurer. Je ne peux pas remmener mes enfants là-bas ».

« Le sol de notre maison est recouvert d’eau parce que les canalisations ont éclaté, touchées par des obus » ajoute Abu Muhammad.

Il critique le gouvernement libanais pour avoir forcé les Palestiniens venant de Syrie à vivre dans des camps de réfugiés palestiniens surpeuplés au Liban. « Il était déjà très difficile de payer 250 dollars pour un mois de loyer à Ein al-Hilweh, mais je ne peux même pas imaginer combien nous devrons payer pour vivre en dehors du camp » dit-il.

La mer est « devenue notre ennemi »

La plupart des Palestiniens apatrides venus de Syrie sont incapables d’obtenir des permis de séjour de la part des autorités libanaises, ce qui légaliserait leur présence.

En juin, alors qu’il quittait le camp pour chercher un travail dans le bâtiment, Abu Muhammad a été arrêté par des soldats libanais à un checkpoint et mis en détention pendant cinq jours, avant d’être finalement relâché.

« Je souhaite pouvoir obtenir une nationalité dans le monde – peu importe laquelle – juste pour être sûr que mes enfants auront un avenir » dit-il. « J’ai travaillé comme ingénieur en Syrie et apporté une bonne vie à ma famille. Ici au Liban, il n’y a pas de travail pour nous ».

Avec la menace qui persiste de plus de violences et un chômage qui oscille entre 70 et 80 %, selon les responsables du camp, beaucoup chez les résidents du camp ont payé des milliers de dollars pour prendre un bateau et traverser la Méditerranée dans l’espoir de se voir accorder l’asile en Europe. Beaucoup meurent en route.

Dans la mosquée Musalli, Riad Najem espère que les combats n’obligeront pas ses enfants à prendre de telles décisions désespérées. « Je regardais la mer l’autre jour et j’ai commencé à la maudire », rappelle-t-il. « J’ai dit, « Même toi ? Même toi tu es devenue notre ennemie ? » ».

« N’avons-nous pas assez souffert ? » demande Najem. « Nos personnes âgées devraient au moins être autorisées à mettre les pieds en Palestine une fois encore, avant de mourir ».

Un résident du camp, Abu Arab, qui est né et a grandi à Ein al-Hilweh, a blâmé le gouvernement libanais pour ne pas avoir fait davantage pour empêcher des groupes comme Jund al-Sham de faire entrer leurs combattants à l’intérieur du camp. « Les (forces libanaises) ont posé des checkpoints tout autour du camp » dit-il. « Mais (Jund al-Sham) y a entre 100 et 200 combattants. Nous les voyons tout le temps dans le camp ».

Les politiciens libanais, à l’instar des médias, incitent régulièrement contre les Palestiniens à Ein al-Hilweh pour, prétendent-ils, avoir fourni un abri à de tels groupes. Mais les résidents du camp rejettent ces allégations, et ils affirment qu’ils ont besoin de sécurité.

« Ces gens sont en mesure d’entrer et sortir des camps, pendant que les civils (les Palestiniens venant de Syrie) se font arrêter pour ne pas avoir de papiers » dit Abu Arab. « Où est la logique ? ».

Patrick O. Strickland est journaliste indépendant, et coopère régulièrement avec The Electronic Intifada. Site Web: www.postrickland.com. Twitter:P_Strickland_.

Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

Source: Electronic Intifada

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