Gideon Levy, correspondant d’Haaretz – 8 octobre 2015
A travers la brume de l’auto-satisfaction, de la propagande médiatique, de l’incitation, de la diversion,du lavage de cerveau et de la victimisation de ces derniers jours, cette simple question revient avec force : Qui a raison ?
Il ne reste plus d’arguments fondés dans l’arsenal israélien, du genre qu’une personne honnête pourrait accepter. Même le Mahatma Gandhi comprendrait les raisons de cette explosion de violence des Palestiniens. Même ceux qui rejettent la violence, qui pensent qu’elle est immorale et vaine, ne peuvent s’empêcher de comprendre comment elle resurgit périodiquement. La question est pourquoi n’explose-t-elle pas plus souvent. De la question sur qui a commencé à la question sur qui est à blâmer, le doigt se pointe légitimement sur Israël, sur Israël seul. Ce n’est pas que les Palestiniens soient irréprochables, mais l’essentiel de la responsabilité repose sur les épaules d’Israël. Tant qu’Israël ne se défait pas de cette responsabilité, il n’a aucun fondement pour émettre ne serait-ce que l’amorce d’une exigence face aux Palestiniens. Quoi que ce soit d’autre est de la propagande mensongère.
En tant que vieille militante palestinienne, Hanan Ashrawi, a écrit récemment que les Palestiniens sont le seul peuple sur cette terre à qui on demande d’assurer la sécurité de l’occupant, tandis qu’Israël est le seul pays qui exige de ses victimes sa propre protection. Et comment pouvons nous répondre ?
Comme le président palestinien Mahmoud Abbas l’a demandé dans une interview à Haaretz : « Comment pensez-vous que la rue palestinienne va réagir après le meurtre par le feu de l’adolescent Mohammed Abu Khdeir, l’incendie volontaire de la maison des Dawabsheh, l’agression par des colons et les dégâts sur une propriété sous les yeux des soldats ? » Et qu’allons nous répondre ?
Aux 100 ans de dépossession et aux 50 ans d’oppression, nous pouvons ajouter ces quelques dernières années, marquées par l’intolérable arrogance israélienne qui nous explose une fois de plus au visage.
C’étaient les années où Israël pensait qu’il pouvait faire n’importe quoi et ne pas en payer le prix. Il pensait que le ministre de la Défense pouvait se vanter de connaître l’identité des assassins des Dawabsheh et ne pas les arrêter, et que les Palestiniens se contraindraient. Il pensait que, presque toutes les semaines, un petit garçon ou un adolescent pouvait être tué par les soldats, et que les Palestiniens ne bougeraient pas. Il pensait que les chefs militaires et politiques pouvaient soutenir les crimes et que personne ne serait inquiété. Il pensait que les maisons pouvaient être démolies et les troupeaux chassés, et que les Palestiniens accepteraient tout ceci humblement. Il pensait que les colons assassins pouvaient endommager, brûler et agir comme si ce qui appartenait aux Palestiniens leur appartenait, et que les Palestiniens courberaient la tête.
Il pensait que les soldats israéliens pouvaient entrer par effraction toutes les nuits dans les maisons palestiniennes et terroriser, humilier et arrêter les gens. Qu’on pouvait en arrêter des centaines sans jugement. Que le service de sécurité du Shin Bet pouvait se mettre à torturer des suspects avec des méthodes transmises par Satan.
Il pensait que les grévistes de la faim et les prisonniers libérés pouvaient être arrêtés de nouveau, souvent sans raisons. Qu’Israël pouvait détruire Gaza tous les deux ou trois ans et que Gaza se rendrait et que la Cisjordanie resterait tranquille. Que l’opinion publique israélienne applaudirait à tout cela, avec au mieux des acclamations et au pire l’exigence de plus de sang palestinien, avec une soif difficile à comprendre. Et que les Palestiniens pardonneraient.
Ceci pourrait durer encore des années. Pourquoi ? Parce qu’Israël est plus fort que jamais et que l’Occident est indifférent et lui laisse le champ libre plus que jamais.
Pendant ce temps, les Palestiniens sont faibles, divisés, isolés et perdent leur sang comme jamais depuis la Nakba.
Ainsi, cela peut continuer parce qu’Israël le peut – et que le peuple le veut. Personne n’essaiera de l’arrêter, sauf l’opinion publique internationale, qu’Israël rejette comme ayant la haine des Juifs.
Et nous n’avons pas dit un mot de l’occupation elle-même et de l’incapacité à y mettre fin. Nous sommes fatigués. Nous n’avons pas dit un mot de l’injustice de 1948, qui aurait dû s’arrêter alors et ne pas se poursuivre avec encore plus de force en 1967 et continuer sans aucune fin en perspective. Nous n’avons pas parlé des lois internationales, de la justice naturelle et de la morale humaine qui ne peuvent accepter rien de tout cela en aucune façon.
Quand des jeunes gens tuent des colons, jettent des bombes incendiaires sur des soldats et balancent des blocs de pierre sur des Israéliens, c’est la toile de fond. Il vous faut beaucoup d’étroitesse d’esprit, d’ignorance, de nationalisme et d’arrogance – ou tout ce qui est dit plus haut – pour ne pas le voir.
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source: Haaretz